République dominicaine - Une réelle journée à Saint-Domingue
Avril 2022. Après 8 ans d'échanges variés, je profite de ce calme dans la crise sanitaire pour enfin aller rencontrer mon amie Lery Laura dans son cadre de vie : la capitale de la République dominicaine, Saint-Domingue. 8 ans ! Au salon de coiffure de Nancy, la jeune femme s'occupant de ma coupe n'en revient pas ! Mais êtes-vous sûr que ce sera bien elle, au moins ? Oui, quand-même. Le billet est acheté, la place est réservée. Aller-retour Paris-Punta Cana, du 30 Avril au 8 Mai. Lery travaillera en journée : les Dominicains n'ont qu'environ 15 jours ouvrables de congés payés par an et il ne nous a pas été facile de trouver un créneau durant lequel les congés seraient arrangeants pour les deux. Quant à la période des fêtes, les billets sont nettement plus chers et finalement, est-ce que cela est vraiment intéressant ? L'objectif du voyage : bien avant le reste, rencontrer concrètement Lery, découvrir une capitale, échanger un peu avec ses habitants. Une façon de voyager qui était plus délicate à mettre en oeuvre, il y a encore seulement 20 ans, avant l'ère du Web. Bien sûr, de nombreux dispositifs d'échanges et de rencontres internationales existaient, mais en dehors de ces cadres structurants, cette possibilité d'échanger et de rencontrer d'autres compères de la planête était sans doute plus difficile à mettre en oeuvre.
30 Avril. L'avion de ligne décolle d'Orly. Autour de moi, une famille entière part se détendre dans un resort all inclusive de Punta Cana. Ils sont 9, des grands-parents aux petits enfants, et essaient de se retrouver ensemble une fois par an. Le vol se déroule très bien, et 9h30 plus tard, attérit à l'aéroport de Punta Cana. A la sortie, Lery est là. Nous ne nous sommes jamais rencontrés, mais pourtant tout est si naturel dans nos échanges, comme si nous étions amis depuis l'enfance. Les grands réseaux sociaux sont moins concrêts qu'un chantier international, mais eux en revanche ne s'arrêtent pas subitement au bout de quelques semaines. Nous avions prévu de passer le week-end dans un resort, pour faire un peu de plage et à titre personnel que je me rende compte à quoi cela ressemble. 2 jours suffisent à se faire une idée du principe, et permettent de se rappeler d'une statistique étonnante : 90% des touristes de République dominicaine ne visitent qu'1% du pays. Ces resorts permettent sans doute à leurs clients de vivre un vrai séjour de farniente et de détente, mais sont en contrepartie très peu représentatifs de l'île. Comme l'écrit un des deux livres-guides que j'ai à ma disposition : Punta Cana c'est bien EN République dominicaine, mais ce n'est pas non plus LA République dominicaine.
Pic d'Hispaniola, espèce endémique de l'île
Les algues Sargasses, phénomène naturel problématique des Caraïbes
Lery Laura et Manu côte-à-côte, enfin !
Après un trajet Punta Cana - Saint-Domingue durant lequel s'observent les mono-cultures de Canne-à-Sucre, nous voilà à la Feria international del libro dans la Zone Coloniale, centre-ville historique de la ville, avec notamment l'exposition immersive sur le peintre surréaliste dominicain Tovar. Un pavillon entièrement destiné aux liens avec l'Union Européennee est ouvert au grand public, à l'entrée duquel il est possible d'écrire un petit post de soutien aux Ukrainiens.
Le lendemain, je décortique mon guide de voyage et nous parlons avec Lery de son contenu. Celui-ci recommande notamment de ne jamais conduire la nuit en République dominicaine. "Ton guide est une torture !", me dit-elle...beau symbole du différentiel existant entre les recommandations aux touristes et la vie quotidienne de l'habitant du lieu visité. Je pars ensuite découvrir les musées de la place de la Culture: le musée d'Histoire Naturelle pour commencer. L'intérêt de ce musée réside en ce qu'il permet de découvrir les différentes espèces endémiques d'Hispaniola, ainsi que les principaux milieux naturels de l'île. On y apprend notamment que l'oiseau national de République dominicaine est l'Oiseau-palmiste (Dulus dominicus), endémique de la région géographique. il s'agit d'une espèce grégaire qui construit de nids communs en colonie. Du fait de ses caractéristiques morphologiques et génétiques singulières, il est l'unique représentant du genre Dulus et de la famille Dulidae, signifiant qu'il n'existe aucune autre espèce d'oiseau dans le monde ayant une relation très proche avec celui-ci. Son origine étrange et ses caractéristiques uniques l'ont élevée à un statut d'espèce de haut intérêt scientifique à l'échelle mondiale, raison pour laquelle il fût déclaré l'oiseau national de République dominicaine en 1987, afin de distinguer son importance scientifique comme partie du patrimoine zoologique de l'île.
Le milieu ci-dessus est un bosquet de pins conifères, présent dans les zones hautes de la Cordillère centrale, tels que les montagnes Bahoruco et Neyba, représentant 6% du territoire national. Dans ces milieux, à partir de 2000 m d'altitude, l'espèce dominante est : Pinus occidentalis. Ci-dessous, une représentation du Lago Enriquillo, un lac de ces mêmes montagnes qui descent jusqu'à -40 mètres de profondeur par rapport au niveau de la mer, soit le point le plus bas de toute la Caraïbe. Ce lac hypersalin héberge notamment une popoulation importante de crocodiles (Crocodylus acutus), et est protégé en tant que Parc National et de réserve de biosphère de l'Unesco.
La journée se poursuit avec la visite du musée d'Arts modernes puis de la bibliothèque nationale.
Oeuvre : El agua en el siglo XXI (2015)
L'oeuvre ci-dessus s'intitule Rosa Duarte, portrait d'une héroïne. Elle a été selectionné pour l'émission de 20 000 timbres postes, et a accompagné l'élévation de l'héroïne au Panthéon de la patrie en 2021. L'auteur cette oeuvre de 2020, Dustin Munoz, a opté pour contextualiser l'héroïne dans l'atmosphère indépendantiste de la nuit du 27 Février qui a donné naissance à la patrie dominicaine. Munoz précise : "Evidemment, en tant que symbole patriotique, je ne pouvais pas éviter de représenter le drapeau tricolore. Motivé par les contributions de Rosa au mouvement indépendantiste et à l'histoire, j'ai décidé de décorer l'espace pictural avec des éléments qui font partie des armoiries nationales. Pour cette raison, la branche de palmier, le laurier, les quatre drapeaux sans les armoiries et les deux lances s'observent dans le fond de la composition. En outre, Rosa porte la croix du blason national et sur ses jambes repose le drapeau dominicain sur lequel figure une bible ouverte contenant des notes manuscrites et quelques lettres, attachées par un ruban tricolore pour la valeur patriotique qu'elles représentent."
Notre Dame de la Miséricorde, de Dustin Munoz
Le lendemain, découverte des rues de la zone coloniale : la cathédrale, le musée de las Casas Reales, la calle las Damas, la place d'Espagne.
Vue de l'intérieur de la cathédrale, première du "Nouveau Monde"
Photos prises au musée de las Casas Reales
Mais en dehors de ces visites touristiques, j'ai également la chance de rencontrer quelques habitants de la ville, amis ou famille de Lery Laura. C'est toujours un élément positif de tout voyage : l'échange avec l'habitant local. Je rencontre notamment sa cousine Marlin, travailleuse sociale à Saint-Domingue, avec laquelle nous échangeons sur différentes thématiques: l'absence de ressentiment envers l'Espagne et l'Europe, de la part de l'immense majorité de la population dominicaine pour qui l'histoire coloniale leur est aujourd'hui totalement égale; au contraire, certains ressentiments et conflits vis-à-vis du voisin haïtien, par une tranche de la population : "nous sommes deux pays sur la même île. Comme partout, il existe des conflits parfois entre pays voisins, et dans notre cas, nous avons des conflits, mais aussi beaucoup d'amitié et de solidarité"; nous parlons aussi des échanges interculturels et des organisations promouvant ces échanges, nombreuses dans le pays mais qui reçoivent plus qu'elle n'envoient de jeunes. Toutefois, Marlin me précise que dans la situation de croissance que connaît le pays, certains politiques estiment que le pays n'a pas spécialement besoin d'aide extérieure, et certaines organisations de solidarité internationale arrêtent leurs projets. Nous parlons aussi de la présence des Dominicains dans le Monde: il y aurait plus de 1 million de Dominicains à New-York, 3 millions dans l'ensemble des USA, second partenaire économique du pays après Haïti. Nous évoquons aussi la situation de ces différentes personnes immigrant en République dominicaine, en citant l'exemple de la communauté française de Las Terrenas. Quelques jours auparavant, j'avais été en effet quelque peu interpellé, sans être finalement surpris, par les résultats des votes pour l'élection de la présidentielle française par les habitants français du pays.
1ier et 2nd Tour de la Présidentielle française en République dominicaine
Nous évoquons aussi la situation d'immigrants d'autres pays, comme les Vénézuéliens, certains venant pour améliorer les conditions de vie face aux énormes difficultés du pays, d'autres venant pour protéger leur argent face aux politiques de feu Chavez et Maduro. Cette communauté est très bien intégrée à la société dominicaine, et travaille dans tous les secteurs de l'économie. De manière générale, la République dominicaine est un pays extrèmement métissé, chaque personne ou presque ayant des ascendants d'origine non hispaniolienne. Ce qui génère une certaine souplesse identitaire au sein de la population, et peu de revendications sur ce thème-là.
Je rencontre aussi Manuel, ami de Lery, et activiste politique, l'un des leaders de la marche verte évoquée dans un post précédent.
Manuel, un des fondateurs de la "Marcha Verde" en République dominicaine
Son entretien par l'ONG Civicus, permet d'affiner la compréhension de ce mouvement. Extraits.
Comment est née le mouvement de la Marcha Verde ?
La Marcha Verde est née du fait q'un tribunal de Brooklyn avait reconnu coupable l'entreprise géante de la construction Odebrecht de corruption, celle-ci admettant qu'elle avait versé des pots-de-vin dans 12 pays du Monde : deux pays du continent africain et dix d'Amérique latine, parmi lesquels la République dominicaine, pays dans lequel les pots-de-vin ont dépassé 92 millions de dollars. Ces pots-de-vin faisaient partie intégrante du fonctionnement de l'entreprise, qui soudoyait des politiciens et des fonctionnaires, afin d'obtenir des contrats, incluant des prix gonflés et permettant à l'entreprise d'engranger des bénéfices supplémentaires. Le pays a été bénéficiaire de ces pots-de-vin entre 2001 et 2014, donc sous trois administrations : celle d'Hipólito Mejía (2000-2004), de Leonel Fernández (2004-2012) et celle du président actuel Danilo Medina, élu une première fois en 2012 puis réélu en 2016.
Comme cela s'est produit dans tous les pays de la région, l'affaire Odebrecht a suscité l'indignation en République dominicaine. À ce moment-là, avec certains partenaires de la société civile qui avaient déjà travaillé conjointement dans des activités de lutte contre la corruption et l'impunité, nous avons décidé de nous réunir pour voir ce qui pouvait être fait. Ainsi, le 4 janvier 2017, un petit groupe de la société civile s'est réuni et a décidé d'organiser une mobilisation plus tard dans le mois. Au cours des premières réunions, plusieurs décisions ont été prises. Tout d'abord, la couleur verte a été choisie afin de représenter l'espoir : nous ne voulions pas rester dans la phase d'indignation mais voulions plutôt le sentiment que cette fois-ci, nous pouvions gagner. C'est une différence par rapport aux précédentes, qui avaient opté pour la couleur noire comme symbole de deuil de la mort de la justice. Nous avons choisi le vert comme élément unificateur de la diversité de notre mouvement, qui comprenait une grande variété d'organisations aux drapeaux et couleurs multiples. Le choix de la couleur était lié à notre décision d'énoncer notre revendication en termes positifs, c'est-à-dire de ne pas la désigner comme une lutte contre la corruption et l'impunité, mais plutôt comme une lutte pour la fin de l'impunité. L'idée était que l'affaire Odebrecht marquerait le début de la fin de l'impunité dans notre pays. Dès ces premiers moments, toutes les organisations phares des processus et mobilisations récentes étaient présentes, notamment la branche des Associations des enseignants dominicains, dirigée par Maria Teresa Cabrera, fer de lance du mouvement 4%.
Comment l'appel à la mobilisation fut disséminé ?
Pour dire vrai, nous pensions au départ que cet évènement serait modeste, et nous espérions regrouper environ 6000 personnes. Nous avons pris contact avec tous les groupes de la société civile avec lesquels nous avions des liens, mais aussi avec des groupes partisans. Avec ces derniers, nous avons organisé des réunions et fixé des règles claires : nous garderions une seule couleur, il n'y aurait pas de direction partisane, et cela resterait une expression citoyenne, les militants politiques pouvant participer à condition qu'ils le fassent à titre individuel. Ceci a été accepté, et dès le début nous avons travaillé avec un vaste réseau d'organisation, dans une atmosphère de relative harmonie, ce qui était une réussite impressionnante étant donné le très large spectre de la coalition. Nous avons ensuite diffusé notre appel par tous les moyens possibles. Les médias sociaux ont joué un rôle important, mais la radio et la télévision ont été essentielles, car elles ont non seulement fait passer le message, mais certains journalistes ont également mené le processus avec une attitude militante et un discours similaire au nôtre. Lorsque nous nous sommes mobilisés le 22 Janvier, nous n'avions pas encore de nom, mais les gens ont rapidement commencé à nous appeler Marcha Verde. Ce qu'il s'est passé était sans précédent : jamais auparavant autant de personnes ne s'étaient mobilisées pour une cause non partisane dans ce pays. Nous étions nous-mêmes stupéfaits de voir, à chaque marche, comment nous avions réussi à établir un lien avec les gens.
Marcha Vede semble avoir plusieurs porte-paroles, mais pas de leader reconnu. Pourquoi ?
La décision d'avoir un groupe de porte-paroles tournant aussi grand et diversifié que possible a été aussi délibérée. Notre coalition comprenait de nombreuses personnalités respectées, mais nous nous sommes surtout organisés autour de groupes de travail, avec 4 commissions : une pour le contenu et l'analyse, qui rassemblait nos arguments et notre discours; un comité pour la communication, composé en majorité de jeunes et chargé de définir l'agenda médiatique; un comité pour l'organisation et la mise en réseau, qui organise la mobilisation et étend notre réseau à travers le territoire ; et un pour le financement et les ressources. Cela a permis au mouvement de devenir opérationnel.
Qu'est-ce que l'affaire Odebrecht avait de si particulier ? Pourquoi a-t-elle suscité une réaction différente par rapport aux affaires de corruption précédentes ?
En République dominicaine, l'impunité est presque aussi vieille que la république elle-même. Il n'y a pratiquement jamais eu de sanctions exemplaires contre la corruption administrative, ce qui, au fil du temps, a provoqué une grande frustration. Alors pourquoi quelque chose qui se produit depuis si longtemps ne fait que maintenant, c'est une bonne question. Historiquement, lorsque les sondages demandaient quels étaient les problèmes majeurs du pays, la corruption venait toujours parmi les premières mentions. Mais les gens croyaient, et beaucoup le croient encore, qu'on ne pouvait rien y faire. Dans ce cas précis, cependant, un élément différentiel important est que que les informations venaient de l'étranger, des États-Unis et du Brésil, et qu'une fois qu'elles ont commencé à affluer, le flux de données ne s'est pas arrêté. Des informations sur ce qui se passait dans d'autres pays, dont le Brésil bien sûr, mais aussi la Colombie, l'Équateur, le Panama, le Pérou et le Venezuela, ont également été diffusées rapidement. Dans ces pays, des enquêtes ont été ouvertes et des centaines d'hommes d'affaires et de fonctionnaires ont été inculpés, y compris d'anciens ministres et et même d'anciens présidents. Dans ce contexte, beaucoup de gens pensaient que cette fois-ci, le gouvernement dominicain ne pourrait pas être en mesure de manipuler l'affaire, contrairement à tant de fois dans le passé, et qu'ils n'auraient pas d'autre choix que de faire quelque chose, même sans le vouloir. Beaucoup de gens sont convaincus que le gouvernement préférerait maintenir l'impunité, mais que cette fois-ci, il ne pourra tout simplement pas le faire, surtout si la pression sociale augmente.
Quelles sont les demandes concrètes de Marcha Verde, et comment les avez-vous faites en avant ?
Notre première demande est la formation d'une commission de procureurs indépendants pour mener à bien l'enquête et les poursuites dans l'affaire Odebrecht. Nous insistons sur ce point parce que nous ne croyons pas au ministère public, puisque le procureur est un membre du parti au pouvoir qui a travaillé pour la campagne électorale du président, et nous ne pensons pas qu'il puisse assurer une enquête impartiale. En fait, nous avons demandé que la commission soit formée sous les auspices des Nations Unies, dans le cadre de la Convention de Genève des Nations Unies, dans le cadre de la Convention contre la corruption dont notre pays est signataire. Nous savions qu'il était peu probable que cela se produise, mais nous devions mettre en évidence les niveaux élevés de complicité gouvernementale impliqués. Nous avons également demandé que tous les fonctionnaires qui ont reçu des pots-de-vin et tous les dirigeants d' Odebrecht qui les ont payés soient identifiés et inculpés par la justice, que tous les contrats actuels d' Odebrecht soient annulés, que tous les travaux publics réalisés par l'entreprise soient audités et que tout l'argent provenant des pots-de-vin et les prix excessifs soient récupérés. Nous avons également demandé une enquête sur le financement illicite des campagnes électorales.
Pour faire circuler notre pétition, nous avons lancé un " Livre vert " que les gens pouvaient signer au coin des rues et sur les places du pays.Nous avons reçu une réponse massive : en quelques semaines, nous avons avons recueilli plus de 300 000 signatures. La signature impliquait un engagement plus important que la simple participation à une marche, puisque les personnes devaient fournir leur nom, leur numéro d'identification et d'autres informations personnelles. Il s'agissait d'un processus d'autonomisation ; les gens se sont engagés à continuer à se battre jusqu'à ce que nous ayons atteint nos objectifs. Le 22 février, nous avons remis au président un document notarié certifiant que 312 415 signatures avaient été recueillies, ce qui a rendu notre demande officielle, et nous avons donc officialisé notre demande et demandé au président de répondre au plus tard lors de son discours annuel à la nation le 27 février. Ce processus a été couronné de succès car il a permis de multiplier l'organisation, qui s'est développée par la création de " nœuds verts " dans différentes municipalités. Ainsi, le mouvement s'est développé de la capitale et s'est enraciné dans chaque localité. Le président a d'ailleurs abordé le sujet dans son discours. Il a assuré qu'il soutenait la lutte contre la corruption et que toutes les personnes impliquées tomberaient - il a littéralement dit qu'il n'y aurait pas de "vaches sacrées". Mais il a insisté sur le fait que le processus serait mené par le bureau du procureur général. C'est pourquoi nous avons rejeté le discours et avons dénoncé ce que nous avons considéré comme une contradiction entre ce que le président a dit et ce qu'il a fait. Une fois le processus de signature terminé, nous avons lancé en mars notre campagne de la " Flamme verte ", qui consistait essentiellement à allumer une torche qui devait parcourir les principales provinces et villes du pays. Cette activité a eu moins de succès que la signature du Livre vert, mais elle nous a néanmoins permis de continuer à consolider la structure du mouvement. Grâce à cette action, des marches régionales et même sous-régionales ont commencé à avoir lieu dans les trois régions du pays. Chacune de ces marches est devenue le plus grand événement de mobilisation jamais organisé dans l'histoire de ces localités. Nous avons même réussi à organiser une marche relativement importante dans la région orientale du pays, historiquement la moins mobilisée et la plus faible sur le plan organisationnel.
Nous nous promenons ensuite sur le Malecon, avenue du bord de mer fermée pour cause de...Carnaval local !
La nuit tombe. Nous reprenons notre marche sur le Malecon, puis mangeons dans un restaurant en bord de mer. Je prends un plat dominicain, le Mangu de platanos verdes, une purée de bananes plantains qui se déguste à tout type de repas, souvent acccompagnée d'avocat. Un restaurant complémentaire aux autres déjà pratiqués pendant la semaine: dominicain, péruvien, haïtien.
Le lendemain, je prends un Uber pour rejoindre l'aéroport de Punta Cana. Ce voyage est une réussite, grâce à Internet et l'accueil de mon "amie du Monde". Probablement la manière de voyager la plus intéressante. Une semaine passe vite, mais gageons que Lery et moi nous reverrons. Retour à Nancy. Il est temps de reprendre la vie courante, mais avant de clôturer cette expérience, il reste une dernière chose à faire : offrir quelques cigares !
Une souris et...Ginna, de Barranquilla à Nancy
Nancy, printemps 2021. Alors que le troisième confinement touche à sa fin, je rencontre, dans l’ascenseur de mon immeuble, une étudiante en école d’ingénieur en génie chimique. Ginna, 24 ans, vient de Barranquilla, ville du Nord de la Colombie baignée par la mer des Caraïbes. Alors que les échanges internationaux d’étudiants ont chuté de 40% en 2020 dans le contexte de la crise sanitaire, voilà que Ginna vient aider, en tant qu’assistante de vie, une dame âgée dont je suis le voisin. Je profite de cette rencontre fortuite pour proposer à Ginna de travailler de manière informelle son français et mon espagnol, et pourquoi pas de découvrir un ou deux coins de la région…car sans voiture, difficile de sortir des sentiers battus, encore plus quand on est à l’étranger.
Le nom de Barranquilla m’était inconnu, avant cette rencontre. Ginna y a passé son enfance : « j’ai vécu toute ma vie à Barranquilla. Dans mon enfance, j’ai étudié dans une école catholique dans laquelle on m’a enseigné des valeurs orientées vers le service des plus démunis. J’ai donc participé à différents travaux bénévoles pour aider les enfants aux ressources limitées. Pendant cette période, j’ai réalisé différentes activités éducatives et j’ai livré des articles pour les études avec les enfants du secteur de Tasajera Magdalena. Pendant mon adolescence, j’ai développé mon goût pour la lecture et l’écriture, j’ai participé aux concours d’écriture de l’école et j’ai écrit différentes histoires pour les enfants. En même temps, j’ai aidé mes parents dans l’entreprise familiale, une épicerie, ce qui m’a appris à être responsable et indépendante dès mon plus jeune âge. Cependant, je n’avais pas de temps libre. De plus, mes parents travaillaient toute la journée et tous les jours. Pour cette raison, ma famille ne cèlèbre pas Noël et les fêtes. De mon enfance, je me souviens que toutes les familles se réunissaient ce jour là pour préparer le diner, mais nous nous étions toujours occupés.
Barranquilla, capitale du département Atlantico, Colombie
C’est donc par un doux dimanche de Juillet 2021 que nous nous retrouvons à visiter les jolies communes de Colmar et Riquewihr.
Une journée à Colmar
Ballade à Riquewihr et sur la route des vins d'Alsace
Quel est le plus sympa : traverser l’Atlantique pour aller voir un troupeau de Lama dans les Andes, ou aller dans les Vosges et faire découvrir un troupeau de mouton à une Baranquillera qui n’en a jamais vu ? Une solution alternative serait de faire découvrir à une Baranquillera un troupeau de Lama dans les Vosges.
A la fin de son séjour, Ginna est partie vivre à Lyon et a rejoint des compères colombiens installés dans la cité des Gones. Ceux-ci sont engagés au sein de l’association Colombia Nueva, fondée en 2011, ayant pour objectifs fondamentaux de promouvoir l’intégration et le développement de la communauté colombienne, ainsi que de fortifier les liens de fraternité entre la Colombie et la France. Lors du forum des associations de Lyon 8, ceux-ci nous ont partagé quelques danses colombiennes.
Danses colombiennes avec l'association Colombia Nueva, Lyon, Septembre 2021
Comment Ginna a vécu, globalement, son séjour ? Voilà son témoignage.
« Changer de pays, de culture et même de fuseau horaire a été l’une des expériences les plus exigeantes que j’ai vécues dans ma vie. Lorsque je suis arrivé en France, j’ai commencé à découvrir un nouveau monde, du système éducatif aux procédures administratives. Comme pour tout changement, il faut du temps et de la patience pour s’adapter à la nouvelle façon de faire les choses. Mon projet de venir en France était principalement éducatif. Mon objectif était d’étudier un Master en génie chimique ou des procédés axés sur la formulation des produits. C’est ainsi que je suis arrivé à Nancy, où se trouve l’école ENSIC, qui jouit d’un certain prestige au niveau national. » En étant à Nancy j’ai réalisé que la France n’est pas seulement ce qui est vendu dans les films, c’est un pays multiculturel plein de diversité tout au long du pays. Tout comme en Colombie, chaque région a des coutumes très marquées et différentes, où la combinaison de toutes ces différences ajoutées au fait d’être un pays ouvert aux étrangers fait de la France un pays charmant où que vous vous trouviez. Bien que Paris soit merveilleuse, charmante et romantique, ce n’est pas la seule chose que vous devriez visiter, car chaque région a des endroits qui sont vraiment superbes.
Culturellement, les Colombiens, en particulier les Barranquilleros, sommes des gens habitués à la communauté et au bruit. En France, j’ai observé que globalement les gens préfèrent les environnements calmes et paisibles. Retourner en France serait un rêve pour moi, principalement parce que je me suis identifié aux environnements calmes et sûrs, et que je considère que c’est un pays doté d’une grande diversité culturelle et naturelle que je veux continuer à explorer.
Quand j’étais en Colombie, je pensais que tout ce qui concerne la France était centré sur Paris. J’ai remarqué qu’il y a certaines choses qui sont comme ça mais que chaque région peut avoir une composante culturelle et historique beaucoup plus marquée. La ponctualité, la rigueur et de la bureaucratie sont les représentations qui je crois se remarquent bien chez la plupart des Français. Cependant, en Colombie, j’avais entendu dire que les Français n’aimaient pas travailler, aujourd’hui je peux dire que ce n’est pas vrai et que c’est une idée très fausse, c’est une idée que le capitalisme nous a vendue en Colombie et ce que je crois, c’est que la France est un pays juste, où on a le droit à une vie digne et où la qualité de vie de ses citoyens est prise en charge, ce qui n’arrive pas dans les pays comme la Colombie où les hommes d’affaires pensent dans un système capitaliste.
Je pense que mon identité de Colombienne n’a pas changé pendant cette année. Mais j’ai appris différentes choses que je peux incorporer à ma vie actuelle. »
Et si on regardait cette expérience avec une dimension plus théorique ? Magali Ballatore, chercheure, a écrit une publication très intéressante sur les échanges internationaux en Europe et les apprentissages qui en découlent (Revue internationale de sciences sociales / Hors-série n° 3 – 2011, (57-74) juillet-septembre 2008). Quelques extraits peuvent renforcer la compréhension du vécu de Ginna dans son expérience de mobilité internationale : "le « tout petit monde », comme le nomment Anne Barrère et Danilo Martuccelli, où il serait possible de circuler sans entrave, de se sentir « partout » chez soi, d’être bien reçu et traité dans des cadres spatiaux profondément semblables et peu dépaysants », reste toujours du domaine de la fiction littéraire. Y-a-t’il vraiment « une ligne de démarcation » qui séparent ceux qui, « comme bien des individus du « Sud », possèdent encore le rêve d’un ailleurs (notre « ici ») et tous ceux qui, habitants blasés du Nord, n’en disposent plus » ? Le « Nord », notre « ici », est en réalité fait d’une pluralité de situations socioéconomiques difficilement assimilables pour une même analyse. En quoi et pour qui la mobilité géographique a-t-elle un impact particulier ? « ... » Pour la quasi-totalité des étudiants, le bien-fondé de leur séjour se situe en dehors des apprentissages strictement disciplinaires. Par exemple, le nombre important de termes, dans leurs discours, qui se réfèrent à la découverte de la ville, à l’ordre, au désordre et aux habitudes vestimentaires, alimentaire, montre l’intérêt des étudiants en échange international pour le pays d’accueil. Mais tout se passe comme s’ils étaient simple spectateur ou si le séjour était un film dans lequel ils n’étaient que figurants. Les connaissances culturelles acquises sur une base strictement descriptive et comparative n’améliorent pas forcément leur compréhension du pays d’accueil. La perspective binaire chez certains étudiants (le seul élément stable étant souvent le pays d’origine) accentue le déséquilibre et produit une réification d’autrui, alors que la volonté déclarée de ces programmes est l’échange et la reconnaissance interculturelle. La confrontation culturelle avec des formes de l’altérité, vécue parce que les étudiants en échanges internationaux se placent souvent en marge, peut induire un abus des explications culturalistes. Ces dernières vident les cultures de leur complexité, de leur historicité et de leurs conflits internes (Papatsiba, 2001). Dans les acquis culturels du séjour étudiant à l’étranger, si nous pouvons les nommer ainsi, ressort une « connaissance mosaïque », souvent vidée de la recherche de cohérence, de liens. Il est vrai que les échanges permettent de vivre une altérité exponentielle, mais tous les étudiants sont loin de posséder la même capacité empathique nécessaire à la compréhension, qui s’acquiert souvent durant la socialisation primaire.
Magali, dans le cadre de ses recherches, a ainsi pu constater qu’il existe différentes manières de vivre la mobilité, et ainsi, dresser une typologie des comportements relatifs aux différents degrés de manipulation des codes culturels et sociaux. L’échelle des comportements va du repli sur sa culture d’origine, avec un réinvestissement faible ou nul et l’absence de nouvelles mobilités, jusqu’à la perméabilité quasi-totale à la culture du milieu d’accueil et la volonté d’y résider définitivement. De cela sort des idéal-type d’étudiants.
Le premier est l’étudiant « défensif », qui cherche, lors de son séjour à l’étranger, ainsi à se construire pleinement en « étranger ». Il organise une mise en scène de son « univers originel ». Les influences culturelles extérieures semblent peu pénétrer l’univers cognitif de ces étudiants défensifs, qui se tiennent donc « à distance raisonnable » des membres de son pays d’accueil tout en maintenant des liens forts avec ceux de son pays d’origine.
L’étudiant « opportuniste », pragmatique, mettant en scène avant tout l’adaptation à l’environnement. Il tentera de connaître le plus d’autochtones possible, participera souvent aux activités de l’Université, afin de tirer le meilleur bénéfice de son année d’études à l’étranger, en fonction des objectifs de départ qu’il s’était fixé. De retour dans son pays d’origine, il tentera de réutiliser les compétences acquises, parfois tardivement, dans des projets distinctifs et continuera le jeu de la perpétuelle migration, d’un mode d’être à un autre en s’inscrivant dans de nouvelles mobilités.
L’étudiant « transnational », dont le discours en appelle au plurilinguisme, à l’esprit cosmopolite et au développement d’activités « interculturelles ». Le séjour à l’étranger a, de ce fait, été un véritable «laboratoire» de façons d’être. La culture international est d’autant mieux transmise que l’épreuve de la mobilité internationale et du voyage est perçue comme un accomplissement des dispositions anciennes. A son retour, l’étudiant va donc « naturellement » se tourner vers des carrières qui permettront de nouvelles expatriations, tout en gardant ses repères identificatoires.
L’étudiant « converti », dont les facteurs répulsifs de la société et/ou de l’Université d’origine ont été déterminants, beaucoup plus que les facteurs attractifs du pays d’accueil. L’expérience entraîne pour lui le désir de réorienter ses études, sa trajectoire à la lumière des découvertes effectuées dans le pays d’accueil."
Où se situe Ginna dans ces quatre idéal-type ? L’avenir nous le dira. Mais pour le moment, elle a sans doute beaucoup de choses à raconter à ses ami(e)s là-bas, en Colombie !
Remise d'un premier diplome, 2018
"La distancia no es nada cuando tiene un motivo" (Jane Austen)
Une souris et...Esra & co, rencontres franco-turques en France
Une des conséquences de la rencontre interculturelle est celle d'ouvrir doucettement son esprit à de nouvelles réflexions, à de nouvelles envies, d'évoluer un tant soit peu dans son rapport à l'existence, à l'altérité, de rester mobile et souple, intérieurement et sociétalement. S'il y a bien un pays pour lequel mon intérêt, en tant que Terrien lambda, a considérablement évolué depuis quelques temps, c'est bien la Turquie. Pourquoi donc ? Est-ce le fait d'avoir cotoyé quelques personnes de ce pays dans le cadre des échanges internationaux et de Concordia ? En tout cas, ce n'est sûrement pas le traitement médiatique qui est fait de la politique de ce pays dans le contexte actuel de la région, qui influencera mon intérêt. Faire attention à la TV, toujours, voire ne jamais la regarder, sans doute. Croiser les regards des différents journaux pour tenter de se faire un avis sur un sujet, aussi. Et bien sûr, toujours, bien avant le reste, essayer d'être en contact, même virtuellement, avec quelques habitants du territoire interrogé. Le plus intéressant, même sans sortir de chez soi. Partager le "Manière de voir" des journalistes, partager les manières de voir des copains. Alors pour un tout petit peu mieux "connaître" la Turquie, lisons avec intérêt ce numéro 132, et évadons-nous un peu avec quelques belles photos des copains turques.
Des copains turques, des manières de voir, et des Manière de voir
Le pays subit des évènements politiques importants depuis quelques années, et il est intéressant d'associer certains évènements médiatisés avec une expérience personnelle. Ainsi, un article du Manière de voir cite Beytö, un jeune Kurde de 18 ans, sans emploi : pour lui, les jeunes aimeraient avoir des lieux pour se rencontrer, découvrir de nouvelles idées. Mais c'est surtout la mentalité qui doit changer. Peut-être qu'Esra, une belle personne dont je vous avais présentée les motivations à venir faire un SVE aujourd'hui réalisé à Lyon, pourrait le contacter et le mettre en relation avec son mouvement de jeunesse, Yasom ? Lors d'un de mes échanges avec elle, elle m'avait indiqué que l'organisation montait notamment des workshops d'éducation interculturelle à destination de la jeunesse de Turquie.
Yasom, organisation de jeunesse turque d'Esra
Esra, volontaire SVE sur un chantier international, 2016
Reyhan, jeune femme de 27 ans, avec qui j'ai animé ce beau chantier international de Mouleydier en août 2015, était volontaire SVE au sein de la délégation Aquitaine de Concordia. C'est la première Stambouliote que je rencontre. Mon premier contact avec elle se fait par mail le 13 juin 2015. Ce jour-là, elle m'écrit dans un français presque parfait : bonjour Emmanuel ! Je m'appelle Reyhan, je suis turque et je suis actuellement en SVE à Concordia. je serai l'animatrice vie de groupe avec toi dans le chantier de Mouleydier. J'ai déjà fait trois chantiers il y a quelques années et je pars en formation d'animateur ce week-end. Cette semaine j'ai visité le chantier et c'est super joli. Le travail c'est de nettoyer les pierres et les murs autour d'un canal et même si je connais pas grand chose, il semble assez facile.
Le Manière de voir propose un article sur les chemins escarpés du pluralisme. Extraits. "De plus en plus, et pas seulement en Turquie, la démocratisation et l'autoritarisme vont main dans la main." Yesim Arat, professeure de science politique à l'université Bogazici, soulignait ce paradoxe durant l'été 2013, alors que les Turcs tentaient d'analyser l'impact des mouvements de contestation qui avaient éclaté à Istanbul et s'étaient étendus à tout le pays. Les manifestants s'étaient mobilisés contre un projet de développement du parc Gezi, au coeur d'Istanbul, qui liquidait un des derniers espaces verts dans le centre-ville. Leur colère avait été alimentée par la réponse autoritaire et arrogante du premier ministre Recep Tayyip Erdogan à leurs revendications."
Reyhan, dans une manifestation à Istanbul
("Ne croyez pas. Un jour, la direction du vent qui vénère le soleil et le pénis changera certainement")
Bien sûr, nos échanges sont le plus souvent généraux, sur la vie de tous les jours, comme tout échange normal entre 2 Terriens. Et grâce à nos amitiés facebook, il est possible de découvrir quelques scènes de vie de cette lointaine Turquie, plus douces et positives que les photos médiatiques des évènements récents. C'est ainsi que je pioche ces belles scènes de vie stambouliotes de ce début du 21ième siècle.
Scènes de vie à Istanbul
Mais à Concordia, par définition, ce n'est pas une rencontre internationale que l'on fait, mais beaucoup...lorsque je vivais à Clermont-Ferrand, j'ai eu la chance de loger deux nouveaux volontaires SVE turques, Irem et Ibrahim. Hé oui, dans ce beau monde des échanges internationaux, les organisations turques sont particulièrement actives et envoient nombre de jeunes adultes du pays sur des projets en Europe ou dans le Monde. Irem et Ibrahim viennent de finir des études en sciences politiques à Istanbul, et notre amitié facebook me permet de piocher ces deux photos pour m'évader un peu dans cette ville.
Une journée à Istanbul, 2016, avec Irem, tout devant, et Ibrahim, tout à droite
Irem et Ibrahim, à gauche, avec leurs potes, posant comme les acteurs d'une série star en Turquie, Aşk-ı Memnu
Irem, installée depuis 6 mois en Auvergne, me confie être membre des Stambouliotes, un groupe facebook de rencontre entre Français et Turques qui veulent apprendre le Français, lors de soirées polyglottes, notamment au café des Augustes. Nous évoquons aussi la situation d'une partie des Franco-Turques, ces Français issus de l'exil des générations précédentes. Elle en discute avec une de ses amies, et évoque les grandes difficultés d'une partie de ces personnes à vivre au sein du territoire national. Elle me dit aussi avoir le sentiment qu'une partie de ces personnes ne vivent aujourd'hui pas comme les Turques de la Turquie du 21ième siècle, mais comme la Turquie d'"avant".
A Reignier, commune un peu triste de Haute-Savoie, au Poulpe, principal lieu de socializing du canton, je rencontre en ce mois de novembre 2016 trois Franco-Turques qui travaillent dans une entreprise de BTP. Ils ont grandi en France et sont très sympas. Peut-être qu'avoir été proche de Reyhan et Esra en 2015 m'aura donné plus spontanément envie de discuter avec eux que je ne l'aurais fait plus jeune. L'un me dit qu'ayant grandit ici, il est français. Logique. Qu'il a hésité à un moment à partir s'intaller en Turquie, mais n'y est pas arrivé. Un autre me dit, que Turque ou Français, on s'en fiche, c'est sans importance, c'est la même chose. Alors qu'il y a actuellement une sorte de fixation médiatique sur les notions identitaires en Europe, finissons ce petit article sur ces belles rencontres franco-turques par des extraits de la chanson Maché Becif des artistes de la Dub Inc :
Chante ta version mais chacun à la sienne,
on a rien en commun mais j'te dis "pas de problèmes",
chacun ses convictions, chacun sa mise en scène,
même couleur dans nos mains, malgré notre épiderme,
les consonnes peuvent se lire s'il y a des voyelles,
le futur de nos vies se conjugue au pluriel
je n'ai aucune réponse, que des questions,
rien ne me convient dans toutes les explications
ce qui s'annonce n'est pas ma direction,
et si je me trompe d'où viendra la sanction ?
Qui peut croire nous imposer, un seul regard sur notre idéal ?
On ne fait que rechercher, un équilibre entre le bien et le mal
Quand l'eau est trop profonde je reste sur la rive,
Noyé dans un désert, une terre aride,
Et quoi qu'il arrive, il faut trouver l'équilibre,
entre accepter nos chaînes et rester libre,
et tant qu'il le faut !
Prévenir les autres de la dérive,
car beaucoup d'entre nous sont unanimes,
Et tant qu'il le faut !
On le dira dans toutes nos rimes :
LE MONDE SERA CELUI QU'ON S'IMAGINE !
Une souris et...Lucette : passons quelques frontières...(2)
Lucette Colin propose un excellent chapitre sur la dimension éducative du passage de frontières et des séjours à l'étranger. Car les expériences acquises durant la jeunesse (ou plus tard, bien sûr) peuvent donner envie d'inscrire la mobilité internationale dans ses choix personnels et professionnels...et qui sait, peut-être que le futur me donnera des opportunités de travailler dans le Nord de l'Europe...ou dans le Sud de l'Afrique !
Plus fondamentalement, le problème est que ces séjours engagent des pratiques et des discours encore très diversifiés et qui nous renvoient au flou qui entoure ces notions d'apprentissage culturel, d'apprentissage interculturel où la prégnance idéologique moralisante, voire militante est énorme, qui conduit à naviguer d'une chosification et naturalisation de l'approche de la culture (s'extasier par exemple devant certains traits culturels in fine racialisés) à la négation des cultures (on est tous pareil). Le mauvais infini éducatif joue aussi des tours si l'on prend en considération les objectifs des actions de formation ayant l'ambition de développer des compétences interculturelles. Ainsi cette déclinaison pourtant parfaite proposée par Demorgon et al. (1996) sur les objectifs des séjours :
une visée pragmatique d'adaptation à des contextes étrangers grâce à l'acquisition de compétences et de savoirs nouveaux élaborés à travers l'expérience de la rencontre ou du séjour dans un autre pays. Cette visée correspond à l'existence de besoins et de demandes sociales entraînées par la multiplication des échanges, l'essor du tourisme, le commerce international, l'immigration, etc;
une visée éthique tendant à une tolérance et à une compréhension de la différence, à une lutte contre les diverses manifestations de discrimination, de xénophobie et de racisme;
une visée esthétique d'enrichissement de nos références artistiques, d'accès à d'autres oeuvres de civilisation : littératures, musiques, arts plastiques, danses, cuisines, etc;
une visée psychosociologique correspondant à une réflexion et à une expérience personnelle concernant le rapport à l'identité culturelle et l'implication de chacun dans cette identité. La relation à d'autres identités peut amener une meilleure connaissance et compréhension de soi et de l'autre;
une visée anthropologique de connaissance des cultures comme systèmes complexes, évolutifs et changeants, d'habitudes, d'opinions, de valeurs, de créations partagées par des personnes qui s'en trouvent assez profondément liées et identifiées ensemble;
une visée de critique politique, sociale, économique prenant en compte les phénomènes d'aliénation et de déracinement des êtres humains, les phénomènes occasionnés par la mobilité accrue, la technicité et la bureaucratisation dans nos sociétés;
une visée politique de rapprochement entre les peuples, de promotion d'un esprit de coopération, de traitement des conflits afin d'éviter les violences et les guerres et de parvenir à construire un ordre européen et mondial plus juste, plus solidaire, plus démocratique;
une visée prospective tournée vers la constitution d'un monde où les réalités opposées ne sont pas systématiquement prises comme bases de camps en lutte entre eux, mais comme bases d'une explication, d'une compréhension, d'une recherche de solutions;
Carte du monde selon l'Australien Stuart McArthur, 1978
Comme l'écrit Lilian Thuram dans son livre "mes étoiles noires", non, cette carte n'est pas à l'envers. Les cartes que nous utilisons généralement placent l'Europe en haut et au centre du monde. Elle paraît plus étendue que l'Amérique latine alors qu'en réalité, elle est presque deux fois plus petite : l'Europe s'étend sur 9.7 millions de kilomètres carrés et l'Amérique latine sur 17.8 millions de kilomètres carrés. La carte selon la projection de McArthur questionne nos représentations. En effet, ce géographe australien McArthur, en 1978, a placé son pays non plus en bas et excentré, mais en haut et au centre. Placer l'Europe en haut est une astuce psychologique inventée par ceux qui croient être "en haut", pour qu'à leur tour les autres pensent être "en bas". C'est comme l'histoire de Christophe Colomb qui "découvre" l'Amérique. Sur les cartes traditionnelles, deux tiers de la surface sont consacrés au "Nord", un tiers au "Sud". Pourtant, dans l'espace, il n'existe ni Sud ni Nord. Mettre le Nord en haut est une norme arbitraire, on pourrait tout aussi choisir l'inverse. Rien n'est neutre en terme de représentation. Lorsque le Sud finira de se voir en bas, ce sera la fin des idées reçues. Tout n'est qu'une question d'habitude.
Carte du monde de Peters [*Heu...c'est ton destin !]
En 1967, Arno Peters, un cinéaste allemand, a conçu une projection de carte identique à la projection orthographique de Gall et l'a présenté en 1973 comme une nouvelle invention. Il l'a présenté comme une solution supérieure à celle de la projection de Mercator, utilisée couramment dans les cartes du Monde. La projection de Mercator augmente de plus en plus les tailles des régions en fonction de leur distance à l'équateur. Cette inflation a pour conséquence, par exemple, une représentation du Groenland qui est supérieure à l'Afrique, qui est une zone géographique 14 fois supérieure à celle du Groenland. Comme une grande partie du monde technologiquement moins développée se trouve près de l'équateur, ces pays apparaissent plus petits sur une Mercator et donc, selon Peters, semblent moins importants. Sur la carte de Peters, en revanche, des zones de taille égale sur le globe sont également de taille égale sur la carte. En utilisant cette projection, chaque nation apparaît avec sa taille correcte.
Mais revenons aux recherches de Lucette Colin et de ce formidable livre sur l'éducation tout au long de la vie : le dernier problème de ces expériences de mobilité internationale nous semble être la réintroduction d'une échelle de valeurs s'étayant sur un interculturel égalitaire (dispositif construit en tant que tel), ou de fait inégalitaire (migrations, exils). Le premier serait le signe d'une ouverture en soi du sujet alors que le second impliquerait que le sujet fasse la preuve de son ouverture (se confondant alors très souvent avec l'intégration). Si nous ne sous-estimons pas la violence inhérente aux contextes de migration subie et ses effets pour le sujet, nous constatons néanmoins que cette mobilité de fait est regardée avant tout comme porteuse d'handicap alors qu'elle était à contrario posée comme ressource. Ou alors cette mobilité est déniée en tant que fait. Lucette a été ainsi conduite à participer à un programme expérimental de l'OFAJ partant de la constatation que les jeunes des milieux défavorisés étaient généralement sous-représentés dans les échanges et les activités internationales mises en place et qu'ils demeuraient souvent inatteignables par les démultiplicateurs des échanges franco-allemands. Sur ce point les professionnels de l'animation socioculturelle impliqués dans les échanges internationaux, faisaient remonter les difficultés auxquelles ils étaient confrontés d'intéresser, de mobiliser dans leurs projets de jeunes de milieux sociaux défavorisés, en particulier en provenance de l'immigration, décrits alors comme rétifs à une mobilité.
Volontaires internationaux en grève !
Si cette constatation est un fait (ces jeunes ne participent pas [où très peu, et nuançons toutefois en précisant qu'on ne parle pas des jeunes accompagnés par des structures socio-éducatives] aux échanges internationaux à l'intérieur de l'Europe), ce n'est parce qu'ils manqueraient naturellement de mobilité, c'est parce qu'ils n'ont pas suivi les trajectoires scolaires et sociales les engageant naturellement dans ce type de mobilité. Ils ont tous par contre une expérience de va-et-vient entre le lieu d'habitation et le lieu d'origine et bénéficient parfois d'un éclatement familial dans l'exil qui les conduit à se déplacer en Europe. Mettre au travail la question de la mobilité et ses enjeux pour les mineurs (mais qu'ils soient issus de l'immigration ou non) dans son lien avec une autonomie productive (autonomie par rapport aux deux institutions éducatives principales que sont la famille et l'école) est une chose, postuler que des itinéraires de mobilité n'ont aucune vertu et ne valent pas la peine d'être explorés en matière d'effet de formation en est une autre. C'est parce que les échanges internationaux posent directement, de manière évidente, la question de l'étranger, qu'ils peuvent être interrogés comme expérience de l'altérité. La question de l'étranger, nous rappelle Jacques Derrida, est autant une question venue de l'étranger qu'une question adressée à l'étranger. Cette expérience de l'altérité est donc corrélative d'une expérience de décentrement. La sortie "de son monde" engage le sujet dans d'autres circuits, d'autres formes sociales et culturelles qui situent autant l'étranger dans l'autre que l'étranger en soi. C'est en cela que l'expérience du quotidien revêt ici toute son importance dans le sens où le quotidien, dans sa répétition, dans sa familiarité, dans son insignifiance même, représente une sorte d'évidence d'allant de soi jamais questionné et jamais explicité. Pourtant, la familiarité constitutive du monde de la vie est débordée sans cesse par de l'extra-quotidien. Mais si le quotidien s'ouvre sans cesse sur l'inconnu au point d'en retirer sa substance vitale, il ne tente pas d'en faire l'expérience. Au contraire, le trait caractéristique du monde quotidien est de chercher perpetuellement à domestiquer l'horizon flou qui l'entour par le biais de rituels de familiarisation. Il recentre l'univers infini sur le monde clos de la familiarité où il trouve une assurance, où il entre dans l'ordre des choses."
Mariage à Paramaribo, Suriname, 2009
Cette découverte du quotidien que provoque la traversée des frontières, c'est dans un premier temps la découverte d'un quotidien étrange ou avec des éléments d'étrangeté par rapport à mon quotidien familier. La familiarité pour l'autre de ce quotidien appréhendé par moi comme étrange dérange le rapport familier que j'entretiens à mes schèmes habituels de vie et qui perdent alors le caractère d'un ordre sûr, ordinaire, non questionnable. Cette découverte met en scène une "inquiétante étrangeté" du familier et qui, en cherchant son sens, provoque une sensibilité à l'altérité rarement aussi mobilisée dans le chez soi protégé par des frontières.
Au niveau des processus psychologiques, ce décentrement permet une possibilité de labilité identificatoire qui engage la construction de soi, la plasticité de la construction identitaire. Cela s'exprime souvent banalement par une mise en avant d'un changement personnel : impression d'avoir vieilli, d'avoir mûri, d'avoir changé, de ne plus être le même. Elle correspond à une mobilité de la représentation de soi/de l'autre ; elle est production de soi et ouvre de nouveaux projets. Ce changement personnel s'appuie sur des phénomènes de désidentifications liées à une conscientisation de certaines identifications qui peuvent alors se détacher de soi, et être remises éventuellement en cause. Le sujet est disponible, tout autrement, à son monde de subjectivation. A partir de là, l'expérience n'est plus une parenthèse, mais s'intègre et prend place dans l'histoire personnelle. Cette "mobilité" nous semble essentielle, mais elle est la plus problématique; le processus de changement, comme le montrent les travaux psychanalytique, devant se conjuguer obligatoirement avec la permanence du fait que le sujet est à la recherche d'un rapport de continuité entre passé, présent et futur (anticipé) et qu'il doit même en être assuré pour ne pas être et se sentir hors histoire. Changer implique qu'une différence se glisse entre passé, présent et futur anticipé, où le "je" qu'il est et qu'il sera n'est plus identique au "je" d'autrefois. Cette différence engage donc la construction identitaire et rend compte d'une labilité identificatoire qui engage des temporalités diversifiées. La mobilité ne doit donc pas être entendue comme un mouvement linéaire progressif; il y a des moments de stagnation, de régression, de fixation qui impliquerait un suivi à plus long terme pour mesurer véritablement les effets positifs de tels programmes chez les participants. Cette approche nous oblige à penser l'apprentissage comme autant de désapprentissages dans le sens du "Meurs et deviens" de Goethe. Si l'altérité engage un questionnement éthique (ne voir ses semblables que dans son groupe d'appartenance, reconnaître seulement ses semblables dans l'espace du même et non pas de l'autre), elle est au fondement même du sujet, dans le sens où le règne de l'hétéronomie est premier et que l'autonomie est déjà une reconnaissance de ce régime. La dimension relationnelle et identitaire de la question culturelle engage les limites et les frontières symboliques qui fondent les identifications mutuelles, et permet de négocier l'identification du même et la différenciation par rapport à l'autre. Problème psychologique clef en interdépendance avec le politique et le social puisque ces "cultures" parcellaires mises en avant rendent compte très souvent d'un sentiment de domination, de non-reconnaissance sociale, groupale. Ainsi, si les qualificatifs comme beur, black, etc. ne sont pas des catégories anthropologiques, et ne font pas appel aux traits culturels des populations dont sont issus les jeunes qui usent de ces expressions, ils font néanmoins sens, ils renvoient à des signes physiques identifiables comme la couleur de la peau; ils renvoient à ce qui serait une mentalité commune; ils renvoient à une religion commune. Ils renvoient aussi à la réalité d'une ségrégation sociale.
Face au constat d'un Georges Lapassade que nos sociétés contemporaines n'offrent plus de dispositifs d'entrée dans la vie adulte comme pouvaient le permettre les rites de passage, les recherches menées par Mme Colin concluent que les expériences d'immersion, le déplacement à l'étranger extrait le jeune de son contexte familier et correspond à un moment de transition, à une forme donc de marginalisation (au sens de Lapassade) qui peut être lu comme un rite de passage conçu comme un voyage (déconstruction-reconstruction) pour entrer grâce à ce détour par l'étranger dans ce qui lui est le plus intérieur. Mais dans ce grand tour, ce serait en fait soi-même que l'on chercherait. Nous toucherions là à une contradiction : la personne ne serait que centrifuge pour mieux-être centripète. C'est pourquoi nous entendons cette tension dans la dynamique identitaire entre permanence et changement, continuité et rupture, pôle idem et pôle ipse comme dessinant une éducation marquée inexorablement par l'inachèvement. Cette confrontation au différent, c'est une confrontation à l'énigme, à l'innatendu, à l'imprévisible où à la production d'affects ne s'inscrit pas subjectivement, où le travail de symbolisation est difficile puisqu'il n'y a pas de support d'inscription adéquat, de contexte significatif à moins que le sujet ne se fixe dans "l'aliénation de sa vérité". Ces différents extraits de ce très beau livre peuvent être conclues en situant ce concept de mobilité dans la traversée des frontières au-delà de cette évidence du déplacement visible : la mobilité ne serait pas tant un concept temporel ou un concept spatial, mais un concept "productif" : il y a mobilité à chaque fois qu'il y a production, c'est-à-dire qu'il y a engendrement de rapports inédits à l'existence, et donc traversée de frontières.
Une souris et...Lucette : passons quelques frontières...(1)
Partir. Sortir. Se laisser un jour séduire. Devenir plusieurs, braver l'extérieur, bifurquer ailleurs. Voici les trois premières étrangetés, les trois variétés d'altérité, les trois premières façons de s'exposer. Car il n'y a pas d'apprentissage sans exposition, souvent dangereuse à l'autre. Michel Serres, le tiers instruit.
Capitaliser sur des expériences de mobilité se fait notamment en prenant le temps de lire les écrits des spécialistes sur ce thème. Il existe par exemple des recherches universitaires sur ces expériences, et leur dimension éducative. Passer une frontière, ou des frontières. Mais de quelles frontières parle-t-on ? Celle de la frontière géographique en premier lieu, mais aussi de toutes les autres, plus subtiles, plus intimes. Lucette Colin fait partie de ces spécialistes, et a rédigé le chapitre de l'excellent ouvrage "l'éducation tout au long de la vie" sur les dimensions éducatives produites par les passage de frontières. Extraits.
"Les séjours à l'étranger font désormais partie de ces routines institutionnelles intégrées dans le parcours scolaire traditionnel même s'ils ne sont pas véritablement généralisés et encore moins requis. Ils sont d'abord perçus à la base comme un moyen privilégié d'apprentissage linguistique par le bain linguistique qu'ils occasionnent. Ils se sont ainsi imposés comme un dispositif de formation non-formel et informel offrant un complément indispensable des apprentissages scolaires formels traditionnels, tout en introduisant des valeurs qui restent néanmoins quelque peu marginales. En effet, si les examens, les concours cherchent légitimement à évaluer des connaissances théoriques et des compétences langagières, qu'ils consacrent in fine l'état final d'un apprentissage linguistique, ils donnent bien peu d'informations sur l'usage que font les étudiants de la langue qu'ils ont apprise pendant de longues années. "Que savons-nous sur leur comportement langagier en situation de contact avec des natifs, des stratégies communicatives auxquelles ils ont recours, des obstacles auxquels ils sont confrontés?" Cette question est très pertinente, et il est certain, par exemple, que mon job au contact de centaines d'habitants dublinois avait une dimension formatrice très sympa, même s'il n'était pas très utile sur le plan professionnel et qu'à mon âge actuel et avec les expériences acquises depuis l'époque, l'idéal serait d'éviter de le refaire. Pourtant, dans le monde du travail, beaucoup de personnes n'ont pas forcément conscience de la pertinence professionnelle de ce double champ de compétences que sont ceux de la mobilité et des relations interculturelles, et qui pourtant sont extrèmement utiles et accessibles à beaucoup de monde, dans l'Europe du 21ième siècle. En tout cas, Lucette continue en affirmant que "répondre à cette question implique de glisser subrepticement de la compétence linguistique évaluée par l'institution scolaire à une perspective de communication qui se jouerait donc essentiellement dans ses coulisses. Or, on le sait, la seule compétence linguistique n'est pas suffisante, même si elle est nécessaire, dans une perspective de communication et d'échange nécéssaire au sujet dans une confrontation à une altérité linguistique représentée et portée par un autre. Cette dernière implique des compétences spécifiques auxquelles seraient censés contribuer les séjours à l'étranger. En arrière-fond, la construction européenne, les enjeux internationaux, la mondalisation du quotidien, la composition plurielle de nos sociétés (pluriethniques, pluriculturels, multilingues), les besoins des sociétés contemporaines en matière sociale, économique, politique, déclinent et font appel à ces compétences."
Rencontres dublinoises, avec notamment Irene, amie italienne, à gauche, 2008
Les programmes du Conseil de l'Europe en matière de politique linguistique sont assez éclairants à ce sujet. Ils nous montrent les exigences qui se font jour d'un complément indispensable à l'éducation formelle : rapprochement de l'apprentissage des langues et de la vie quotidienne, inscription de l'apprentissage dans une perspective de communication, capacité de dialoguer avec des personnes qui ont d'autres identités culturelles, capacité de reconnaître les différences et de gérer les interactions culturelles, développement de la citoyenneté européenne, savoir apprendre à apprendre permettant d'asseoir le développement du plurilinguisme, plurilinguisme intrinsèquement lié au pluriculturalisme considéré par ailleurs, comme condition d'une citoyenneté active en Europe. Cette compétence plurilingue indissociable d'une compétence pluriculturelle mise ici en avant est synthétisée comme "la compétence à communiquer languagièrement et à interagir culturellement d'un acteur social qui possède, à des degrés divers, la maîtrise de plusieurs langues et l'expérience de plusieurs cultures. On considérera qu'il n'y a pas là superposition ou juxtaposition de compétences distinctes, mais bien existence d'une compétence complexe, voire composite, dans laquelle l'utilisateur peut puiser." Le séjour à l'étranger se trouve alors être redéfini pour ne pas être entraîné dans un objectif d'instrumentalisation. La bijection langues-séjour s'élargit au profit d'une démarche plus globale de formation : le séjour à l'étranger est alors pensé pour asseoir ce qui peut être nommé selon les auteurs et les orientations : pédagogie interculturelle, pédagogie internationale, développement d'une compétence transculturelle, pédagogie des échanges, école du voyage, etc. La sortie de son monde, dans son potentiel formateur, se cristallise sous le vocable "mobilité" dont la valeur sociale, dans une société moderne marquée par les déplacements dans le divers et les confrontations au divers (pays, langues, religions, valeurs, ethnies, codes culturels, représentations, subcultures, évidences, goûts...) se trouve par là même renforcée.
Chantiers internationaux à Couze et Mouleydier, Dordogne, 2015
L'intérêt porté par cette mobilité n'est pas nouveau; on sait depuis longtemps que "les voyages forment la jeunesse", ou encore, comme cet adage arabe nous le rappelle : "Voyage, tu découvriras le sens des choses et la valeur des hommes". Et pourtant, les apprentissages en jeu apparaissent flous, diffus, aléatoires. Ils sont par là même marqués par une certaine suspicion : version humoristique A nous les petites Anglaises !, même si l'auberge espagnol, autre film grand public arrive à nous faire ressentir la complexité de ce qui se joue pour le sujet dans cette quotidienneté qui ne va plus de soi. Cette suspicion nous semble être liée à la désintégration de la forme scolaire comme forme hégémonique autant dans la forme de l'apprendre que dans le contrôle ou la possibilité de contrôle des apprentissages. Cette suspicion plus marquée par rapport aux jeunes qu'elle ne le serait par rapport à des adultes s'alimente d'une vision coercitive de la formation initiale qui doit s'effectuer sous le contrôle de l'institution et de ses agents. L'éxpérience de mobilité internationale ouvre ce que l'on nomme communément le champ de l'éducation informelle. Nous entendons par là la construction et la mise en oeuvre de connaissances et de compétences qui ne peuvent pas être programmées systématiquement et qui sont donc moins objectivables, qui peuvent manquer de cohérence et qui sont difficilement systématisés, et où il manque une figure instituée de "maître" et de garant du savoir ce qui ne veut pas dire qu'il n'y ait pas un autre et des autres dans ce processus où le quotidien comme cadre privilégié d'apprentissage prend une place considérable.
Travaux d'amélioration de l'état écologique de la rivière, Couze 2015
On peut se demander si la reconnaissance d'une culture du voyage n'est pas prisonnière d'une distinction sociale; l'émergence du tourisme de masse, la démocratisation des échanges internationaux auraient ainsi contribué à jeter un voile d'opprobre sur l'expérience formative. S'oppose en effet à cette figure du voyageur celle du "voyagé" selon l'heureuse expression de Jacques Lacarrière, voyagé qui contrairement au voyageur ne pense plus parce qu'on agit à sa place. Effectivement, le voyagé cherche ce qu'il veut trouver, lui permettant d'asseoir ses préjugés en postjugés cultivant ainsi les "idées reçues", ce à quoi nous renvoient de manière cruciale les séjours internationaux dits éducatifs qui ne peuvent échapper à cette interrogationde fabriquer "des compétences de consommateur touriste". Ce désir de consommation, de loisirs, de détente est le problème récurrent que rencontrent les porteurs et les animateurs de ces projets. Ces motivations, qui ne sont pas en elles-mêmes blâmables, inscrivent alors le séjour dans la recherche du plaisir immédiat, incompatible ou entrant en tension avec le projet de formation et tentent de réduire les échanges, à un dispositif de tourisme subventionné. Ces investissements des jeunes même s'il produit un grand malaise chez les porteurs de ces projets ne nous semble pas être un handicap, du moins au départ; il correspond à une forme sociale connue et il n'est pas abberant que les jeunes partent avec des repères d'expériences coutumières. Il s'agit néanmoins de ne pas se laisser berner par les cartes postales d'expériences internationales qui produisent l'illusion d'un cosmopolitisme authentique.
Olivier, Gieyong-Jin et Madsiré, Mouleydier 2015
Il est également connu que les rencontres peuvent accentuer aussi les préjugés réciproques d'où d'ailleurs le piège de ficeler certains dispositifs, de les maintenir dans une temporalité courte, pour qu'ils apportent la preuve des bienfaits de la rencontre internationale. Une des représentations piégeantes les plus résistantes est de prêter à priori des effets bénéfiques, immédiats et totalement idéalisés, à la rencontre des cultures (le contact avec l'autre suffirait à éradiquer les préjugés, à créer un apprentissage interculturel), en déniant la charge de conflictualité et d'instabilité qu'elle produit chez les sujets, en scotomisant ce que l'histoire et le politique nous enseignent en matière de violences collectives, nationales ou internationales. Il n'est donc pas inutile ici de rappeler que cette mobilité géographique engage une immersion dont on ne peut prévoir les effets de façon systématique. Elle n'implique par forcément un émerveillement devant la nouveauté et peut au contraire produire une nostalgie du quotidien, dont les valeurs se trouveraient même renforcées. Ce sentiment d'émerveillement cache aussi d'ailleurs une approche folklorique de l'autre qui éloigne d'autant la question posée par l'autre. En même temps, cette expérience propre peut permettre une interrogation quant aux constructions de l'autre établies essentiellement à partir des médias, de l'histoire personnelle et des groupes d'appartenance qui se poursuivra dans l'après-coup, au moment du retour dans le quotidien.
France/Auvergne/Haute-Loire - Une journée à Saint-Pal-de-Mons
En ce 17 juillet 2016, Veronica, Mexicaine, Mario et David, Espagnols, Wael, Egyptien, et Thibault, Français, tous autour de la vingtaine, assistent à l'hommage rendu par la commune de Saint-Pal-de-Mons à deux hommes jumeaux de religion juive cachés dans la ferme d'une habitante sanpaloune, Adolphine Dorel, pendant une partie de la Seconde Guerre mondiale.
Alors qu'elle rendait visite à ses enfants en colonie de vacances, le mari de Bella Schanzer fut arrêté avec quatre autres membres de sa famille, dont les parents de Esther Ein. Bella Schanzer parvint à fuir avec ses enfants, Anna, âgée de 6 ans, et les jumeaux Bernard et Henri, âgé de 5 ans, et sa nière Ester Ein, âgée de 10 ans. Ils vont être accueillis au chateau de Virieu par le marquis Xavier de Virieu et son épouse Marie-Françoise. Durant l'été 1943, la famille de Virieu et des membres du maquis du Vercors et de la Résistance locale furent dénoncés à la Gestapo. Les Virieu durent quitter précipitamment le chateau pour se réfugier, sous un nom d'emprunt, à Chichilianne (Vercors), et continuer leurs actions de résistants dans la clandestinité. La famille juive, elle aussi, dut fuir le château et trouver un nouveau refuge avec l'aide des soeurs de N.D. de Lyon.
Les jumeaux de sept ans Henri et Bernard Schanzer sont placés dans un foyer à Grenoble. Bella Schanzeer sait qu'ils sont malheureux. Elle demande à Jeanne Bonhomme de les récupérer. Elle les conduit chez sa mère, veuve et sexagénaire, Adolphine Dorel, qui habite dans une ferme de Saint-Pal-de-Mons. Adolphine Dorel, que les enfants appelaient "mémé", les accueillit et les inscrivit à l'école. Elle prit soin de leur faire réciter chaque soir leurs prières, afin qu'il conserve le lien avec leurs racines juives. Jeanne Bonhomme, quant à elle, cacha pendant près d'un an la soeur des jumeaux, Anna Schanzer, alors âgée de huit ans, et sa cousine Ester Ein, âgée de douze ans. Elle les logeait dans une petite pièce attenante de son atelier de couture, et les présentait comme ses nièces. Elle leur fournit de faux papiers,qui leur permirent d'obtenir des cartes d'alimentation. Elle leur inventa également un passé, que les fillettes devaient connaître par coeur. Jeanne Bonhomme leur faisait répéter ce passé imaginaire chaque soir, afin que Anna et sa cousine disent rigoureusement la même chose si elles étaient questionnées par les Allemands. En mai 1944, Saint-Etienne étant exposé au risque de bombardements aériens, Jeanne envoya les deux fillettes chez sa mère Adolphine Dorel. Après la libération, les jumeaux et les deux fillettes demeurèrent à la ferme jusqu'à l'arrivée de Bella Schanzer. Adolphine Dorel mourut peu après la guerre. La famille Ein-Schanzer alla s'installer aux Etats-Unis et resta en contact avec Jeanne Bonhomme. Tous furent reconnus Justes parmi les Nations par Yad Vashem.
Cette commémoration est une parfaite illustration de la thématique très intéressante de l'histoire et la mémoire dans les rencontres internationales de jeunes, et dans les expériences de mobilité européenne et internationale que vivent une partie des jeunes (et moins jeunes) Européens en ce début de 21ième siècle. D'un côté, nous, les jeunes générations du 21ième siècle, n'avons pas forcément tendance à nous identifier aux jeunes qui sont partis faire la Seconde Guerre mondiale, et qui sont aujourd'hui nos grands-parents. Mais quand un de mes grand-père me raconte qu'il a passé son 19ième anniversaire enfermé dans une cave avec l'armée allemande à l'étage, et que mon autre grand-père me raconte, alors qu'il passe devant un champ agricole, qu'il se souvient encore du bruit des tirs lors de l'exécution de sept soldats allemands dans la commune voisine, je ne peux pas oublier que cette histoire appris très vaguement dans les livres scolaires correspond au vécu des anciens d'aujourd'hui.
Lors de mes expériences de vie en Irlande et en Guyane, la démarche spontanée qu'a été la mienne pour un peu mieux "comprendre" où je mettais les pieds fût déjà de lire les guides que j'avais acheté sur les deux territoires. Notamment les éléments historiques, comme le relatent certains articles de ce blog. C'est utile à priori, et cela donne une première compréhension assez vague du territoire dans lequel on s'installe. Pourtant, la démarche de rédaction de cet article sur le bagne de Guyane peut paraître "originale" pour un habitant de la Guyane du 21ième siècle, tout comme le serait peut-être la rédaction d'un article sur la résistance dans le plateau des Glières par un jeune Allemand venant s'installer à Annecy. En effet, comme le témoigne Giselle par exemple, née dans le contexte du génocide Rwandais des années 90, il n'est pas forcément naturel de s'identifier aux périodes historiques du pays/territoire dans lequel nous vivons, même si elles ont touché de près des proches et connaissances. Lorsque nous sommes dans notre territoire de référence, celui dans lequel nous avons grandi et auquel nous nous identifions le plus, cela ne gène pas. on se dit, un peu "excessivement", être "chez nous". Mais lorsque nous devenons mobile et que nous souhaitons vivre et travailler dans un autre territoire, un autre pays, un département ultramarin, nous emmenons avec nous, et ce bien malgré nous, un certain nombre de représentations en partie liées à l'histoire des deux territoires et de ses anciens habitants. Que je le veuille ou non, en Suisse, je suis perçu comme un Français et tout ce qui va avec...alors que pourtant, je me sens souvent bien plus proche de nombreux citoyens de la planête que d'une partie des habitants de France. Certains Suisses passeront bien au-dessus de ces représentations, d'autres n'oublieront pas que je suis Français et me le rappeleront de temps en temps (sans méchanceté), d'autres me considéreront comme un Frouze de plus, vision péjorative du Français. Fichues représentations !
Dans le contexte des rencontres internationales de jeunes, il peut être intéressant de prendre en compte ce thème de l'histoire et de la mémoire, et l'Office franco-allemand pour la Jeunesse (OFAJ) propose un guide et des animations sur ce thème. Certains passages du préambule sont intéressants. Les célébrations du Centenaire de la Première Guerre mondiale ont montré combien le souvenir historique et l'activité politique sont liés. C'est particulièrement le cas dans les relations entre la France et l'Allemagne. Les deux voisins entretiennent aujourd'hui des relations amicales, et n'ont au fond plus de problème l'un avec l'autre. Il règne une normalité qui peut devenir routinière si l'on n'est pas conscient de l'enchevêtrement des deux histoires nationales. Pendant plus de cent ans, celles-ci ont été marquées par la figure funeste de "l'ennemi héréditaire", qui a toujours conduit à de nouvelles guerres. Nous restons aujourd'hui frappés de stupeur devant l'Ossuaire de Douaumont, près de Verdun, où reposent les corps de plus de 130 000 soldats français et allemands tués au combat et dont plus personne ne connaît les noms. Cent ans après, il semble pourtant qu'un changement se profile et crée de nouvelles convergences. La première Guerre mondiale est aussi devenue lointaine pour les jeunes Français, et le pathos national tend à disparaître au profit d'un intérêt personnel pour le destin des arrières-grands-pères et des familles pendant la guerre. Les jeunes Allemands, pour leur part, redécouvrent cette guerre comme quelque chose qui touche à leur propre histoire, c'est-à-dire à eux, à leur famille, à leur commune et à leurs amis.(...)
Et je terminerai ce petit message par cette belle affirmation du guide, valable partout sur Terre, pour tous les Terriens : "c'est ainsi que nous devons continuer à agir les uns envers les autres, en connaissant le poids de l'histoire sans que celui-ci nous empêche de la concevoir comme une histoire commune, qui nous réunit par-delà les générations et nous permet de vivre ensemble de façon décomplexée et créative."
Une souris et...Rom, article d'un militant des Céméa
Rom m'est inconnu, mais son bel article sur les échanges internationaux a toute sa place dans ce blog. Oui, c'est du recopiage. Pas grave. Quant au site sur lequel je pioche cette vision à laquelle j'adhère, il propose un excellent dossier sur l'éducation populaire, en phase avec mon point de vue, même si cela ne signifie pas que je suis libertaire, hein !
Je l'écrivais dans un article récent sur le chantier international de Mouleydier. Le voyage est une chose, mais voyager en pouvant pleinement échanger et un tant soit peu connaître les personnes de la région visitée en est une autre. Ce que Rom dit très bien : "le tourisme et les voyages c'est facile. Se rencontrer réèllement par delà les frontières, ça l'est beaucoup moins. Les échanges de jeunes, dont font partie les chantiers internationaux, sont un parfait outil de rencontre internationale réciproque et solidaire. "Expériences pour rire ensemble, causer de nos pays et de nos cultures, mais aussi chambouler notre quotidien."
"La mobilité, on la croise partout. Dans les études ou au boulot, il faut être capable de bouger, de s'adapter. Mais cette "mobilité" n'est certainement pas la même pour tout le monde. Pour une partie de la jeunesse de la classe moyenne européenne, l'expérience internationale est devenue un rite de passage, un plus indispensable sur le CV. Elle peut prendre plusieurs formes : année en Erasmus, stage à l'étranger, année de coupure post-études...cette mobilité est choisie et accompagnée, vécue comme un moment fondamental de construction de soi. Pour une autre partie de la jeunesse, cette mobilité est subie et précaire : c'est la migration vers les bassins d'emplois, la nécessité de s'éloigner de ces ami-e-s et de sa famille pour pouvoir gagner un peu de thunes et trouver un logement. A l'échelle internationale, cette injustice est multipliée par 100 : le flux de touristes dans un sens, celui des migrants et exilés dans l'autre. Entre les deux, un ensemble de dispositifs de répression et de mort qu'on appelle les frontières. Une facilité de plus en plus grande de déplacement pour certains accompagne la multiplication des camps et des murs pour contenir les autres. [...] Les projets d'échanges de jeunes se confrontent à ces questions par l'action concrète.
Sur cette photo, des jeunes (18-35) (de haut en bas et de gauche à droite, sans compter les élus locaux) de : Espagne - République Démocratique du Congo - Italie - Grèce - Espagne - Mexique - Albanie - Chine - Chine - Tchéquie - Tchéquie - France - Japon - Corée du Sud - Allemagne - Guinée Conakry - Espagne - Espagne - Espagne - Taïwan - Corée-du-Sud - Turquie - Russie - Turquie - Tchéquie : vive le service volontaire international !
Ces échanges internationaux font se poser toutes les questions qu'on a sur nos vies, sur les rapports avec nos familles, sur notre vision du monde, et la religion dans tout ça, et le travail, la pauvreté, la police, la musique...Mais ce n'est pas si simple de construire un collectif quand on est une vingtaine, qui ne partagent pas forcément les mêmes habitudes ou le même rythme dans la journée. Se rencontrer, c'est aussi construire une vie quotidienne ensemble, ne pas se marcher sur les pieds, se parler. L'éducation populaire passe aussi par là, par l'expérimentation d'un collectif qui ne soit ni la famille, ni une institution. Tout cela avec une exigence de réciprocité. Lorsqu'on est allé quelque-part, il faut se préparer à accueillir chez soi, se battre avec les préfectures pour faire venir les gens et qu'ils puissent vivre aussi cette expérience. Bien sûr, tout n'est pas rose, ces échanges draînent leur lot de questions : quel compromis avec les institutions pour rendre tout ça possible ? Comment mener des projets égalitaires quand nos situations de départ ne le sont pas forcément, voire pas du tout? Comment ne pas reproduire la logique touristique et créer des liens de long terme ? Mais peut être qu'amener ces questions, c'est peut-être finalement le plus important. Sortir des certitudes pour pouvoir avancer, ici et là-bas."
Quel commentaire apporter à cet article ? Peut-être ce point de vue: la dimension humaine de la mondialisation pourrait être heureuse pour tout le monde en France. A Ambérieu-en-bugey, où j'ai vécu 2 ans, il est vrai qu'on vit assez peu de contacts culturels variés. Pourtant, chacun a accès à la ville de Lyon, au moins une fois de temps en temps. Et à Lyon, tout le monde peut aller aux soirées internationales. Alors, pourquoi y a t'il aussi peu d'échanges et de contacts avec l'altérité mondiale, encore aujourd'hui, en France et un peu partout ? Qu'est-ce qui pousse l'habitant d'un pays à aller discuter avec une personne expatriée et étrangère ? On en parlera doucement dans un prochain article !
Une souris et...Philippe, Terrien transatlantique
Ce blog, dans son historique, présente deux expériences de mobilité internationale et ultramarine : une année à Dublin et une année à Cayenne. Alors que cela représente deux grandes expériences pour un habitant de France métropolitaine lambda, il serait dommage d'oublier que pour de nombreuses personnes croisées au coin de la rue, cette expérience est habituelle, voire naturelle. Je pense typiquement à mon ami Philippe.
Dublin, septembre 2007. La porte de ma colocation s'ouvre. Philippe entre. Il vient s'installer à Dublin, pour une période indéterminée, depuis la Martinique. Car comme de nombreux autres habitants d'un des trois départements français d'Amérique (DFA), son espace de vie se situe de part et d'autre de l'océan Atlantique.
Le rapport de l'observatoire de la jeunesse 2014, "parcours des jeunes et territoires", fournit une analyse intéressante de cet espace de vie transatlantique chez les 18-30 ans. Depuis les années 50, le bassin des Caraïbes a été le théatre d'une forte émigration vers les métropoles européennes. Au fur et à mesure que les individus se sont installés ou réinstallés de part et d'autre de l'Atlantique, se sont formés des espaces de liens sociaux, familiaux etc. Les individus vivant de chaque côté sont plus ou moins connectés à ces espaces, selon leur expérience familiale de migration ou leur propre vécu de circulation transatlantique. En parallèle aux migrations se déroulent un va-et-vient de personnes au sein de cet espace de vie transatlantique. Une enquête Trajectoires et Origines (TeO), mené par l'Institut national d'études démographiques (INED) et l'INSEE, fournies quelques analyses sociologiques sur cet espace de vie transatlantique et les pratiques autonomes des 18-30 ans.
Ce qui peut être vécu comme une grande expérience pour un métro lambda,
n'est que normalité pour de nombreux habitants des DFA
En France métropolitaine, 1 habitant des DFA sur 2 déclare avoir été victime de discrimination dans les cinq ans précédant l'enquête. Ces moments de "renvoie aux origines" sont fréquents au travail, à l'école, dans la rue et même si l"on s'y attend", ils participent à la construction identitaire de ces jeunes. D'ailleurs, il y a une reconnaissance du fait qu'en France métropolitaine, on peut être renvoyé à ses origines tandis que dans d'autres lieux, on peut être plutôt identifié comme "Français". Cette identification "imposée" est d'autant plus mal vécue que certains jeunes ressentent à l'égard des territoires des DFA et de l'"identité antillaise" une ambivalence, qui peut être le résultat d'un moindre ancrage familial sinon d'expériences négatives lors de séjours dans les DFA. On retrouve de la déception exprimée face aux moqueries, aux réactions de jalousie, de méfiance, voire de rejets. Alors qu'ils se reconnaissent une identité antillaise, on leur refuse la reconnaissance de cette identité. Par ailleurs, pour les jeunes élevés majoritairement dans les grandes villes, il y a une difficulté à s'adapter à des sociétés où "tout se sait". En effet, l'interconnaissance est forte dans les îles et la surveillance sociale particulièrement marquée et contraignante. Faits et gestes sont observés et rapportés. Cette dimension est particulièrement difficile à supporter pour des personnes ayant été socialisées dans une société plus anonyme. Enfin, de plus en plus de jeunes se projettent au-delà des confins de l'espace transatlantique métropole-Antilles-Guyane. Si les perspectives de mobilité ont longtemps été ancrées dans cet espace bipolaire, les temps changent. Ainsi, grâce à l'image idéalisée d'une société multiculturelle, berceau du mouvement des drois civiques, les Etats-Unis sont parfois évoqués comme destination de préférence. Maintenant, même avec un niveau d'anglais simplement scolaire, vivre sur le continent américain, en Angleterre ou en Australie apparaît comme une option pour des jeunes qui envisagent parfois leur avenir professionnel et familial ailleurs qu'en France, hexagonale ou ultramarine.
Taux de Domiens pour 10 000 habitants (2008)
Je propose à Philippe de commenter cet article : "cette vision de la mobilité de la jeunesse antillaise est assez juste. Le manque de débouchés professionnels et les possibilités limitées d'y effectuer des études supérieures poussent chaque année une fraction de la jeunesse vers d'autres horizons. Horizons des plus classiques comme Paris et sa région, Toulouse, Bordeaux...mais il devient de plus en plus fréquent d'aller voir "plus loin", je pense notamment à l'Angleterre ou au Canada. A mon avis, il y a également un autre facteur à prendre en compte : quand on a passé les 18 ou 20 premières années de sa vie dans un espace de 1128 km2, l'énergie et la fougue de la jeunesse poussent tout naturellement à aller voir ailleurs ce qui s'y passe. D'un point de vue personnel, cette envie d'aller voir ailleurs m'a pris très tôt. C'est d'ailleurs sans doute pour cela que je me suis très tôt intéressé aux langues étrangères, et notamment à l'anglais. Je me rappelle encore de cette anecdote : je venais d'avoir 10 ans et mes parents venaient d'emménager dans une nouvelle maison. A cette époque, il n'y avait ni internet, ni câble ni box...juste trois chaînes locales diffusant parfois quelques émissions de métropole. Cependant, en bidouillant un peu le poste de télévision, je me suis rendu compte que j'avais accès à la chaîne américaine HBO ! C'était en fait grâce à un voisin qui avait chez lui une immense parabole, et magie de la science aidant, je pouvais capter son signal. Je ne m'étendrai pas sur les heures passées devant cette chaîne à regarder film après film en V.O., un pur régal ! C'est aussi à cette époque que j'ai commencé à m'intéresser aux langues qui me semblaient "exotiques", c'est-à-dire les langues de pays dont le mode de vie me semblait suffisamment éloigné du mien. J'avais par la suite opté pour l'allemand au lycée et le russe pendant les quatre années passées à l'armée après mon bac. C'est d'ailleurs durant cette période militaire que j'ai pu me rendre en Ukraine pour une mission de traduction très intéressante. Entrer à l'armée était également un projet que j'avais eu très tôt car il conjuguait pour moi prise d'indépendance et aventure, mais bien que je n'aie pas été trop déçu sur ce plan, il faut bien admettre que je n'avais pas la vocation militaire. En 2004, j'ai donc quitté l'armée en repassant par la case départ en Martinique, mais toujours avec la certitude de repartir, à l'étranger si possible. C'est un projet que j'ai préparé pendant trois ans: économies, choix de la destination, prospection préalable des entreprises susceptibles de m'embaucher, préparation du CV. Sans oublier de profiter de toutes les occasions d'améliorer mon anglais. Mon travail en location de voitures au contact des touristes étrangers m'a beaucoup aidé à l'époque pour l'expression orale. J'ai également passé beaucoup d'heures à écouter des livres audio en anglais. Et en septembre 2007, ce fut le grand saut ! Aller simple pour Dublin avec les premières nuits réservées en auberge de jeunesse sur Aungier Street ! Pour ensuite m'établir à Phibsboro, que tu connais bien, pas vrai coloc ?! Depuis cette date, j'ai bougé au gré des opportunités professionnelles qui m'ont amené tantôt à Londres, tantôt à Paris...et depuis août 2015, me voici de retour en Irlande ! Pourvu que ça dure ! Mais il faut quand même savoir que dans la tête de beaucoup d'Antillais expatriés aux quatre coins du monde existe un secret espoir de rentrer un jour "à la maison" pour y profiter des derniers instants et y finir sa vie..."
Philippe, ami martiniquais très attiré par...le froid scandinave !
Une souris et...Manu & co, expérimentateurs de territoires
Une expérience de mobilité régionale, nationale et internationale, que ce soit celles présentées et réfléchies dans ce blog ou celle de quiconque, revêt une dimension d'expérimentation territoriale, pour reprendre une expression utilisée dans une étude récemment survolée. Par territoire, utilisons la définition classique de l'étendue de surface terrestre sur laquelle vit un groupe humain. Ce qui fait territoire, c'est l'ensemble des interactions entre le groupe humain dans toutes ses composantes, et l'étendue de la surface terrestre concernée, dans toutes ses diversités. Le territoire s'aborde donc de façon globale : spatiale, humaine, économique, sociale, politique.
Une année à vivre et travailler en Irlande ou en Guyane représente une belle forme d'expérimentation territoriale. Passons ce stage de quelques mois à la DCU un peu limité au niveau social, même s'il m'aura permis de travailler au jour le jour avec des habitants irlandais, et prenons plutôt l'exemple de la vie en famille irlandaise (quelques semaines pendant les cours d'anglais, dans cette "autre époque" pourtant déjà relatée dans ce blog), ou, encore plus, de mon emploi dans un grand magasin au centre-ville de Dublin : servir des centaines de clients par jour et voire défiler l'intégralité de la société dublinoise du feu tigre celtique; du papy à l'accent incompréhensible à la bimbo venant se faire bronzer plusieurs fois par semaine. Où alors de Philippe, coloc amateur de bons films à Juliana, Brésilienne rencontrée à Dublin et recroisée à Cayenne.
Expérimenter Phibsboro et Dublin...à faire, lecteur (jeune) adulte !
Expérimenter un territoire, c'est ce que permet aussi un chantier international, en amenant un jeune adulte, 18-30 ans le plus souvent, à découvrir d'autres environnements en participant de manière volontaire à la réalisation d'un travail d'intérêt général. A Laurenan, Peiye, jeune Chinoise de la vingtaine habitant au Japon depuis l'âge de 11 ans, et souhaitant s'installer en milieu rural, a ainsi pu expérimenter ce joli village en y rencontrant quelques habitants apportant, via leur engagement politique ou associatif, un peu de vie à la commune. Et puis à Laurenan, il y a aussi des jeunes qui pourraient être contents de rencontrer une habitante du Japon. Expérimenter d'autres territoires, même durant un cours laps de temps (quelques semaines à une année), a pour origine et conséquence une certaine motilité, soit une capacité à être mobile. Et cette motilité est un phénomène vertueux : la motilité progressive va crescendo, selon trois piliers : appétences, aptitudes, moyens. Elle repose sur des pré-requis, s'acquiert, se développe, s'apprend et se transmet. Les expériences accumulées au long de la jeunesse participent de cet apprentissage tant elles ouvrent une capacité d'adaptation, installent des repères, consolident les savoir-faire, favorisent l'anticipation devant les contraintes et les situations incertaines ou inconnues qui accompagnent la mobilité. Elles permettent de prendre confiance et d'appréhender la mobilité avec apétence et sans crainte. Elles sont propices à la prise d'initiative...ainsi, de petites expériences en petites expériences, quiconque le souhaite peut se former, développe des savoirs et capacités organisationnels, intègre une compétence sinon une culture de la mobilité.
Expérimenter un territoire permet aussi de doucettement réfléchir aux quelques représentations initiales qu'on a de celui-ci, puis de les dépasser. Sans oublier que les habitants qui y vivent peuvent aussi avoir des représentations nous concernant. Et c'est bien par l'échange et le respect réciproque qu'on peut facilement faire valser intelligemment ces quelques représentations. N'est-ce pas ce que dit un peu Giyeong-Jin, quand elle affirme que sa rencontre avec quelques jeunes habitants d'Europe lui a permis de se rendre compte qu'à quelques nuances culturelles et identitaires près, on peut s'entendre avec beaucoup d'autres Terriens, au niveau idéologique.
Expérimenter le village de Mouleydier,
en rencontrant et aidant ses habitants, souhait d'Olivier,
jeune adulte congolais arrivé en France en 2014
Alors, oui, expérimenter d'autres territoires est une expérience que chacun devrait faire, un jour ou l'autre. Pour se rendre compte que même à l'échelle de Rhône-Alpes, beaucoup de choses sont accessibles. Passer d'Annemasse à Lyon, par exemple, permet typiquement de s'engager plus facilement dans une vie associative riche et variée, pour s'éduquer tout au long de la vie et faire de belles rencontres. Mais voilà. Comme pour toute nouvelle chose, il y a quelques freins. Matériels, cognitifs, psychologiques. Dans ce derniers cas, les déplacements seraient alors de plus en plus perçus comme une confrontation à l'inconnu exprimant une difficulté et souvent une crainte à sa projeter hors de son territoire de référence. Et il y aurait quelques profils types de jeunes par rapport à la mobilité...du jeune mobile au jeune décroché. Mais dans ce domaine là, comme dans beaucoup d'autres, résilience il y a. Alors, ami lecteur, je t'en conjure : n'ai pas peur, ose, et expérimente les mobilités régionales, nationales et internationales !
France/Midi-Pyrénées/Gers - Une journée à Castelnau-d'Auzan
Des raisins et du lien. Octobre 2015. Il fait beau à Castelnau-d'Auzan. Je rencontre Thierry, et quelques-uns de ses compères. Ils se connaissent depuis 50 ans. Car la vingtaine juste entâmée, ils avaient été volontaires sur un chantier, travaillant sur une propriété viticole du coin, pour les vendanges.
Octobre 1965. Au Suriname, Louis Autar fait une pause annuelle dans le suivi des pontes de tortues marines sur quelques plages du pays. En Guyane, le premier coup de pioche de la "Cité de chantier" à Kourou est donné, pour aboutir, 900 jours plus tard, au premier lancement d'une fusée depuis le nouveau Centre Spatial Guyanais. Dans une autre partie du Monde, il y a une guerre au Viet Nâm. Forcément, une période sans guerre, ce serait trop beau. Au petit village de Castelnau-d'Auzan, dans le Gers, se retrouvent 22 jeunes Européens de France, Hollande, Allemagne et Angleterre.
50 ans plus tard, ils nous livrent quelques souvenirs.
Thierry décrit une soirée un peu arrosée...oui, ça peut arriver, de temps en temps : quand nous avons pris possession de la maison, il a bien fallu comprendre que nous ferions plus du camping que vivre dans un cinq étoiles. Mais nous étions jeunes et plein d'enthousiasme. Il fallait apprendre à ne pas passer à travers les lattes de parquet au risque de se retrouver rapidement au rez-de-chaussée. Mais le bon vin rend toujours la vie plus gaie...parfois un peu trop ! Je me souviens d'une soirée au clair de lune devant le tonneau de vin blanc apporté par monsieur Lacour. Martine, horrifiée par la descente en vitesse de schuss du tonneau m'a demandé de faire cesser cette beuverie, inquiète soit pour les finances du camp (pourra-t-on en avoir un deuxième ?) soit plutôt d'avoir à passer la toile à laver sur le trajet des grands amateurs de ce nectar des dieux et d'en supporter les effluves jusque dans les chambres. Devant le peu de coopération des buveurs, j'ai été obligé de cacher le tonneau, certes bien allégé et pas trop lourd à porter. Ce soir-là, je n'ai pas dû me faire que des amis. Et pourtant, ils sont restés mes amis pendant cinquante ans !
Jean-Claude garde lui aussi quelques moments forts à l'esprit : notamment, " la découverte en pleine vendange que nous avions faît l'objet d'un article dans la Dépêche du Midi. Il s'intitulait, "la voilà la jolie vigne!" que nous fit lire un employé de la propriété. Stupéfaction, satisfaction...notre action n'était pas si anodine puisqu'elle intéressait les médias...ce melting pot en tout cas créait à tout moment de la journée une richesse de réaction, de blagues, d'humour dans toutes les langues. Nous, Français, demandions bien souvent la traduction, notre anglais n'était guère à la hauteur de nos compagnons Allemands ou Hollandais ! Seuls les Anglais nous ressemblaient, encore qu'Evelyn parlait déjà bien le français ! Notre chef, Walter, lorsqu'il annonçait un programme, une idée ou autre chose, l'exprimait en quatre langues: le français, l'anglais, l'allemand, puis le hollandais, sa langue maternelle ! Excusez-moi du peu ! A 25 ans, ce jeune homme volontaire, débordant d'humour, plein d'idées, chantant de vieilles chansons du folklore français en s'accompagnant à la guitare, avait une personnalité peu commune et nous laissait tous admiratif...il a maintenant ajouté l'espagnol à son répertoire ! Je crois que je vais m'arrêter là...mais je pense que je pourrais raconter encore...Nous sommes, Claudine et moi, l'histoire concrète de ce chantier puisque nous nous sommes connus en 1965, mariés en 1978 et nous écrivons nos mémoires en 2015. Quelle aventure ! Je crois qu'un projet commun, à but non lucratif, fédère les gens. Là, c'était les vandanges qui ont permis de développer la solidarité. Nous préparions l'Europe avant l'heure : elle est malheureusement loin d'avoir obtenu la même fraternité !
Annick se souvient d'un bal à Eauze : un samedi soir, nous sommes allés à un bal à Eauze (11 Km de Castelnau). Après avoir bien dansé, le retour s'est fait à pied par une magnifique nuit claire et étoilée. Mais Walter le dit : nous revînmes ! Nous étions fatigués et nous avions sommeil, et nous sommes fâtigués et nous avons encore sommeil ! Mais la flamme d'enthousiasme nous tient !
Harald donne quelques explications sur l'impact qu'à eu cette expérience sur ses choix de vie : "Le chantier international à Castelnau d'Auzan dans le Gers ne fût ni mon premier ni mon dernier. Mais il a contribué à une impulsion décisive pour mon avenir. Comme presque chaque homme allemand de l'époque, je faisais mon service militaire obligatoire. Je l'ai commencé le 1ier avril 1965. Pour de raisons liées à l'entente des peuples, j'avais le droit de partir pour un chantier international de jeunes déjà fin septembre, quelques semaines plus tôt que prévu par la loi. En plus, il était soutenu par l'Office franco-allemand pour la Jeunesse. Comment ces 2-3 semaines à Castelnau-d'Auzan ont-elles changé mon avenir ? Après mon service militaire j'avais l'intention de faire mes études d'anglais pour devenir professeur enseignant dans le cycle d'enseignement primaire long. A Castelnau cependant, j'avais constaté que ma connaissance de la langue française était trop bonne pour être négligée. Alors, et après maintes expériences agréables en France, je me suis décidé à faire mes études d'anglais et de français pour devenir professeur de collège unique. Pour finir, j'aimerais affirmer avec reconnaissance et admiration que notre engagement à Castelnau-d'Auzan a fondé une amitié pour la vie. Au fil du temps nous nous sommes rencontrés à plusieurs reprises : à Schevenhütte, en Hollande, Cancale, Bath, Bourges, Paris notamment. Il est quand même surprenant qu'après 50 ans une bande jadis bigarrée de gens de différents pays retourne à l'endroit de son camp d'activité originel pour y consacrer avec leurs partenaires une semaine de retrouvailles dans la joie et l'harmonie."
Une belle petite histoire, dans la grande Histoire de l'Europe des cinquante dernières années.