Une souris et...Ginna, de Barranquilla à Nancy
Nancy, printemps 2021. Alors que le troisième confinement touche à sa fin, je rencontre, dans l’ascenseur de mon immeuble, une étudiante en école d’ingénieur en génie chimique. Ginna, 24 ans, vient de Barranquilla, ville du Nord de la Colombie baignée par la mer des Caraïbes. Alors que les échanges internationaux d’étudiants ont chuté de 40% en 2020 dans le contexte de la crise sanitaire, voilà que Ginna vient aider, en tant qu’assistante de vie, une dame âgée dont je suis le voisin. Je profite de cette rencontre fortuite pour proposer à Ginna de travailler de manière informelle son français et mon espagnol, et pourquoi pas de découvrir un ou deux coins de la région…car sans voiture, difficile de sortir des sentiers battus, encore plus quand on est à l’étranger.
Le nom de Barranquilla m’était inconnu, avant cette rencontre. Ginna y a passé son enfance : « j’ai vécu toute ma vie à Barranquilla. Dans mon enfance, j’ai étudié dans une école catholique dans laquelle on m’a enseigné des valeurs orientées vers le service des plus démunis. J’ai donc participé à différents travaux bénévoles pour aider les enfants aux ressources limitées. Pendant cette période, j’ai réalisé différentes activités éducatives et j’ai livré des articles pour les études avec les enfants du secteur de Tasajera Magdalena. Pendant mon adolescence, j’ai développé mon goût pour la lecture et l’écriture, j’ai participé aux concours d’écriture de l’école et j’ai écrit différentes histoires pour les enfants. En même temps, j’ai aidé mes parents dans l’entreprise familiale, une épicerie, ce qui m’a appris à être responsable et indépendante dès mon plus jeune âge. Cependant, je n’avais pas de temps libre. De plus, mes parents travaillaient toute la journée et tous les jours. Pour cette raison, ma famille ne cèlèbre pas Noël et les fêtes. De mon enfance, je me souviens que toutes les familles se réunissaient ce jour là pour préparer le diner, mais nous nous étions toujours occupés.
Barranquilla, capitale du département Atlantico, Colombie
C’est donc par un doux dimanche de Juillet 2021 que nous nous retrouvons à visiter les jolies communes de Colmar et Riquewihr.
Une journée à Colmar
Ballade à Riquewihr et sur la route des vins d'Alsace
Quel est le plus sympa : traverser l’Atlantique pour aller voir un troupeau de Lama dans les Andes, ou aller dans les Vosges et faire découvrir un troupeau de mouton à une Baranquillera qui n’en a jamais vu ? Une solution alternative serait de faire découvrir à une Baranquillera un troupeau de Lama dans les Vosges.
A la fin de son séjour, Ginna est partie vivre à Lyon et a rejoint des compères colombiens installés dans la cité des Gones. Ceux-ci sont engagés au sein de l’association Colombia Nueva, fondée en 2011, ayant pour objectifs fondamentaux de promouvoir l’intégration et le développement de la communauté colombienne, ainsi que de fortifier les liens de fraternité entre la Colombie et la France. Lors du forum des associations de Lyon 8, ceux-ci nous ont partagé quelques danses colombiennes.
Danses colombiennes avec l'association Colombia Nueva, Lyon, Septembre 2021
Comment Ginna a vécu, globalement, son séjour ? Voilà son témoignage.
« Changer de pays, de culture et même de fuseau horaire a été l’une des expériences les plus exigeantes que j’ai vécues dans ma vie. Lorsque je suis arrivé en France, j’ai commencé à découvrir un nouveau monde, du système éducatif aux procédures administratives. Comme pour tout changement, il faut du temps et de la patience pour s’adapter à la nouvelle façon de faire les choses. Mon projet de venir en France était principalement éducatif. Mon objectif était d’étudier un Master en génie chimique ou des procédés axés sur la formulation des produits. C’est ainsi que je suis arrivé à Nancy, où se trouve l’école ENSIC, qui jouit d’un certain prestige au niveau national. » En étant à Nancy j’ai réalisé que la France n’est pas seulement ce qui est vendu dans les films, c’est un pays multiculturel plein de diversité tout au long du pays. Tout comme en Colombie, chaque région a des coutumes très marquées et différentes, où la combinaison de toutes ces différences ajoutées au fait d’être un pays ouvert aux étrangers fait de la France un pays charmant où que vous vous trouviez. Bien que Paris soit merveilleuse, charmante et romantique, ce n’est pas la seule chose que vous devriez visiter, car chaque région a des endroits qui sont vraiment superbes.
Culturellement, les Colombiens, en particulier les Barranquilleros, sommes des gens habitués à la communauté et au bruit. En France, j’ai observé que globalement les gens préfèrent les environnements calmes et paisibles. Retourner en France serait un rêve pour moi, principalement parce que je me suis identifié aux environnements calmes et sûrs, et que je considère que c’est un pays doté d’une grande diversité culturelle et naturelle que je veux continuer à explorer.
Quand j’étais en Colombie, je pensais que tout ce qui concerne la France était centré sur Paris. J’ai remarqué qu’il y a certaines choses qui sont comme ça mais que chaque région peut avoir une composante culturelle et historique beaucoup plus marquée. La ponctualité, la rigueur et de la bureaucratie sont les représentations qui je crois se remarquent bien chez la plupart des Français. Cependant, en Colombie, j’avais entendu dire que les Français n’aimaient pas travailler, aujourd’hui je peux dire que ce n’est pas vrai et que c’est une idée très fausse, c’est une idée que le capitalisme nous a vendue en Colombie et ce que je crois, c’est que la France est un pays juste, où on a le droit à une vie digne et où la qualité de vie de ses citoyens est prise en charge, ce qui n’arrive pas dans les pays comme la Colombie où les hommes d’affaires pensent dans un système capitaliste.
Je pense que mon identité de Colombienne n’a pas changé pendant cette année. Mais j’ai appris différentes choses que je peux incorporer à ma vie actuelle. »
Et si on regardait cette expérience avec une dimension plus théorique ? Magali Ballatore, chercheure, a écrit une publication très intéressante sur les échanges internationaux en Europe et les apprentissages qui en découlent (Revue internationale de sciences sociales / Hors-série n° 3 – 2011, (57-74) juillet-septembre 2008). Quelques extraits peuvent renforcer la compréhension du vécu de Ginna dans son expérience de mobilité internationale : "le « tout petit monde », comme le nomment Anne Barrère et Danilo Martuccelli, où il serait possible de circuler sans entrave, de se sentir « partout » chez soi, d’être bien reçu et traité dans des cadres spatiaux profondément semblables et peu dépaysants », reste toujours du domaine de la fiction littéraire. Y-a-t’il vraiment « une ligne de démarcation » qui séparent ceux qui, « comme bien des individus du « Sud », possèdent encore le rêve d’un ailleurs (notre « ici ») et tous ceux qui, habitants blasés du Nord, n’en disposent plus » ? Le « Nord », notre « ici », est en réalité fait d’une pluralité de situations socioéconomiques difficilement assimilables pour une même analyse. En quoi et pour qui la mobilité géographique a-t-elle un impact particulier ? « ... » Pour la quasi-totalité des étudiants, le bien-fondé de leur séjour se situe en dehors des apprentissages strictement disciplinaires. Par exemple, le nombre important de termes, dans leurs discours, qui se réfèrent à la découverte de la ville, à l’ordre, au désordre et aux habitudes vestimentaires, alimentaire, montre l’intérêt des étudiants en échange international pour le pays d’accueil. Mais tout se passe comme s’ils étaient simple spectateur ou si le séjour était un film dans lequel ils n’étaient que figurants. Les connaissances culturelles acquises sur une base strictement descriptive et comparative n’améliorent pas forcément leur compréhension du pays d’accueil. La perspective binaire chez certains étudiants (le seul élément stable étant souvent le pays d’origine) accentue le déséquilibre et produit une réification d’autrui, alors que la volonté déclarée de ces programmes est l’échange et la reconnaissance interculturelle. La confrontation culturelle avec des formes de l’altérité, vécue parce que les étudiants en échanges internationaux se placent souvent en marge, peut induire un abus des explications culturalistes. Ces dernières vident les cultures de leur complexité, de leur historicité et de leurs conflits internes (Papatsiba, 2001). Dans les acquis culturels du séjour étudiant à l’étranger, si nous pouvons les nommer ainsi, ressort une « connaissance mosaïque », souvent vidée de la recherche de cohérence, de liens. Il est vrai que les échanges permettent de vivre une altérité exponentielle, mais tous les étudiants sont loin de posséder la même capacité empathique nécessaire à la compréhension, qui s’acquiert souvent durant la socialisation primaire.
Magali, dans le cadre de ses recherches, a ainsi pu constater qu’il existe différentes manières de vivre la mobilité, et ainsi, dresser une typologie des comportements relatifs aux différents degrés de manipulation des codes culturels et sociaux. L’échelle des comportements va du repli sur sa culture d’origine, avec un réinvestissement faible ou nul et l’absence de nouvelles mobilités, jusqu’à la perméabilité quasi-totale à la culture du milieu d’accueil et la volonté d’y résider définitivement. De cela sort des idéal-type d’étudiants.
Le premier est l’étudiant « défensif », qui cherche, lors de son séjour à l’étranger, ainsi à se construire pleinement en « étranger ». Il organise une mise en scène de son « univers originel ». Les influences culturelles extérieures semblent peu pénétrer l’univers cognitif de ces étudiants défensifs, qui se tiennent donc « à distance raisonnable » des membres de son pays d’accueil tout en maintenant des liens forts avec ceux de son pays d’origine.
L’étudiant « opportuniste », pragmatique, mettant en scène avant tout l’adaptation à l’environnement. Il tentera de connaître le plus d’autochtones possible, participera souvent aux activités de l’Université, afin de tirer le meilleur bénéfice de son année d’études à l’étranger, en fonction des objectifs de départ qu’il s’était fixé. De retour dans son pays d’origine, il tentera de réutiliser les compétences acquises, parfois tardivement, dans des projets distinctifs et continuera le jeu de la perpétuelle migration, d’un mode d’être à un autre en s’inscrivant dans de nouvelles mobilités.
L’étudiant « transnational », dont le discours en appelle au plurilinguisme, à l’esprit cosmopolite et au développement d’activités « interculturelles ». Le séjour à l’étranger a, de ce fait, été un véritable «laboratoire» de façons d’être. La culture international est d’autant mieux transmise que l’épreuve de la mobilité internationale et du voyage est perçue comme un accomplissement des dispositions anciennes. A son retour, l’étudiant va donc « naturellement » se tourner vers des carrières qui permettront de nouvelles expatriations, tout en gardant ses repères identificatoires.
L’étudiant « converti », dont les facteurs répulsifs de la société et/ou de l’Université d’origine ont été déterminants, beaucoup plus que les facteurs attractifs du pays d’accueil. L’expérience entraîne pour lui le désir de réorienter ses études, sa trajectoire à la lumière des découvertes effectuées dans le pays d’accueil."
Où se situe Ginna dans ces quatre idéal-type ? L’avenir nous le dira. Mais pour le moment, elle a sans doute beaucoup de choses à raconter à ses ami(e)s là-bas, en Colombie !
Remise d'un premier diplome, 2018
"La distancia no es nada cuando tiene un motivo" (Jane Austen)