Canada/Quebec - Une journée à Chibougamau
Avril 2008. Sur un forum, je discute avec Helen, Québécoise de Chibougamau. Vous n’avez jamais entendu parler de ce nom ? Peut-être associez-vous le Quebec à ses deux principales villes, Montréal et Quebec ? Chibougamau est une petite bourgade de 7500 âmes située dans la région administrative du Nord-du-Québec. Un de ces bouts du monde dont on n’entend jamais parler en Europe. Alors aujourd’hui, parlons-en un peu ! Helen m’en parlera, elle, en Haute-Savoie. En effet, nous sympathisons rapidement, alors je lui propose de venir découvrir un petit coin du bassin lémanique pendant 10 jours. Et depuis cette autre époque, nous discutons fréquemment…mais les aléas de la vie ne nous ont pas encore permis de nous revoir. Comme ce blog se consacre aujourd’hui principalement à présenter des tranches de vie des copains de la planète, c’est aujourd’hui d’une tranche de vie québécoise dont nous allons parler.
Helen naît en 1980 dans cette petite ville d’un père «blanc» et d’une mère «Cri». Avec ces « », prenons du recul concernant toutes ces catégorisations sociales tellement habituelles mais si malheureuses. D’autant plus malheureuses, qu’ elles sont en l’occurrence impactantes dans le Nord québécois. Le toponyme de Chibougamau contient les racines cries «Shabo» (au travers) et «Gamaw» (lac), de sorte que Chibougamau signifierait : lac traversé de bord en bord par une rivière. Certains penchent au contraire pour le sens innu «lieu de rendez-vous». Les «Cris» sont l’un des peuples algonquiens d’Amérique du Nord, Premières Nations (peuples amérindiens ni Inuits ni Métis) appartenant à un vaste ensemble autochtone du Canada et des Etats-Unis.
Helen et sa maman, Chibougamau, 1980
Sa maman avait la réputation d’être la plus belle femme Cri de la ville. Elle était analphabète, et du fait qu’elle était mariée à un homme non Cri, avait perdu ses droits autochtones. Elle faisait de l’artisanat, et s’occupait d’enfants des autres, un peu sous la forme des services sociaux mais de manière plus traditionnelle, non formelle. Enfant, lorsque les agents du Fédéral venaient ramasser de force les enfants des familles autochtones pour les amener aux écoles résidentielles, sa maman se sauvait dans le bois pour s’y cacher. Personne n’arrivait à fuir, ou presque. Sa maman, si. Ces écoles résidentielles correspondaient à l’enseignement public en internat destiné aux jeunes autochtones. Comme expliqué sur la toile, Il s'agissait d'institutions destinées à scolariser, évangéliser et assimiler les enfants autochtones. Au cours du XXe siècle, le Département des Affaires Indiennes encouragea les internats pour autochtones afin de favoriser leur assimilation. Cette pratique, qui séparait les enfants de leur famille, a été décrite comme le fait de « tuer l'indien dans l'enfant ».
Canada - Localisation des écoles résidentielles
Enfant, Helen était une des rares Cri dans son établissement scolaire et a également subi beaucoup de racisme systémique. A 14 ans, Helen quitte Chibougamau pour vivre avec son petit ami au sein de la communauté d’Oujé-Bougoumou. Ensuite, elle part vivre à Alma avec sa sœur qui étudiait, et lui garde ses enfants. Après un retour à Chibougamau, elle reprit l’école, termina son secondaire 5 tout en travaillant dans un restaurant comme serveuse. Puis, départ à Montreal, avec des retours fréquents à Chibougamau pour y travailler l’été.
Le grand-père d’Helen, Chibougamau, 1980
C’est pendant un de ces étés qu’elle travaille au département du service au patients cris, et qu’elle tombe alors en amour avec eux. Elle se lance alors dans l’obtention d’un certificat universitaire à distance et une technique en soins infirmiers.
Groupe de "2e année" en soins infirmiers lors de la simulation extérieure au centre d'études collégiales, Chibougamau, 2014
Helen repart ensuite à Montreal en soins infirmiers, et s’oriente à ce moment-là dans une carrière dans l’administration des établissements hospitaliers. Aujourd’hui, elle fait une belle carrière en étant directrice du département du Conseil cri de la santé et des services sociaux de la Baie James. En effet, comme l’explique cet article le manque de services de santé dans le Nord engendre le déplacement de personnes Cris dans le Sud, à Montreal par exemple. Or, un simple voyage peut générer jusqu’à plusieurs années d’éloignement pour les personnes concernées.
En 2018, il y a eu plus de 21 000 visites de patients cris dans le Sud, pour la consultation de médecins spécialistes. De nombreux patients cris envoyés au sud pour y être soignés ont le droit d'être accompagnés d'une personne, par exemple un membre de leur famille, pour avoir un soutien voire un interprète. Dans le département dirigé par Helen, une cuisine commune, une salle d’activités et une salle spirituelle ont été construites. Quand ils vont dans ces espaces, ils sont ensemble et oublient qu'ils sont à Montréal, explique Helen, ajoutant que beaucoup de patients sont des survivants des écoles résidentielles. Aujourd’hui, Helen a trois enfants et est installée à Montreal. Et un jour sûrement, nous marcherons de nouveau ensemble sur les routes de France.