République dominicaine - Une réelle journée à Saint-Domingue
Avril 2022. Après 8 ans d'échanges variés, je profite de ce calme dans la crise sanitaire pour enfin aller rencontrer mon amie Lery Laura dans son cadre de vie : la capitale de la République dominicaine, Saint-Domingue. 8 ans ! Au salon de coiffure de Nancy, la jeune femme s'occupant de ma coupe n'en revient pas ! Mais êtes-vous sûr que ce sera bien elle, au moins ? Oui, quand-même. Le billet est acheté, la place est réservée. Aller-retour Paris-Punta Cana, du 30 Avril au 8 Mai. Lery travaillera en journée : les Dominicains n'ont qu'environ 15 jours ouvrables de congés payés par an et il ne nous a pas été facile de trouver un créneau durant lequel les congés seraient arrangeants pour les deux. Quant à la période des fêtes, les billets sont nettement plus chers et finalement, est-ce que cela est vraiment intéressant ? L'objectif du voyage : bien avant le reste, rencontrer concrètement Lery, découvrir une capitale, échanger un peu avec ses habitants. Une façon de voyager qui était plus délicate à mettre en oeuvre, il y a encore seulement 20 ans, avant l'ère du Web. Bien sûr, de nombreux dispositifs d'échanges et de rencontres internationales existaient, mais en dehors de ces cadres structurants, cette possibilité d'échanger et de rencontrer d'autres compères de la planête était sans doute plus difficile à mettre en oeuvre.
30 Avril. L'avion de ligne décolle d'Orly. Autour de moi, une famille entière part se détendre dans un resort all inclusive de Punta Cana. Ils sont 9, des grands-parents aux petits enfants, et essaient de se retrouver ensemble une fois par an. Le vol se déroule très bien, et 9h30 plus tard, attérit à l'aéroport de Punta Cana. A la sortie, Lery est là. Nous ne nous sommes jamais rencontrés, mais pourtant tout est si naturel dans nos échanges, comme si nous étions amis depuis l'enfance. Les grands réseaux sociaux sont moins concrêts qu'un chantier international, mais eux en revanche ne s'arrêtent pas subitement au bout de quelques semaines. Nous avions prévu de passer le week-end dans un resort, pour faire un peu de plage et à titre personnel que je me rende compte à quoi cela ressemble. 2 jours suffisent à se faire une idée du principe, et permettent de se rappeler d'une statistique étonnante : 90% des touristes de République dominicaine ne visitent qu'1% du pays. Ces resorts permettent sans doute à leurs clients de vivre un vrai séjour de farniente et de détente, mais sont en contrepartie très peu représentatifs de l'île. Comme l'écrit un des deux livres-guides que j'ai à ma disposition : Punta Cana c'est bien EN République dominicaine, mais ce n'est pas non plus LA République dominicaine.
Pic d'Hispaniola, espèce endémique de l'île
Les algues Sargasses, phénomène naturel problématique des Caraïbes
Lery Laura et Manu côte-à-côte, enfin !
Après un trajet Punta Cana - Saint-Domingue durant lequel s'observent les mono-cultures de Canne-à-Sucre, nous voilà à la Feria international del libro dans la Zone Coloniale, centre-ville historique de la ville, avec notamment l'exposition immersive sur le peintre surréaliste dominicain Tovar. Un pavillon entièrement destiné aux liens avec l'Union Européennee est ouvert au grand public, à l'entrée duquel il est possible d'écrire un petit post de soutien aux Ukrainiens.
Le lendemain, je décortique mon guide de voyage et nous parlons avec Lery de son contenu. Celui-ci recommande notamment de ne jamais conduire la nuit en République dominicaine. "Ton guide est une torture !", me dit-elle...beau symbole du différentiel existant entre les recommandations aux touristes et la vie quotidienne de l'habitant du lieu visité. Je pars ensuite découvrir les musées de la place de la Culture: le musée d'Histoire Naturelle pour commencer. L'intérêt de ce musée réside en ce qu'il permet de découvrir les différentes espèces endémiques d'Hispaniola, ainsi que les principaux milieux naturels de l'île. On y apprend notamment que l'oiseau national de République dominicaine est l'Oiseau-palmiste (Dulus dominicus), endémique de la région géographique. il s'agit d'une espèce grégaire qui construit de nids communs en colonie. Du fait de ses caractéristiques morphologiques et génétiques singulières, il est l'unique représentant du genre Dulus et de la famille Dulidae, signifiant qu'il n'existe aucune autre espèce d'oiseau dans le monde ayant une relation très proche avec celui-ci. Son origine étrange et ses caractéristiques uniques l'ont élevée à un statut d'espèce de haut intérêt scientifique à l'échelle mondiale, raison pour laquelle il fût déclaré l'oiseau national de République dominicaine en 1987, afin de distinguer son importance scientifique comme partie du patrimoine zoologique de l'île.
Le milieu ci-dessus est un bosquet de pins conifères, présent dans les zones hautes de la Cordillère centrale, tels que les montagnes Bahoruco et Neyba, représentant 6% du territoire national. Dans ces milieux, à partir de 2000 m d'altitude, l'espèce dominante est : Pinus occidentalis. Ci-dessous, une représentation du Lago Enriquillo, un lac de ces mêmes montagnes qui descent jusqu'à -40 mètres de profondeur par rapport au niveau de la mer, soit le point le plus bas de toute la Caraïbe. Ce lac hypersalin héberge notamment une popoulation importante de crocodiles (Crocodylus acutus), et est protégé en tant que Parc National et de réserve de biosphère de l'Unesco.
La journée se poursuit avec la visite du musée d'Arts modernes puis de la bibliothèque nationale.
Oeuvre : El agua en el siglo XXI (2015)
L'oeuvre ci-dessus s'intitule Rosa Duarte, portrait d'une héroïne. Elle a été selectionné pour l'émission de 20 000 timbres postes, et a accompagné l'élévation de l'héroïne au Panthéon de la patrie en 2021. L'auteur cette oeuvre de 2020, Dustin Munoz, a opté pour contextualiser l'héroïne dans l'atmosphère indépendantiste de la nuit du 27 Février qui a donné naissance à la patrie dominicaine. Munoz précise : "Evidemment, en tant que symbole patriotique, je ne pouvais pas éviter de représenter le drapeau tricolore. Motivé par les contributions de Rosa au mouvement indépendantiste et à l'histoire, j'ai décidé de décorer l'espace pictural avec des éléments qui font partie des armoiries nationales. Pour cette raison, la branche de palmier, le laurier, les quatre drapeaux sans les armoiries et les deux lances s'observent dans le fond de la composition. En outre, Rosa porte la croix du blason national et sur ses jambes repose le drapeau dominicain sur lequel figure une bible ouverte contenant des notes manuscrites et quelques lettres, attachées par un ruban tricolore pour la valeur patriotique qu'elles représentent."
Notre Dame de la Miséricorde, de Dustin Munoz
Le lendemain, découverte des rues de la zone coloniale : la cathédrale, le musée de las Casas Reales, la calle las Damas, la place d'Espagne.
Vue de l'intérieur de la cathédrale, première du "Nouveau Monde"
Photos prises au musée de las Casas Reales
Mais en dehors de ces visites touristiques, j'ai également la chance de rencontrer quelques habitants de la ville, amis ou famille de Lery Laura. C'est toujours un élément positif de tout voyage : l'échange avec l'habitant local. Je rencontre notamment sa cousine Marlin, travailleuse sociale à Saint-Domingue, avec laquelle nous échangeons sur différentes thématiques: l'absence de ressentiment envers l'Espagne et l'Europe, de la part de l'immense majorité de la population dominicaine pour qui l'histoire coloniale leur est aujourd'hui totalement égale; au contraire, certains ressentiments et conflits vis-à-vis du voisin haïtien, par une tranche de la population : "nous sommes deux pays sur la même île. Comme partout, il existe des conflits parfois entre pays voisins, et dans notre cas, nous avons des conflits, mais aussi beaucoup d'amitié et de solidarité"; nous parlons aussi des échanges interculturels et des organisations promouvant ces échanges, nombreuses dans le pays mais qui reçoivent plus qu'elle n'envoient de jeunes. Toutefois, Marlin me précise que dans la situation de croissance que connaît le pays, certains politiques estiment que le pays n'a pas spécialement besoin d'aide extérieure, et certaines organisations de solidarité internationale arrêtent leurs projets. Nous parlons aussi de la présence des Dominicains dans le Monde: il y aurait plus de 1 million de Dominicains à New-York, 3 millions dans l'ensemble des USA, second partenaire économique du pays après Haïti. Nous évoquons aussi la situation de ces différentes personnes immigrant en République dominicaine, en citant l'exemple de la communauté française de Las Terrenas. Quelques jours auparavant, j'avais été en effet quelque peu interpellé, sans être finalement surpris, par les résultats des votes pour l'élection de la présidentielle française par les habitants français du pays.
1ier et 2nd Tour de la Présidentielle française en République dominicaine
Nous évoquons aussi la situation d'immigrants d'autres pays, comme les Vénézuéliens, certains venant pour améliorer les conditions de vie face aux énormes difficultés du pays, d'autres venant pour protéger leur argent face aux politiques de feu Chavez et Maduro. Cette communauté est très bien intégrée à la société dominicaine, et travaille dans tous les secteurs de l'économie. De manière générale, la République dominicaine est un pays extrèmement métissé, chaque personne ou presque ayant des ascendants d'origine non hispaniolienne. Ce qui génère une certaine souplesse identitaire au sein de la population, et peu de revendications sur ce thème-là.
Je rencontre aussi Manuel, ami de Lery, et activiste politique, l'un des leaders de la marche verte évoquée dans un post précédent.
Manuel, un des fondateurs de la "Marcha Verde" en République dominicaine
Son entretien par l'ONG Civicus, permet d'affiner la compréhension de ce mouvement. Extraits.
Comment est née le mouvement de la Marcha Verde ?
La Marcha Verde est née du fait q'un tribunal de Brooklyn avait reconnu coupable l'entreprise géante de la construction Odebrecht de corruption, celle-ci admettant qu'elle avait versé des pots-de-vin dans 12 pays du Monde : deux pays du continent africain et dix d'Amérique latine, parmi lesquels la République dominicaine, pays dans lequel les pots-de-vin ont dépassé 92 millions de dollars. Ces pots-de-vin faisaient partie intégrante du fonctionnement de l'entreprise, qui soudoyait des politiciens et des fonctionnaires, afin d'obtenir des contrats, incluant des prix gonflés et permettant à l'entreprise d'engranger des bénéfices supplémentaires. Le pays a été bénéficiaire de ces pots-de-vin entre 2001 et 2014, donc sous trois administrations : celle d'Hipólito Mejía (2000-2004), de Leonel Fernández (2004-2012) et celle du président actuel Danilo Medina, élu une première fois en 2012 puis réélu en 2016.
Comme cela s'est produit dans tous les pays de la région, l'affaire Odebrecht a suscité l'indignation en République dominicaine. À ce moment-là, avec certains partenaires de la société civile qui avaient déjà travaillé conjointement dans des activités de lutte contre la corruption et l'impunité, nous avons décidé de nous réunir pour voir ce qui pouvait être fait. Ainsi, le 4 janvier 2017, un petit groupe de la société civile s'est réuni et a décidé d'organiser une mobilisation plus tard dans le mois. Au cours des premières réunions, plusieurs décisions ont été prises. Tout d'abord, la couleur verte a été choisie afin de représenter l'espoir : nous ne voulions pas rester dans la phase d'indignation mais voulions plutôt le sentiment que cette fois-ci, nous pouvions gagner. C'est une différence par rapport aux précédentes, qui avaient opté pour la couleur noire comme symbole de deuil de la mort de la justice. Nous avons choisi le vert comme élément unificateur de la diversité de notre mouvement, qui comprenait une grande variété d'organisations aux drapeaux et couleurs multiples. Le choix de la couleur était lié à notre décision d'énoncer notre revendication en termes positifs, c'est-à-dire de ne pas la désigner comme une lutte contre la corruption et l'impunité, mais plutôt comme une lutte pour la fin de l'impunité. L'idée était que l'affaire Odebrecht marquerait le début de la fin de l'impunité dans notre pays. Dès ces premiers moments, toutes les organisations phares des processus et mobilisations récentes étaient présentes, notamment la branche des Associations des enseignants dominicains, dirigée par Maria Teresa Cabrera, fer de lance du mouvement 4%.
Comment l'appel à la mobilisation fut disséminé ?
Pour dire vrai, nous pensions au départ que cet évènement serait modeste, et nous espérions regrouper environ 6000 personnes. Nous avons pris contact avec tous les groupes de la société civile avec lesquels nous avions des liens, mais aussi avec des groupes partisans. Avec ces derniers, nous avons organisé des réunions et fixé des règles claires : nous garderions une seule couleur, il n'y aurait pas de direction partisane, et cela resterait une expression citoyenne, les militants politiques pouvant participer à condition qu'ils le fassent à titre individuel. Ceci a été accepté, et dès le début nous avons travaillé avec un vaste réseau d'organisation, dans une atmosphère de relative harmonie, ce qui était une réussite impressionnante étant donné le très large spectre de la coalition. Nous avons ensuite diffusé notre appel par tous les moyens possibles. Les médias sociaux ont joué un rôle important, mais la radio et la télévision ont été essentielles, car elles ont non seulement fait passer le message, mais certains journalistes ont également mené le processus avec une attitude militante et un discours similaire au nôtre. Lorsque nous nous sommes mobilisés le 22 Janvier, nous n'avions pas encore de nom, mais les gens ont rapidement commencé à nous appeler Marcha Verde. Ce qu'il s'est passé était sans précédent : jamais auparavant autant de personnes ne s'étaient mobilisées pour une cause non partisane dans ce pays. Nous étions nous-mêmes stupéfaits de voir, à chaque marche, comment nous avions réussi à établir un lien avec les gens.
Marcha Vede semble avoir plusieurs porte-paroles, mais pas de leader reconnu. Pourquoi ?
La décision d'avoir un groupe de porte-paroles tournant aussi grand et diversifié que possible a été aussi délibérée. Notre coalition comprenait de nombreuses personnalités respectées, mais nous nous sommes surtout organisés autour de groupes de travail, avec 4 commissions : une pour le contenu et l'analyse, qui rassemblait nos arguments et notre discours; un comité pour la communication, composé en majorité de jeunes et chargé de définir l'agenda médiatique; un comité pour l'organisation et la mise en réseau, qui organise la mobilisation et étend notre réseau à travers le territoire ; et un pour le financement et les ressources. Cela a permis au mouvement de devenir opérationnel.
Qu'est-ce que l'affaire Odebrecht avait de si particulier ? Pourquoi a-t-elle suscité une réaction différente par rapport aux affaires de corruption précédentes ?
En République dominicaine, l'impunité est presque aussi vieille que la république elle-même. Il n'y a pratiquement jamais eu de sanctions exemplaires contre la corruption administrative, ce qui, au fil du temps, a provoqué une grande frustration. Alors pourquoi quelque chose qui se produit depuis si longtemps ne fait que maintenant, c'est une bonne question. Historiquement, lorsque les sondages demandaient quels étaient les problèmes majeurs du pays, la corruption venait toujours parmi les premières mentions. Mais les gens croyaient, et beaucoup le croient encore, qu'on ne pouvait rien y faire. Dans ce cas précis, cependant, un élément différentiel important est que que les informations venaient de l'étranger, des États-Unis et du Brésil, et qu'une fois qu'elles ont commencé à affluer, le flux de données ne s'est pas arrêté. Des informations sur ce qui se passait dans d'autres pays, dont le Brésil bien sûr, mais aussi la Colombie, l'Équateur, le Panama, le Pérou et le Venezuela, ont également été diffusées rapidement. Dans ces pays, des enquêtes ont été ouvertes et des centaines d'hommes d'affaires et de fonctionnaires ont été inculpés, y compris d'anciens ministres et et même d'anciens présidents. Dans ce contexte, beaucoup de gens pensaient que cette fois-ci, le gouvernement dominicain ne pourrait pas être en mesure de manipuler l'affaire, contrairement à tant de fois dans le passé, et qu'ils n'auraient pas d'autre choix que de faire quelque chose, même sans le vouloir. Beaucoup de gens sont convaincus que le gouvernement préférerait maintenir l'impunité, mais que cette fois-ci, il ne pourra tout simplement pas le faire, surtout si la pression sociale augmente.
Quelles sont les demandes concrètes de Marcha Verde, et comment les avez-vous faites en avant ?
Notre première demande est la formation d'une commission de procureurs indépendants pour mener à bien l'enquête et les poursuites dans l'affaire Odebrecht. Nous insistons sur ce point parce que nous ne croyons pas au ministère public, puisque le procureur est un membre du parti au pouvoir qui a travaillé pour la campagne électorale du président, et nous ne pensons pas qu'il puisse assurer une enquête impartiale. En fait, nous avons demandé que la commission soit formée sous les auspices des Nations Unies, dans le cadre de la Convention de Genève des Nations Unies, dans le cadre de la Convention contre la corruption dont notre pays est signataire. Nous savions qu'il était peu probable que cela se produise, mais nous devions mettre en évidence les niveaux élevés de complicité gouvernementale impliqués. Nous avons également demandé que tous les fonctionnaires qui ont reçu des pots-de-vin et tous les dirigeants d' Odebrecht qui les ont payés soient identifiés et inculpés par la justice, que tous les contrats actuels d' Odebrecht soient annulés, que tous les travaux publics réalisés par l'entreprise soient audités et que tout l'argent provenant des pots-de-vin et les prix excessifs soient récupérés. Nous avons également demandé une enquête sur le financement illicite des campagnes électorales.
Pour faire circuler notre pétition, nous avons lancé un " Livre vert " que les gens pouvaient signer au coin des rues et sur les places du pays.Nous avons reçu une réponse massive : en quelques semaines, nous avons avons recueilli plus de 300 000 signatures. La signature impliquait un engagement plus important que la simple participation à une marche, puisque les personnes devaient fournir leur nom, leur numéro d'identification et d'autres informations personnelles. Il s'agissait d'un processus d'autonomisation ; les gens se sont engagés à continuer à se battre jusqu'à ce que nous ayons atteint nos objectifs. Le 22 février, nous avons remis au président un document notarié certifiant que 312 415 signatures avaient été recueillies, ce qui a rendu notre demande officielle, et nous avons donc officialisé notre demande et demandé au président de répondre au plus tard lors de son discours annuel à la nation le 27 février. Ce processus a été couronné de succès car il a permis de multiplier l'organisation, qui s'est développée par la création de " nœuds verts " dans différentes municipalités. Ainsi, le mouvement s'est développé de la capitale et s'est enraciné dans chaque localité. Le président a d'ailleurs abordé le sujet dans son discours. Il a assuré qu'il soutenait la lutte contre la corruption et que toutes les personnes impliquées tomberaient - il a littéralement dit qu'il n'y aurait pas de "vaches sacrées". Mais il a insisté sur le fait que le processus serait mené par le bureau du procureur général. C'est pourquoi nous avons rejeté le discours et avons dénoncé ce que nous avons considéré comme une contradiction entre ce que le président a dit et ce qu'il a fait. Une fois le processus de signature terminé, nous avons lancé en mars notre campagne de la " Flamme verte ", qui consistait essentiellement à allumer une torche qui devait parcourir les principales provinces et villes du pays. Cette activité a eu moins de succès que la signature du Livre vert, mais elle nous a néanmoins permis de continuer à consolider la structure du mouvement. Grâce à cette action, des marches régionales et même sous-régionales ont commencé à avoir lieu dans les trois régions du pays. Chacune de ces marches est devenue le plus grand événement de mobilisation jamais organisé dans l'histoire de ces localités. Nous avons même réussi à organiser une marche relativement importante dans la région orientale du pays, historiquement la moins mobilisée et la plus faible sur le plan organisationnel.
Nous nous promenons ensuite sur le Malecon, avenue du bord de mer fermée pour cause de...Carnaval local !
La nuit tombe. Nous reprenons notre marche sur le Malecon, puis mangeons dans un restaurant en bord de mer. Je prends un plat dominicain, le Mangu de platanos verdes, une purée de bananes plantains qui se déguste à tout type de repas, souvent acccompagnée d'avocat. Un restaurant complémentaire aux autres déjà pratiqués pendant la semaine: dominicain, péruvien, haïtien.
Le lendemain, je prends un Uber pour rejoindre l'aéroport de Punta Cana. Ce voyage est une réussite, grâce à Internet et l'accueil de mon "amie du Monde". Probablement la manière de voyager la plus intéressante. Une semaine passe vite, mais gageons que Lery et moi nous reverrons. Retour à Nancy. Il est temps de reprendre la vie courante, mais avant de clôturer cette expérience, il reste une dernière chose à faire : offrir quelques cigares !
Une souris et...Ginna, de Barranquilla à Nancy
Nancy, printemps 2021. Alors que le troisième confinement touche à sa fin, je rencontre, dans l’ascenseur de mon immeuble, une étudiante en école d’ingénieur en génie chimique. Ginna, 24 ans, vient de Barranquilla, ville du Nord de la Colombie baignée par la mer des Caraïbes. Alors que les échanges internationaux d’étudiants ont chuté de 40% en 2020 dans le contexte de la crise sanitaire, voilà que Ginna vient aider, en tant qu’assistante de vie, une dame âgée dont je suis le voisin. Je profite de cette rencontre fortuite pour proposer à Ginna de travailler de manière informelle son français et mon espagnol, et pourquoi pas de découvrir un ou deux coins de la région…car sans voiture, difficile de sortir des sentiers battus, encore plus quand on est à l’étranger.
Le nom de Barranquilla m’était inconnu, avant cette rencontre. Ginna y a passé son enfance : « j’ai vécu toute ma vie à Barranquilla. Dans mon enfance, j’ai étudié dans une école catholique dans laquelle on m’a enseigné des valeurs orientées vers le service des plus démunis. J’ai donc participé à différents travaux bénévoles pour aider les enfants aux ressources limitées. Pendant cette période, j’ai réalisé différentes activités éducatives et j’ai livré des articles pour les études avec les enfants du secteur de Tasajera Magdalena. Pendant mon adolescence, j’ai développé mon goût pour la lecture et l’écriture, j’ai participé aux concours d’écriture de l’école et j’ai écrit différentes histoires pour les enfants. En même temps, j’ai aidé mes parents dans l’entreprise familiale, une épicerie, ce qui m’a appris à être responsable et indépendante dès mon plus jeune âge. Cependant, je n’avais pas de temps libre. De plus, mes parents travaillaient toute la journée et tous les jours. Pour cette raison, ma famille ne cèlèbre pas Noël et les fêtes. De mon enfance, je me souviens que toutes les familles se réunissaient ce jour là pour préparer le diner, mais nous nous étions toujours occupés.
Barranquilla, capitale du département Atlantico, Colombie
C’est donc par un doux dimanche de Juillet 2021 que nous nous retrouvons à visiter les jolies communes de Colmar et Riquewihr.
Une journée à Colmar
Ballade à Riquewihr et sur la route des vins d'Alsace
Quel est le plus sympa : traverser l’Atlantique pour aller voir un troupeau de Lama dans les Andes, ou aller dans les Vosges et faire découvrir un troupeau de mouton à une Baranquillera qui n’en a jamais vu ? Une solution alternative serait de faire découvrir à une Baranquillera un troupeau de Lama dans les Vosges.
A la fin de son séjour, Ginna est partie vivre à Lyon et a rejoint des compères colombiens installés dans la cité des Gones. Ceux-ci sont engagés au sein de l’association Colombia Nueva, fondée en 2011, ayant pour objectifs fondamentaux de promouvoir l’intégration et le développement de la communauté colombienne, ainsi que de fortifier les liens de fraternité entre la Colombie et la France. Lors du forum des associations de Lyon 8, ceux-ci nous ont partagé quelques danses colombiennes.
Danses colombiennes avec l'association Colombia Nueva, Lyon, Septembre 2021
Comment Ginna a vécu, globalement, son séjour ? Voilà son témoignage.
« Changer de pays, de culture et même de fuseau horaire a été l’une des expériences les plus exigeantes que j’ai vécues dans ma vie. Lorsque je suis arrivé en France, j’ai commencé à découvrir un nouveau monde, du système éducatif aux procédures administratives. Comme pour tout changement, il faut du temps et de la patience pour s’adapter à la nouvelle façon de faire les choses. Mon projet de venir en France était principalement éducatif. Mon objectif était d’étudier un Master en génie chimique ou des procédés axés sur la formulation des produits. C’est ainsi que je suis arrivé à Nancy, où se trouve l’école ENSIC, qui jouit d’un certain prestige au niveau national. » En étant à Nancy j’ai réalisé que la France n’est pas seulement ce qui est vendu dans les films, c’est un pays multiculturel plein de diversité tout au long du pays. Tout comme en Colombie, chaque région a des coutumes très marquées et différentes, où la combinaison de toutes ces différences ajoutées au fait d’être un pays ouvert aux étrangers fait de la France un pays charmant où que vous vous trouviez. Bien que Paris soit merveilleuse, charmante et romantique, ce n’est pas la seule chose que vous devriez visiter, car chaque région a des endroits qui sont vraiment superbes.
Culturellement, les Colombiens, en particulier les Barranquilleros, sommes des gens habitués à la communauté et au bruit. En France, j’ai observé que globalement les gens préfèrent les environnements calmes et paisibles. Retourner en France serait un rêve pour moi, principalement parce que je me suis identifié aux environnements calmes et sûrs, et que je considère que c’est un pays doté d’une grande diversité culturelle et naturelle que je veux continuer à explorer.
Quand j’étais en Colombie, je pensais que tout ce qui concerne la France était centré sur Paris. J’ai remarqué qu’il y a certaines choses qui sont comme ça mais que chaque région peut avoir une composante culturelle et historique beaucoup plus marquée. La ponctualité, la rigueur et de la bureaucratie sont les représentations qui je crois se remarquent bien chez la plupart des Français. Cependant, en Colombie, j’avais entendu dire que les Français n’aimaient pas travailler, aujourd’hui je peux dire que ce n’est pas vrai et que c’est une idée très fausse, c’est une idée que le capitalisme nous a vendue en Colombie et ce que je crois, c’est que la France est un pays juste, où on a le droit à une vie digne et où la qualité de vie de ses citoyens est prise en charge, ce qui n’arrive pas dans les pays comme la Colombie où les hommes d’affaires pensent dans un système capitaliste.
Je pense que mon identité de Colombienne n’a pas changé pendant cette année. Mais j’ai appris différentes choses que je peux incorporer à ma vie actuelle. »
Et si on regardait cette expérience avec une dimension plus théorique ? Magali Ballatore, chercheure, a écrit une publication très intéressante sur les échanges internationaux en Europe et les apprentissages qui en découlent (Revue internationale de sciences sociales / Hors-série n° 3 – 2011, (57-74) juillet-septembre 2008). Quelques extraits peuvent renforcer la compréhension du vécu de Ginna dans son expérience de mobilité internationale : "le « tout petit monde », comme le nomment Anne Barrère et Danilo Martuccelli, où il serait possible de circuler sans entrave, de se sentir « partout » chez soi, d’être bien reçu et traité dans des cadres spatiaux profondément semblables et peu dépaysants », reste toujours du domaine de la fiction littéraire. Y-a-t’il vraiment « une ligne de démarcation » qui séparent ceux qui, « comme bien des individus du « Sud », possèdent encore le rêve d’un ailleurs (notre « ici ») et tous ceux qui, habitants blasés du Nord, n’en disposent plus » ? Le « Nord », notre « ici », est en réalité fait d’une pluralité de situations socioéconomiques difficilement assimilables pour une même analyse. En quoi et pour qui la mobilité géographique a-t-elle un impact particulier ? « ... » Pour la quasi-totalité des étudiants, le bien-fondé de leur séjour se situe en dehors des apprentissages strictement disciplinaires. Par exemple, le nombre important de termes, dans leurs discours, qui se réfèrent à la découverte de la ville, à l’ordre, au désordre et aux habitudes vestimentaires, alimentaire, montre l’intérêt des étudiants en échange international pour le pays d’accueil. Mais tout se passe comme s’ils étaient simple spectateur ou si le séjour était un film dans lequel ils n’étaient que figurants. Les connaissances culturelles acquises sur une base strictement descriptive et comparative n’améliorent pas forcément leur compréhension du pays d’accueil. La perspective binaire chez certains étudiants (le seul élément stable étant souvent le pays d’origine) accentue le déséquilibre et produit une réification d’autrui, alors que la volonté déclarée de ces programmes est l’échange et la reconnaissance interculturelle. La confrontation culturelle avec des formes de l’altérité, vécue parce que les étudiants en échanges internationaux se placent souvent en marge, peut induire un abus des explications culturalistes. Ces dernières vident les cultures de leur complexité, de leur historicité et de leurs conflits internes (Papatsiba, 2001). Dans les acquis culturels du séjour étudiant à l’étranger, si nous pouvons les nommer ainsi, ressort une « connaissance mosaïque », souvent vidée de la recherche de cohérence, de liens. Il est vrai que les échanges permettent de vivre une altérité exponentielle, mais tous les étudiants sont loin de posséder la même capacité empathique nécessaire à la compréhension, qui s’acquiert souvent durant la socialisation primaire.
Magali, dans le cadre de ses recherches, a ainsi pu constater qu’il existe différentes manières de vivre la mobilité, et ainsi, dresser une typologie des comportements relatifs aux différents degrés de manipulation des codes culturels et sociaux. L’échelle des comportements va du repli sur sa culture d’origine, avec un réinvestissement faible ou nul et l’absence de nouvelles mobilités, jusqu’à la perméabilité quasi-totale à la culture du milieu d’accueil et la volonté d’y résider définitivement. De cela sort des idéal-type d’étudiants.
Le premier est l’étudiant « défensif », qui cherche, lors de son séjour à l’étranger, ainsi à se construire pleinement en « étranger ». Il organise une mise en scène de son « univers originel ». Les influences culturelles extérieures semblent peu pénétrer l’univers cognitif de ces étudiants défensifs, qui se tiennent donc « à distance raisonnable » des membres de son pays d’accueil tout en maintenant des liens forts avec ceux de son pays d’origine.
L’étudiant « opportuniste », pragmatique, mettant en scène avant tout l’adaptation à l’environnement. Il tentera de connaître le plus d’autochtones possible, participera souvent aux activités de l’Université, afin de tirer le meilleur bénéfice de son année d’études à l’étranger, en fonction des objectifs de départ qu’il s’était fixé. De retour dans son pays d’origine, il tentera de réutiliser les compétences acquises, parfois tardivement, dans des projets distinctifs et continuera le jeu de la perpétuelle migration, d’un mode d’être à un autre en s’inscrivant dans de nouvelles mobilités.
L’étudiant « transnational », dont le discours en appelle au plurilinguisme, à l’esprit cosmopolite et au développement d’activités « interculturelles ». Le séjour à l’étranger a, de ce fait, été un véritable «laboratoire» de façons d’être. La culture international est d’autant mieux transmise que l’épreuve de la mobilité internationale et du voyage est perçue comme un accomplissement des dispositions anciennes. A son retour, l’étudiant va donc « naturellement » se tourner vers des carrières qui permettront de nouvelles expatriations, tout en gardant ses repères identificatoires.
L’étudiant « converti », dont les facteurs répulsifs de la société et/ou de l’Université d’origine ont été déterminants, beaucoup plus que les facteurs attractifs du pays d’accueil. L’expérience entraîne pour lui le désir de réorienter ses études, sa trajectoire à la lumière des découvertes effectuées dans le pays d’accueil."
Où se situe Ginna dans ces quatre idéal-type ? L’avenir nous le dira. Mais pour le moment, elle a sans doute beaucoup de choses à raconter à ses ami(e)s là-bas, en Colombie !
Remise d'un premier diplome, 2018
"La distancia no es nada cuando tiene un motivo" (Jane Austen)
Canada/Quebec - Une journée à Chibougamau
Avril 2008. Sur un forum, je discute avec Helen, Québécoise de Chibougamau. Vous n’avez jamais entendu parler de ce nom ? Peut-être associez-vous le Quebec à ses deux principales villes, Montréal et Quebec ? Chibougamau est une petite bourgade de 7500 âmes située dans la région administrative du Nord-du-Québec. Un de ces bouts du monde dont on n’entend jamais parler en Europe. Alors aujourd’hui, parlons-en un peu ! Helen m’en parlera, elle, en Haute-Savoie. En effet, nous sympathisons rapidement, alors je lui propose de venir découvrir un petit coin du bassin lémanique pendant 10 jours. Et depuis cette autre époque, nous discutons fréquemment…mais les aléas de la vie ne nous ont pas encore permis de nous revoir. Comme ce blog se consacre aujourd’hui principalement à présenter des tranches de vie des copains de la planète, c’est aujourd’hui d’une tranche de vie québécoise dont nous allons parler.
Helen naît en 1980 dans cette petite ville d’un père «blanc» et d’une mère «Cri». Avec ces « », prenons du recul concernant toutes ces catégorisations sociales tellement habituelles mais si malheureuses. D’autant plus malheureuses, qu’ elles sont en l’occurrence impactantes dans le Nord québécois. Le toponyme de Chibougamau contient les racines cries «Shabo» (au travers) et «Gamaw» (lac), de sorte que Chibougamau signifierait : lac traversé de bord en bord par une rivière. Certains penchent au contraire pour le sens innu «lieu de rendez-vous». Les «Cris» sont l’un des peuples algonquiens d’Amérique du Nord, Premières Nations (peuples amérindiens ni Inuits ni Métis) appartenant à un vaste ensemble autochtone du Canada et des Etats-Unis.
Helen et sa maman, Chibougamau, 1980
Sa maman avait la réputation d’être la plus belle femme Cri de la ville. Elle était analphabète, et du fait qu’elle était mariée à un homme non Cri, avait perdu ses droits autochtones. Elle faisait de l’artisanat, et s’occupait d’enfants des autres, un peu sous la forme des services sociaux mais de manière plus traditionnelle, non formelle. Enfant, lorsque les agents du Fédéral venaient ramasser de force les enfants des familles autochtones pour les amener aux écoles résidentielles, sa maman se sauvait dans le bois pour s’y cacher. Personne n’arrivait à fuir, ou presque. Sa maman, si. Ces écoles résidentielles correspondaient à l’enseignement public en internat destiné aux jeunes autochtones. Comme expliqué sur la toile, Il s'agissait d'institutions destinées à scolariser, évangéliser et assimiler les enfants autochtones. Au cours du XXe siècle, le Département des Affaires Indiennes encouragea les internats pour autochtones afin de favoriser leur assimilation. Cette pratique, qui séparait les enfants de leur famille, a été décrite comme le fait de « tuer l'indien dans l'enfant ».
Canada - Localisation des écoles résidentielles
Enfant, Helen était une des rares Cri dans son établissement scolaire et a également subi beaucoup de racisme systémique. A 14 ans, Helen quitte Chibougamau pour vivre avec son petit ami au sein de la communauté d’Oujé-Bougoumou. Ensuite, elle part vivre à Alma avec sa sœur qui étudiait, et lui garde ses enfants. Après un retour à Chibougamau, elle reprit l’école, termina son secondaire 5 tout en travaillant dans un restaurant comme serveuse. Puis, départ à Montreal, avec des retours fréquents à Chibougamau pour y travailler l’été.
Le grand-père d’Helen, Chibougamau, 1980
C’est pendant un de ces étés qu’elle travaille au département du service au patients cris, et qu’elle tombe alors en amour avec eux. Elle se lance alors dans l’obtention d’un certificat universitaire à distance et une technique en soins infirmiers.
Groupe de "2e année" en soins infirmiers lors de la simulation extérieure au centre d'études collégiales, Chibougamau, 2014
Helen repart ensuite à Montreal en soins infirmiers, et s’oriente à ce moment-là dans une carrière dans l’administration des établissements hospitaliers. Aujourd’hui, elle fait une belle carrière en étant directrice du département du Conseil cri de la santé et des services sociaux de la Baie James. En effet, comme l’explique cet article le manque de services de santé dans le Nord engendre le déplacement de personnes Cris dans le Sud, à Montreal par exemple. Or, un simple voyage peut générer jusqu’à plusieurs années d’éloignement pour les personnes concernées.
En 2018, il y a eu plus de 21 000 visites de patients cris dans le Sud, pour la consultation de médecins spécialistes. De nombreux patients cris envoyés au sud pour y être soignés ont le droit d'être accompagnés d'une personne, par exemple un membre de leur famille, pour avoir un soutien voire un interprète. Dans le département dirigé par Helen, une cuisine commune, une salle d’activités et une salle spirituelle ont été construites. Quand ils vont dans ces espaces, ils sont ensemble et oublient qu'ils sont à Montréal, explique Helen, ajoutant que beaucoup de patients sont des survivants des écoles résidentielles. Aujourd’hui, Helen a trois enfants et est installée à Montreal. Et un jour sûrement, nous marcherons de nouveau ensemble sur les routes de France.
République dominicaine - Une journée à Saint-Domingue
Saint-Domingue, 05 Septembre 2019. Le Diario Libre, journal d'information dominicain, présente dans un de ses articles le proces de Maurice le coq, durant lequel le tribunal de Rochefort a donné raison ce jeudi à la propriétaire du coq Maurice, en déboutant de leur plainte les voisins qui l'avaient attaqué pour nuisance sonore. Une victoire pour la ruralité, d'après certains. Mon amie Lery Laura me contacte, amusée, comme son amie qui lui a transmis ce message, lui flânant qu'ils sont divertissants, les problèmes du Premier monde.
Manu: par premier monde, elle fait référence au monde occidental ?
Lery Laura: en l'occurence, elle se réfère à l'Europe.
Manu: tu considères l'Europe comme le premier monde ?
Lery Laura: ben oui. C'est une expression qui se réfère à l'ensemble des pays dont les citoyens ont un niveau de vie élevé. Cela ne fait pas référence à son âge, exactement. Vous ne l'utilisez pas en français, ou veux-tu dire que le terme peut être questionné ?
Manu: non, pas vraiment, il me semble. Et me vient à l'esprit une interrogation: Y a-t-il des ressentiments, en République dominicaine, vis-à-vis de l'Europe ?
Plage El Valle
Lery Laura: en général, non. Il y a de petits groupes qui, dans le juste désir de reconnaître la valeur de notre héritage afro, sont un peu polarisés contre la partie blanche. Mais ils sont très rares. Aussi les gens avec une position politique anti-impérialiste en général, qui vivent ceci très sérieusement. Mais je ne pense pas qu'il y ait du ressentiment. Le Dominicain "moyen" n'a pas assez de formation politique pour développer ce ressentiment :).
Plage de la province de Pedenarles
Rio Las Cuevas, près de la ville de Padre las casas, ville d'origine de Lery Laura
05 Juillet 2020. La République dominicaine élit son président en pleine pandémie. "Après huit années ans de mandat de Medina et huit de Fernandez, il y a une fatigue logique de la population, mais, surtout, un ras-le-bol face aux scandales de corruption et au manque de réponse de la justice" écrit le journal Le Monde. Un ras-le-bol qui s’était exprimé dès janvier 2017 lors de « marches vertes », quand des centaines de milliers de personnes étaient descendues dans la rue – du jamais-vu dans ce petit Etat insulaire de 11 millions d’habitants.
Manu: que penses-tu de ces manifestations ?
Lery Laura: la République dominicaine est mon pays. Je suis heureuse de vivre sur un beau territoire, plein de surprises naturelles et très riche en termes culturels. Mais notre peuple subit les conséquences d'une institutionnalité très faible. Cela se traduit par un niveau élevé de corruption dans l'administration de l'État et des services publics précaires. Pour changer cela, nous, Dominicains, avons une très grande tâche devant nous. Le chemin qui nous attend est immense, en termes d'autonomisation des citoyens, mais ces dernières années, nous avons pris des mesures très précieuses. Trois mouvements citoyens, principalement ou initialement animés par des jeunes, ont été d'une grande importance dans ce processus. Tout d'abord, celui des parapluies jaunes, qui visait à obtenir un engagement du gouvernement à accroître les investissements publics dans l'éducation et à améliorer la qualité de notre système public. Nous avons pris nos parapluies dans la rue jusqu'à ce que l'engagement soit pris. Depuis 2013, l'État alloue l'équivalent de 4 % du PIB à l'éducation. La qualité ne s'améliore toujours pas, nous avons cette partie de l'agenda en suspens. Nous savons également que cette tâche ne peut être accomplie du jour au lendemain. Il n'en reste pas moins que nous avons besoin d'un engagement plus important de nos dirigeants en faveur de l'éducation. Cet engagement ne doit pas se limiter à des ressources, il doit également impliquer un grand effort pour administrer efficacement ces ressources et ainsi parvenir à une meilleure éducation du public.
Los sombrillas amarillas (photo du web)
Le second mouvement est né de l'indignation suscitée par la corruption publique. C'était la Marche verte.
Lery Laura, à une marche verte
De nombreuses personnes indignées par la corruption et l'impunité sont descendues dans la rue pour exiger que les fonctionnaires corrompus soient traduits en justice et même que le président de l'époque, Danilo Medina, démissionne en raison de son manque de volonté à lutter contre ce problème. Cette marche n'a pas eu de résultats concrets de type X nombre de soumissions ou X nombre d'arrestations pour corruption, et le président n'a pas démissionné. Mais elle a eu un poids politique important, car l'image de la corruption incontrôlée du gouvernement s'est imposée dans la population. De nombreuses personnes qui étaient autrefois plus ou moins tolérantes à l'égard de la corruption ont cessé de l'être. Le gouvernement dirigé par Medina a perdu de sa popularité, mais il est resté très fort. Les programmes sociaux d'aide économique et alimentaire ont eu un impact significatif sur la préférence électorale des populations les plus pauvres, de sorte que la possibilité que le parti au pouvoir quitte le pouvoir n'a pas été clairement prévue. Mais il y avait plusieurs articulations qui l'affaiblissaient.
Le troisième mouvement est apparu en février dernier, lorsque les autorités ont suspendu les élections municipales en raison de problèmes technologiques, semble-t-il. Alors les jeunes ont lancé un mouvement pour la démocratie. A cette occasion, les citoyens se sont habillés en noir et ont demandé que les raisons de la suspension soient clarifiées et que de nouvelles élections soient organisées le plus rapidement possible. L'événement (la suspension des élections) était si grave qu'il a scandalisé des personnes qui ne participaient généralement pas aux mouvements citoyens. Mais aussi parce que cela se passe dans une situation électorale, toute l'opposition politique manifestait, ce n'était plus seulement les habituels inquiets (la classe moyenne). De cette façon, l'ampleur du mouvement semblait plus grande que les deux précédents. Cette fois, parmi les moyens de manifester en faveur de la démocratie, il y avait les cacerolazos. À 8 heures du soir, nous sommes sortis sur les balcons pour jouer des casseroles pendant cinq minutes, et nous nous sommes tous sentis surpris et heureux de participer à ce grand concert que pratiquement toute la ville a offert. Les gens se sont sentis unis dans leur but, et le sens du village, de la communauté, est devenu plus fort. Le mécontentement était si fort que lors des élections d'hier, le candidat officiel a été battu malgré le fait que le gouvernement ait investi une quantité immense de ressources dans les programmes sociaux et l'aide, espérant obtenir des votes favorables des bénéficiaires et de leurs proches.Le nouveau président n'est pas particulièrement populaire. Beaucoup de gens le perçoivent comme la seule option qui pourrait faire sortir le LDP du pouvoir à ce stade, mais sans qu'on s'attende à ce qu'il mette en œuvre des transformations majeures. Je pense que l'œil du citoyen est plus fort et cela devrait mettre la pression sur le nouveau gouvernement.
Mouvement pour la démocratie (photos du web)
D'une certaine manière, c'est une percée. J'espère que le nouveau gouvernement sera à la hauteur des exigences de ce peuple.
Manu: tu te sens militante politique ?
Lery Laura: non. Mais je suis une romantique et je soutiens des causes sans issue.
Manu: quel a été ton niveau de participation à ces trois mouvements citoyens ?
Lery Laura: je me suis très impliqué dans le mouvement des parapluies jaunes. Dans la marche verte, c'était moins. Je n'ai assisté qu'aux appels les plus importants des organisateurs. J'ai assisté à deux ou trois manifestations de ce mouvement. Dans le mouvement pour la démocratie, idem. Soutenir le mouvement sans s'engager auprès des organisateurs.
Tu aimes ton pays ? Oui. C'est ma maison.
France/Guyane - Une journée dans la Guyane du Sud
10 ans se sont écoulés depuis cette année en Guyane. Déjà. Une autre époque. La vingtaine. Une autre réalité professionnelle. Mais avec cette chance infinie de vivre à l'époque du Web, il devient possible de continuer à lire et s'enrichir de ces petites expériences du quotidien. Via le web, il devient possible de se connecter à des activités humaines lointaines. Ecrivons une dernière fois sur la Guyane avec les photos des expériences et vécus de quelques copains de l'époque.
Débat mouvant par ici, débat mouvant par là. Ou comment cet outil, fréquemment utilisé dans le monde de l'éducation populaire, l'est aussi dans ce petit coin d'Amazonie qu'est la commune de Maripasoula, par les agents du Parc amazonien de Guyane, dans le cadre de la semaine du développement durable. Les trente participants ont été invités à se positionner (physiquement!) en fonction de leur point de vue (d'accord/pas d'accord) vis-à-vis de sujets volontairement controversés:
- Un hôpital oui, payer non !
- N'importe quel Maripasoulien a le pouvoir de décider !
- L'abattis, c'est l'avenir !
Durant deux heures, ils ont débattus, défendu des arguments, se sont laissés parfois convaincre par le camp d'en face.
Débat mouvant à Maripa Soula (photo d'ici)
Dave, un copain de l'époque, exerce une variété d'activités en lien avec l'animation socio-cuturelle en Guyane. L'une d'entre elle, présenté dans le numéro 21 de la revue "Une saison en Guyane", a consisté en la réalisation d'un documentaire présentant un rite de passage à l'age adulte d'un lycéen amérindien, au sein de la commune de Camopi: le Maraké. Comme l'indique sa page Wikipédia, le Marake est un rituel de passage de la puberté à l'âge adulte chez les jeunes Amérindiens du plateau des Guyanes, et constitue un moyen privilégié pour renforcer la cohésion du groupe et celle de la communauté. Son documentaire en est un beau témoignage...dans cette interview est présenté l'origine du documentaire: "pourquoi ce documentaire ? C'était une invitation de la part du chef coutumier Wayampi, Jacky Pawey, à filmer les danses Wayampi, pour conserver notre mémoire et pouvoir les montrer aux futures générations." En le regardant, on y voit une femme amérindienne expliquant la légende de la fourmi dans le Maraké : "c'est l'histoire d'un homme, un chasseur qui un jour avait tué des vautours...furieux, le grand chef des vautours descend de son royaume pour capturer l'homme. Il lui dit: maintenant, tu seras mon serviteur, va me chercher de l'eau. L'homme se rend à la rivière...en recueillant l'eau de la rivière, il constate que sa callebasse est percée de toute part. L'homme se demande : comment vais-je faire ? Sur son chemin, il rencontre la fourmi noire toucango. Il lui dit: je dois aller chercher de l'eau pour le chef des vautours, mais la callebasse est trouée. La fourmi prend la callebasse, la remplit d'eau et comme par enchantement l'eau reste à l'intérieur. L'homme se demande : quel est ce prodige ? Curieux, il touche l'eau et toute l'eau se renverse. Il se dit: comment vais-je faire maintenant ? Au loin, il aperçoit de nouveau la fourmi noire et il l'appelle, et de nouveau la fourmi vient l'aider. L'eau reste dans la callebasse, bien qu'elle soit trouée. L'homme rapporte donc la callebasse de nouveau, au grand-chef vautour. Depuis ce jour, la fourmi est l'alliée de l'homme. C'est elle qui lui transmet le savoir."
Le Marake de Brandon, sur l'Oyapock
Un autre jour, Jody, un autre copain de l'époque, photographe (re)connu dans le département, est peut-être en train de couvrir une manifestation de ses belles photos dont certaines se retrouvent sur la toile.
Et puis, ici ou là, une variété d'acteurs contribuent à la vie du Parc. Certains sont des scientifiques qui travaillent sur une variété de projets de recherche dans le but de mieux connaître les milieux naturels guyanais. D'autres sont des agents techniques divers et variés.
Agents du parc amazonien de Guyane (photos du parc)
Connaissez-vous cette espèce ? Grenouille taupe-étoilée, crapaud fouisseur ou grenouille à nez de porc... autant de surnoms pour la Synapturanus sp. qui a la particularité de vivre sous terre. Elle a été découverte sur le Mont Itoupé en 2016.
Voilà, clôturons cet article et la thématique "Guyane" en citant cette affirmation de mon manager de l'époque: "en un an ici, tu as juste dégrossi les grandes lignes du département. Il faut beaucoup plus de temps pour le connaître"...et laissons-nous imaginer quelques tranches de vie terrestre sur la base de ces petites rencontres internationales que le quotidien permet de faire facilement au jour d'aujourd'hui en Europe. A bientôt !
Une souris et...ce blog : 10 ans, un petit bilan !
Alors que ce blog est entré dans sa onzième année de vie, et si on faisait un petit bilan ?
Dublin, 2007-2008 : départ en Irlande, découverte de la photo, et du blogging. Des messages postés vite faite bien fait, depuis un café internet, dans une année post-étude et post-bassin lémanique, permet de davantage s'ouvrire à l'Europe. Une autre époque. Le contenu n'est pas trop réfléchi, et propose quelques éléments descriptifs de l'ordre de la vie privée : rencontres internationales, découverte de l'île, premières expériences professionnelles post-études. Cayenne, 2008-2009 : là-aussi, une autre époque. Le blog commence à se structurer, à avoir un contenu davantage technique, plus poussé. L'expérience guyanaise est forte, car faîte de nombreuses nouveautés : continent, emploi, climat, nature...ces expériences de mobilité internationale donnent de belles envies pour se lancer dans un engagement associatif dans le monde du volontariat, relaté par quelques articles ici où là, toujours dans une logique de loisir et de doucettes réflexions : ce blog n'est pas un blog professionnel.
Après 10 ans, le lectorat se veut réduit. 150 000 visiteurs environ, avec un nombre de pages par personne proche de 2. Peu de commentaires, en dehors de ceux des copains. Et puis du côté du rédacteur, les envies changent aussi : moins de plaisir à photographier. Des idées d'article, mais avec moins d'inspiration pour les rédiger. Envie de découvrir de nouvelles activités de loisir. Et puis, tout aussi important, envie de repasser en mode plus discret et intime. Parler de ses expériences fait partie de la vie, représente une envie voire un besoin à certains moments de la vie. Et parfois, c'est l'inverse. Au jour d'aujourd'hui, c'est le cas...plus d'envie de parler de soi, plus envie de photographier, et un manque de plaisir à prendre du temps pour alimenter le blog...alors, que faire ? Le fermer ? Faire une pause significative avant de retrouver de la motivation ?
Petit à petit germe toutefois une idée: et si ce blog personnel continuait pour parler uniquement d'autrui ? Pour revenir à un contenu plus simple, moins théorique, tâchant d'affirmer une seule chose : "le monde sera celui qu'on s'imagine". Les journaux et leur site web proposent toujours le même contenu, car c'est leur objectif vital. Tout ce contenu n'est que lié à la politique, l'économie, les catastrophes, les guerres etc. Et si on essayait d'avoir un regard plus simple, celui de toutes ces personnes dont on ne parle jamais mais dont la tranche de vie mérite aussi une attention. Cultivons un monde, sur la base de ces rencontres, dans lequel :
- on parlera peu de soi, mais beaucoup des autres;
- chaque situation présentée sera considérée avec la même valeur;
- on ne parlera (presque) que de choses positives;
- on parlera un peu de politique, un peu plus de politiques publiques, mais surtout beaucoup d'êtres humains.
Je ne trouverai peut-être pas l'inspiration à continuer ce blog...mais je vous invite à venir y jeter un coup d'oeil une fois de temps en temps.
Une souris et...Kero & Ocu, artistes roumains
Baigner dans le monde du travail volontaire permet notamment d'être au contact, sur des projets, avec des personnes exerçant une variété de métiers: tailleurs de pierre, charpentiers, animateurs professionnels...mais aussi artistes. En ce mois de septembre 2017, me voilà au contact de 2 artistes roumains venus participer à la réalisation d'une fresque au sein de la commune de Clermont-l'Hérault, dans le cadre d'un échange de jeunes Erasmus+: Kero et Ocu. Ce beau couple, originaire de Cluj-Napoca, est à Montpellier pour une dizaine de jours, dans le cadre d'une exposition et pour la réalisation de la fresque. C'est ensuite tout naturellement que je me penche sur leur page facebook pour m'évader un peu dans cet univers méconnu.
Ces rencontres sont riches et elles proposent une autre manière de s'investir dans les sociétés humaines. Une autre manière de percevoir le monde. Une manière de s'engager avec plus de coopération, où, comme le propose le dernier editorial de Concordia, de devenir progressivement un esprit libre: "au départ, il y a toujours une impulsion individuelle, personnelle et singulière. Vouloir se rendre utile, aller à la rencontre de l'autre, voyager, intégrer un groupe et se découvrir des savoir-faire inédits. Se mettre en mouvement avec humanisme, voilà l'essentiel. Déplacer son centre de gravité vers un ailleurs, chercher le contact avec l'inconnu, pour mieux se comprendre ensuite soi-même. Devenir un esprit libre. Etre un esprit libre n'est pas aisé. Cela passe par la pratique, l'échange, sans relâche : afin que le mouvement initié se confronte à d'autres réalités vécues, y trouve de l'écho et puisse être encouragé.
Les patrimoines historiques, environnementaux et sociaux sont nos biens communs. Ils ne se limitent pas à une commune, une région ou un pays. Ils sont des objets à défendre, à valoriser. Ils ont leur place dans l'espace social et nous devons poursuivre nos efforts pour les générations à venir. C'est l'intérêt général qui prime dans nos actions.
Qu'en pensent Kero et Ocu ? Je ne sais pas. Ces deux compères sont allés peindre un mur ailleurs, laissant leur trace dans les jeunes esprits des héros de ces projets : Arpi d'Arménie ou Liza d'Allemagne. Il y a eu échanges sur le patrimoine historique des pays respectifs de chacun. Et aujourd'hui, les voilà sur un autre mur, quelque-part en Europe. Une vie de bohème sur les routes du vieux continent, dans les petits villages comme les métropoles mondialisées.
Une belle rencontre, parmi tant d'autres, qu'offre le monde du travail volontaire.
Une souris et...Esra & co, rencontres franco-turques en France
Une des conséquences de la rencontre interculturelle est celle d'ouvrir doucettement son esprit à de nouvelles réflexions, à de nouvelles envies, d'évoluer un tant soit peu dans son rapport à l'existence, à l'altérité, de rester mobile et souple, intérieurement et sociétalement. S'il y a bien un pays pour lequel mon intérêt, en tant que Terrien lambda, a considérablement évolué depuis quelques temps, c'est bien la Turquie. Pourquoi donc ? Est-ce le fait d'avoir cotoyé quelques personnes de ce pays dans le cadre des échanges internationaux et de Concordia ? En tout cas, ce n'est sûrement pas le traitement médiatique qui est fait de la politique de ce pays dans le contexte actuel de la région, qui influencera mon intérêt. Faire attention à la TV, toujours, voire ne jamais la regarder, sans doute. Croiser les regards des différents journaux pour tenter de se faire un avis sur un sujet, aussi. Et bien sûr, toujours, bien avant le reste, essayer d'être en contact, même virtuellement, avec quelques habitants du territoire interrogé. Le plus intéressant, même sans sortir de chez soi. Partager le "Manière de voir" des journalistes, partager les manières de voir des copains. Alors pour un tout petit peu mieux "connaître" la Turquie, lisons avec intérêt ce numéro 132, et évadons-nous un peu avec quelques belles photos des copains turques.
Des copains turques, des manières de voir, et des Manière de voir
Le pays subit des évènements politiques importants depuis quelques années, et il est intéressant d'associer certains évènements médiatisés avec une expérience personnelle. Ainsi, un article du Manière de voir cite Beytö, un jeune Kurde de 18 ans, sans emploi : pour lui, les jeunes aimeraient avoir des lieux pour se rencontrer, découvrir de nouvelles idées. Mais c'est surtout la mentalité qui doit changer. Peut-être qu'Esra, une belle personne dont je vous avais présentée les motivations à venir faire un SVE aujourd'hui réalisé à Lyon, pourrait le contacter et le mettre en relation avec son mouvement de jeunesse, Yasom ? Lors d'un de mes échanges avec elle, elle m'avait indiqué que l'organisation montait notamment des workshops d'éducation interculturelle à destination de la jeunesse de Turquie.
Yasom, organisation de jeunesse turque d'Esra
Esra, volontaire SVE sur un chantier international, 2016
Reyhan, jeune femme de 27 ans, avec qui j'ai animé ce beau chantier international de Mouleydier en août 2015, était volontaire SVE au sein de la délégation Aquitaine de Concordia. C'est la première Stambouliote que je rencontre. Mon premier contact avec elle se fait par mail le 13 juin 2015. Ce jour-là, elle m'écrit dans un français presque parfait : bonjour Emmanuel ! Je m'appelle Reyhan, je suis turque et je suis actuellement en SVE à Concordia. je serai l'animatrice vie de groupe avec toi dans le chantier de Mouleydier. J'ai déjà fait trois chantiers il y a quelques années et je pars en formation d'animateur ce week-end. Cette semaine j'ai visité le chantier et c'est super joli. Le travail c'est de nettoyer les pierres et les murs autour d'un canal et même si je connais pas grand chose, il semble assez facile.
Le Manière de voir propose un article sur les chemins escarpés du pluralisme. Extraits. "De plus en plus, et pas seulement en Turquie, la démocratisation et l'autoritarisme vont main dans la main." Yesim Arat, professeure de science politique à l'université Bogazici, soulignait ce paradoxe durant l'été 2013, alors que les Turcs tentaient d'analyser l'impact des mouvements de contestation qui avaient éclaté à Istanbul et s'étaient étendus à tout le pays. Les manifestants s'étaient mobilisés contre un projet de développement du parc Gezi, au coeur d'Istanbul, qui liquidait un des derniers espaces verts dans le centre-ville. Leur colère avait été alimentée par la réponse autoritaire et arrogante du premier ministre Recep Tayyip Erdogan à leurs revendications."
Reyhan, dans une manifestation à Istanbul
("Ne croyez pas. Un jour, la direction du vent qui vénère le soleil et le pénis changera certainement")
Bien sûr, nos échanges sont le plus souvent généraux, sur la vie de tous les jours, comme tout échange normal entre 2 Terriens. Et grâce à nos amitiés facebook, il est possible de découvrir quelques scènes de vie de cette lointaine Turquie, plus douces et positives que les photos médiatiques des évènements récents. C'est ainsi que je pioche ces belles scènes de vie stambouliotes de ce début du 21ième siècle.
Scènes de vie à Istanbul
Mais à Concordia, par définition, ce n'est pas une rencontre internationale que l'on fait, mais beaucoup...lorsque je vivais à Clermont-Ferrand, j'ai eu la chance de loger deux nouveaux volontaires SVE turques, Irem et Ibrahim. Hé oui, dans ce beau monde des échanges internationaux, les organisations turques sont particulièrement actives et envoient nombre de jeunes adultes du pays sur des projets en Europe ou dans le Monde. Irem et Ibrahim viennent de finir des études en sciences politiques à Istanbul, et notre amitié facebook me permet de piocher ces deux photos pour m'évader un peu dans cette ville.
Une journée à Istanbul, 2016, avec Irem, tout devant, et Ibrahim, tout à droite
Irem et Ibrahim, à gauche, avec leurs potes, posant comme les acteurs d'une série star en Turquie, Aşk-ı Memnu
Irem, installée depuis 6 mois en Auvergne, me confie être membre des Stambouliotes, un groupe facebook de rencontre entre Français et Turques qui veulent apprendre le Français, lors de soirées polyglottes, notamment au café des Augustes. Nous évoquons aussi la situation d'une partie des Franco-Turques, ces Français issus de l'exil des générations précédentes. Elle en discute avec une de ses amies, et évoque les grandes difficultés d'une partie de ces personnes à vivre au sein du territoire national. Elle me dit aussi avoir le sentiment qu'une partie de ces personnes ne vivent aujourd'hui pas comme les Turques de la Turquie du 21ième siècle, mais comme la Turquie d'"avant".
A Reignier, commune un peu triste de Haute-Savoie, au Poulpe, principal lieu de socializing du canton, je rencontre en ce mois de novembre 2016 trois Franco-Turques qui travaillent dans une entreprise de BTP. Ils ont grandi en France et sont très sympas. Peut-être qu'avoir été proche de Reyhan et Esra en 2015 m'aura donné plus spontanément envie de discuter avec eux que je ne l'aurais fait plus jeune. L'un me dit qu'ayant grandit ici, il est français. Logique. Qu'il a hésité à un moment à partir s'intaller en Turquie, mais n'y est pas arrivé. Un autre me dit, que Turque ou Français, on s'en fiche, c'est sans importance, c'est la même chose. Alors qu'il y a actuellement une sorte de fixation médiatique sur les notions identitaires en Europe, finissons ce petit article sur ces belles rencontres franco-turques par des extraits de la chanson Maché Becif des artistes de la Dub Inc :
Chante ta version mais chacun à la sienne,
on a rien en commun mais j'te dis "pas de problèmes",
chacun ses convictions, chacun sa mise en scène,
même couleur dans nos mains, malgré notre épiderme,
les consonnes peuvent se lire s'il y a des voyelles,
le futur de nos vies se conjugue au pluriel
je n'ai aucune réponse, que des questions,
rien ne me convient dans toutes les explications
ce qui s'annonce n'est pas ma direction,
et si je me trompe d'où viendra la sanction ?
Qui peut croire nous imposer, un seul regard sur notre idéal ?
On ne fait que rechercher, un équilibre entre le bien et le mal
Quand l'eau est trop profonde je reste sur la rive,
Noyé dans un désert, une terre aride,
Et quoi qu'il arrive, il faut trouver l'équilibre,
entre accepter nos chaînes et rester libre,
et tant qu'il le faut !
Prévenir les autres de la dérive,
car beaucoup d'entre nous sont unanimes,
Et tant qu'il le faut !
On le dira dans toutes nos rimes :
LE MONDE SERA CELUI QU'ON S'IMAGINE !
France/Auvergne/Puy-de-Dôme - Une année à Clermont-Ferrand
Ah, la Terre du milieu. Belle image que le Gorafi a proposé comme nom de la nouvelle région Auvernge-Rhône-Alpes. Mes quelques représentations sur l'Auvergne et sa préfecture régionale, Clermont-Ferrand, étaient plutôt négatives. Une opportunité de logement m'aura induit à m'y installer temporairement...et quelle excellente surprise ! Et pourtant, certains reportages le confirment, la ville souffre plutôt d'une mauvaise image pour beaucoup de Français de métropole, et n'attire pas plus que cela. Pour pallier à ce déficit, la collectivité régionale donne des coups de mains financiers...mais pourtant, quelle qualité de vie !
Printemps 2015. Il y a encore de la neige sur le Puy-de-Dôme. Il fait froid dans les petites ruelles qui mènent au Home Dome. D'un coup, je retrouve Jana, une copine allemande rencontrée dans le cadre d'un engagement au sein de l'Alliance européenne des organisations du service volontaire international, qui est présente en Auvergne dans le cadre d'une formation européenne pour les formateurs d'animateurs. Ce jour là, je me demande bien dans quelle ville j'ai mis les pieds. Car c'est la connotation de grisaille qui prédomine dans mon imaginaire : les couleurs lave des bâtiments, et bien sûr, l'industrie pneumatique bien connue.
Mais rapidement, le ton change. Grâce à la découverte d'un excellent café-lecture, le café des Augustes, et du centre-ville : le jardin Lecoq, la place de Jaude, les ruelles vivantes, les multitudes de terrasses un peu partout, la cathédrale qui surplombe la ville et en offre au grimpeur une vue à 360°. Clermont-Ferrand fait sans doute partie de cette France des métropoles que décrit le géographe Christophe Guilly dans son livre médiatique sur la France périphérique. Selon lui, miroir des dynamiques économiques et sociales, les métropoles constituent des vitrines de la mondialisation heureuse, et illustreraient la société ouverte, déterritorialisée, où la mobilité des hommes et des marchandises est source de création d'emplois, de richesse et de progrès social. Dans ces territoires dans lesquels sont inclues les quartiers des politiques de la ville, les dynamiques de gentrification et d'immigration ont en effet donné naissance à des territoires très clivés, favorisant ainsi une inégalité sociale et culturelle sans précédent. Mais pourtant, si les tensions sociales et culturelles sont bien réèlles, le dynamisme du marché de l'emploi permet une intégration économique et sociale, y compris des personnes précaires et immigrées. A Clermont-Ferrand, un des symboles de la ville est la muraille, barre HLM assez impressionnante mais située à quelques centaines de mètres des bâtiments universitaires. En opposition, la France périphérique, territoires à l'écart des métropoles, serait la source des futures radicalités sociales. Il est intéressant de lire ce genre d'écrits de géographie ou sociologie et de réfléchir à son propre vécu dans la société française, ou toute autre territoire. En reprenant l'exemple de mon expérience de vie à Ambérieu-en-Bugey, il y a des comparaisons possibles entre la relative solitude sociale vécue à l'époque, parfaitement mise en opposition avec des évènements interculturels tels que les soirées couchsurfing, polyglottes et concordia vécues ponctuellement à Lyon. Finalement, bien que le Bugey soit une région agréable à vivre pour une personne souhaitant s'installer en campagne, il est certain que le vécu dans la France des métropoles est plus riche en échanges interculturels. A Clermont-Ferrand, je retiendrai avec plaisir le fait que mes anciens voisins étaient chinois, et ont été remplacés par des étudiantes algériennes.
Alors oui, à titre personnel, cet interculturel quotidien est vécu de manière très heureuse, même si, malgré cette prise de position utopiste dans laquelle j'imaginais que ce pourrait être le cas pour tout le monde, il ne l'est pas pour tous, à l'image de cet homme qui a méchamment demandé à un voisin de rue de retourner dans son bled. Quant à Clermont-Ferrand, c'est donc une belle surprise. Et puis qui dit Clermont, dit Auvergne. Et prendre le temps de visiter les petits villages aux alentours de la préfecture n'est que source de plaisir. Alors oui, ces fichues représentations qu'on peut avoir sur un territoire, une région, un pays, gare à elles et aux erreurs de perception qu'elles peuvent induire !