Une souris et...Ginna, de Barranquilla à Nancy
Nancy, printemps 2021. Alors que le troisième confinement touche à sa fin, je rencontre, dans l’ascenseur de mon immeuble, une étudiante en école d’ingénieur en génie chimique. Ginna, 24 ans, vient de Barranquilla, ville du Nord de la Colombie baignée par la mer des Caraïbes. Alors que les échanges internationaux d’étudiants ont chuté de 40% en 2020 dans le contexte de la crise sanitaire, voilà que Ginna vient aider, en tant qu’assistante de vie, une dame âgée dont je suis le voisin. Je profite de cette rencontre fortuite pour proposer à Ginna de travailler de manière informelle son français et mon espagnol, et pourquoi pas de découvrir un ou deux coins de la région…car sans voiture, difficile de sortir des sentiers battus, encore plus quand on est à l’étranger.
Le nom de Barranquilla m’était inconnu, avant cette rencontre. Ginna y a passé son enfance : « j’ai vécu toute ma vie à Barranquilla. Dans mon enfance, j’ai étudié dans une école catholique dans laquelle on m’a enseigné des valeurs orientées vers le service des plus démunis. J’ai donc participé à différents travaux bénévoles pour aider les enfants aux ressources limitées. Pendant cette période, j’ai réalisé différentes activités éducatives et j’ai livré des articles pour les études avec les enfants du secteur de Tasajera Magdalena. Pendant mon adolescence, j’ai développé mon goût pour la lecture et l’écriture, j’ai participé aux concours d’écriture de l’école et j’ai écrit différentes histoires pour les enfants. En même temps, j’ai aidé mes parents dans l’entreprise familiale, une épicerie, ce qui m’a appris à être responsable et indépendante dès mon plus jeune âge. Cependant, je n’avais pas de temps libre. De plus, mes parents travaillaient toute la journée et tous les jours. Pour cette raison, ma famille ne cèlèbre pas Noël et les fêtes. De mon enfance, je me souviens que toutes les familles se réunissaient ce jour là pour préparer le diner, mais nous nous étions toujours occupés.
Barranquilla, capitale du département Atlantico, Colombie
C’est donc par un doux dimanche de Juillet 2021 que nous nous retrouvons à visiter les jolies communes de Colmar et Riquewihr.
Une journée à Colmar
Ballade à Riquewihr et sur la route des vins d'Alsace
Quel est le plus sympa : traverser l’Atlantique pour aller voir un troupeau de Lama dans les Andes, ou aller dans les Vosges et faire découvrir un troupeau de mouton à une Baranquillera qui n’en a jamais vu ? Une solution alternative serait de faire découvrir à une Baranquillera un troupeau de Lama dans les Vosges.
A la fin de son séjour, Ginna est partie vivre à Lyon et a rejoint des compères colombiens installés dans la cité des Gones. Ceux-ci sont engagés au sein de l’association Colombia Nueva, fondée en 2011, ayant pour objectifs fondamentaux de promouvoir l’intégration et le développement de la communauté colombienne, ainsi que de fortifier les liens de fraternité entre la Colombie et la France. Lors du forum des associations de Lyon 8, ceux-ci nous ont partagé quelques danses colombiennes.
Danses colombiennes avec l'association Colombia Nueva, Lyon, Septembre 2021
Comment Ginna a vécu, globalement, son séjour ? Voilà son témoignage.
« Changer de pays, de culture et même de fuseau horaire a été l’une des expériences les plus exigeantes que j’ai vécues dans ma vie. Lorsque je suis arrivé en France, j’ai commencé à découvrir un nouveau monde, du système éducatif aux procédures administratives. Comme pour tout changement, il faut du temps et de la patience pour s’adapter à la nouvelle façon de faire les choses. Mon projet de venir en France était principalement éducatif. Mon objectif était d’étudier un Master en génie chimique ou des procédés axés sur la formulation des produits. C’est ainsi que je suis arrivé à Nancy, où se trouve l’école ENSIC, qui jouit d’un certain prestige au niveau national. » En étant à Nancy j’ai réalisé que la France n’est pas seulement ce qui est vendu dans les films, c’est un pays multiculturel plein de diversité tout au long du pays. Tout comme en Colombie, chaque région a des coutumes très marquées et différentes, où la combinaison de toutes ces différences ajoutées au fait d’être un pays ouvert aux étrangers fait de la France un pays charmant où que vous vous trouviez. Bien que Paris soit merveilleuse, charmante et romantique, ce n’est pas la seule chose que vous devriez visiter, car chaque région a des endroits qui sont vraiment superbes.
Culturellement, les Colombiens, en particulier les Barranquilleros, sommes des gens habitués à la communauté et au bruit. En France, j’ai observé que globalement les gens préfèrent les environnements calmes et paisibles. Retourner en France serait un rêve pour moi, principalement parce que je me suis identifié aux environnements calmes et sûrs, et que je considère que c’est un pays doté d’une grande diversité culturelle et naturelle que je veux continuer à explorer.
Quand j’étais en Colombie, je pensais que tout ce qui concerne la France était centré sur Paris. J’ai remarqué qu’il y a certaines choses qui sont comme ça mais que chaque région peut avoir une composante culturelle et historique beaucoup plus marquée. La ponctualité, la rigueur et de la bureaucratie sont les représentations qui je crois se remarquent bien chez la plupart des Français. Cependant, en Colombie, j’avais entendu dire que les Français n’aimaient pas travailler, aujourd’hui je peux dire que ce n’est pas vrai et que c’est une idée très fausse, c’est une idée que le capitalisme nous a vendue en Colombie et ce que je crois, c’est que la France est un pays juste, où on a le droit à une vie digne et où la qualité de vie de ses citoyens est prise en charge, ce qui n’arrive pas dans les pays comme la Colombie où les hommes d’affaires pensent dans un système capitaliste.
Je pense que mon identité de Colombienne n’a pas changé pendant cette année. Mais j’ai appris différentes choses que je peux incorporer à ma vie actuelle. »
Et si on regardait cette expérience avec une dimension plus théorique ? Magali Ballatore, chercheure, a écrit une publication très intéressante sur les échanges internationaux en Europe et les apprentissages qui en découlent (Revue internationale de sciences sociales / Hors-série n° 3 – 2011, (57-74) juillet-septembre 2008). Quelques extraits peuvent renforcer la compréhension du vécu de Ginna dans son expérience de mobilité internationale : "le « tout petit monde », comme le nomment Anne Barrère et Danilo Martuccelli, où il serait possible de circuler sans entrave, de se sentir « partout » chez soi, d’être bien reçu et traité dans des cadres spatiaux profondément semblables et peu dépaysants », reste toujours du domaine de la fiction littéraire. Y-a-t’il vraiment « une ligne de démarcation » qui séparent ceux qui, « comme bien des individus du « Sud », possèdent encore le rêve d’un ailleurs (notre « ici ») et tous ceux qui, habitants blasés du Nord, n’en disposent plus » ? Le « Nord », notre « ici », est en réalité fait d’une pluralité de situations socioéconomiques difficilement assimilables pour une même analyse. En quoi et pour qui la mobilité géographique a-t-elle un impact particulier ? « ... » Pour la quasi-totalité des étudiants, le bien-fondé de leur séjour se situe en dehors des apprentissages strictement disciplinaires. Par exemple, le nombre important de termes, dans leurs discours, qui se réfèrent à la découverte de la ville, à l’ordre, au désordre et aux habitudes vestimentaires, alimentaire, montre l’intérêt des étudiants en échange international pour le pays d’accueil. Mais tout se passe comme s’ils étaient simple spectateur ou si le séjour était un film dans lequel ils n’étaient que figurants. Les connaissances culturelles acquises sur une base strictement descriptive et comparative n’améliorent pas forcément leur compréhension du pays d’accueil. La perspective binaire chez certains étudiants (le seul élément stable étant souvent le pays d’origine) accentue le déséquilibre et produit une réification d’autrui, alors que la volonté déclarée de ces programmes est l’échange et la reconnaissance interculturelle. La confrontation culturelle avec des formes de l’altérité, vécue parce que les étudiants en échanges internationaux se placent souvent en marge, peut induire un abus des explications culturalistes. Ces dernières vident les cultures de leur complexité, de leur historicité et de leurs conflits internes (Papatsiba, 2001). Dans les acquis culturels du séjour étudiant à l’étranger, si nous pouvons les nommer ainsi, ressort une « connaissance mosaïque », souvent vidée de la recherche de cohérence, de liens. Il est vrai que les échanges permettent de vivre une altérité exponentielle, mais tous les étudiants sont loin de posséder la même capacité empathique nécessaire à la compréhension, qui s’acquiert souvent durant la socialisation primaire.
Magali, dans le cadre de ses recherches, a ainsi pu constater qu’il existe différentes manières de vivre la mobilité, et ainsi, dresser une typologie des comportements relatifs aux différents degrés de manipulation des codes culturels et sociaux. L’échelle des comportements va du repli sur sa culture d’origine, avec un réinvestissement faible ou nul et l’absence de nouvelles mobilités, jusqu’à la perméabilité quasi-totale à la culture du milieu d’accueil et la volonté d’y résider définitivement. De cela sort des idéal-type d’étudiants.
Le premier est l’étudiant « défensif », qui cherche, lors de son séjour à l’étranger, ainsi à se construire pleinement en « étranger ». Il organise une mise en scène de son « univers originel ». Les influences culturelles extérieures semblent peu pénétrer l’univers cognitif de ces étudiants défensifs, qui se tiennent donc « à distance raisonnable » des membres de son pays d’accueil tout en maintenant des liens forts avec ceux de son pays d’origine.
L’étudiant « opportuniste », pragmatique, mettant en scène avant tout l’adaptation à l’environnement. Il tentera de connaître le plus d’autochtones possible, participera souvent aux activités de l’Université, afin de tirer le meilleur bénéfice de son année d’études à l’étranger, en fonction des objectifs de départ qu’il s’était fixé. De retour dans son pays d’origine, il tentera de réutiliser les compétences acquises, parfois tardivement, dans des projets distinctifs et continuera le jeu de la perpétuelle migration, d’un mode d’être à un autre en s’inscrivant dans de nouvelles mobilités.
L’étudiant « transnational », dont le discours en appelle au plurilinguisme, à l’esprit cosmopolite et au développement d’activités « interculturelles ». Le séjour à l’étranger a, de ce fait, été un véritable «laboratoire» de façons d’être. La culture international est d’autant mieux transmise que l’épreuve de la mobilité internationale et du voyage est perçue comme un accomplissement des dispositions anciennes. A son retour, l’étudiant va donc « naturellement » se tourner vers des carrières qui permettront de nouvelles expatriations, tout en gardant ses repères identificatoires.
L’étudiant « converti », dont les facteurs répulsifs de la société et/ou de l’Université d’origine ont été déterminants, beaucoup plus que les facteurs attractifs du pays d’accueil. L’expérience entraîne pour lui le désir de réorienter ses études, sa trajectoire à la lumière des découvertes effectuées dans le pays d’accueil."
Où se situe Ginna dans ces quatre idéal-type ? L’avenir nous le dira. Mais pour le moment, elle a sans doute beaucoup de choses à raconter à ses ami(e)s là-bas, en Colombie !
Remise d'un premier diplome, 2018
"La distancia no es nada cuando tiene un motivo" (Jane Austen)
Une souris et...Esra & co, rencontres franco-turques en France
Une des conséquences de la rencontre interculturelle est celle d'ouvrir doucettement son esprit à de nouvelles réflexions, à de nouvelles envies, d'évoluer un tant soit peu dans son rapport à l'existence, à l'altérité, de rester mobile et souple, intérieurement et sociétalement. S'il y a bien un pays pour lequel mon intérêt, en tant que Terrien lambda, a considérablement évolué depuis quelques temps, c'est bien la Turquie. Pourquoi donc ? Est-ce le fait d'avoir cotoyé quelques personnes de ce pays dans le cadre des échanges internationaux et de Concordia ? En tout cas, ce n'est sûrement pas le traitement médiatique qui est fait de la politique de ce pays dans le contexte actuel de la région, qui influencera mon intérêt. Faire attention à la TV, toujours, voire ne jamais la regarder, sans doute. Croiser les regards des différents journaux pour tenter de se faire un avis sur un sujet, aussi. Et bien sûr, toujours, bien avant le reste, essayer d'être en contact, même virtuellement, avec quelques habitants du territoire interrogé. Le plus intéressant, même sans sortir de chez soi. Partager le "Manière de voir" des journalistes, partager les manières de voir des copains. Alors pour un tout petit peu mieux "connaître" la Turquie, lisons avec intérêt ce numéro 132, et évadons-nous un peu avec quelques belles photos des copains turques.
Des copains turques, des manières de voir, et des Manière de voir
Le pays subit des évènements politiques importants depuis quelques années, et il est intéressant d'associer certains évènements médiatisés avec une expérience personnelle. Ainsi, un article du Manière de voir cite Beytö, un jeune Kurde de 18 ans, sans emploi : pour lui, les jeunes aimeraient avoir des lieux pour se rencontrer, découvrir de nouvelles idées. Mais c'est surtout la mentalité qui doit changer. Peut-être qu'Esra, une belle personne dont je vous avais présentée les motivations à venir faire un SVE aujourd'hui réalisé à Lyon, pourrait le contacter et le mettre en relation avec son mouvement de jeunesse, Yasom ? Lors d'un de mes échanges avec elle, elle m'avait indiqué que l'organisation montait notamment des workshops d'éducation interculturelle à destination de la jeunesse de Turquie.
Yasom, organisation de jeunesse turque d'Esra
Esra, volontaire SVE sur un chantier international, 2016
Reyhan, jeune femme de 27 ans, avec qui j'ai animé ce beau chantier international de Mouleydier en août 2015, était volontaire SVE au sein de la délégation Aquitaine de Concordia. C'est la première Stambouliote que je rencontre. Mon premier contact avec elle se fait par mail le 13 juin 2015. Ce jour-là, elle m'écrit dans un français presque parfait : bonjour Emmanuel ! Je m'appelle Reyhan, je suis turque et je suis actuellement en SVE à Concordia. je serai l'animatrice vie de groupe avec toi dans le chantier de Mouleydier. J'ai déjà fait trois chantiers il y a quelques années et je pars en formation d'animateur ce week-end. Cette semaine j'ai visité le chantier et c'est super joli. Le travail c'est de nettoyer les pierres et les murs autour d'un canal et même si je connais pas grand chose, il semble assez facile.
Le Manière de voir propose un article sur les chemins escarpés du pluralisme. Extraits. "De plus en plus, et pas seulement en Turquie, la démocratisation et l'autoritarisme vont main dans la main." Yesim Arat, professeure de science politique à l'université Bogazici, soulignait ce paradoxe durant l'été 2013, alors que les Turcs tentaient d'analyser l'impact des mouvements de contestation qui avaient éclaté à Istanbul et s'étaient étendus à tout le pays. Les manifestants s'étaient mobilisés contre un projet de développement du parc Gezi, au coeur d'Istanbul, qui liquidait un des derniers espaces verts dans le centre-ville. Leur colère avait été alimentée par la réponse autoritaire et arrogante du premier ministre Recep Tayyip Erdogan à leurs revendications."
Reyhan, dans une manifestation à Istanbul
("Ne croyez pas. Un jour, la direction du vent qui vénère le soleil et le pénis changera certainement")
Bien sûr, nos échanges sont le plus souvent généraux, sur la vie de tous les jours, comme tout échange normal entre 2 Terriens. Et grâce à nos amitiés facebook, il est possible de découvrir quelques scènes de vie de cette lointaine Turquie, plus douces et positives que les photos médiatiques des évènements récents. C'est ainsi que je pioche ces belles scènes de vie stambouliotes de ce début du 21ième siècle.
Scènes de vie à Istanbul
Mais à Concordia, par définition, ce n'est pas une rencontre internationale que l'on fait, mais beaucoup...lorsque je vivais à Clermont-Ferrand, j'ai eu la chance de loger deux nouveaux volontaires SVE turques, Irem et Ibrahim. Hé oui, dans ce beau monde des échanges internationaux, les organisations turques sont particulièrement actives et envoient nombre de jeunes adultes du pays sur des projets en Europe ou dans le Monde. Irem et Ibrahim viennent de finir des études en sciences politiques à Istanbul, et notre amitié facebook me permet de piocher ces deux photos pour m'évader un peu dans cette ville.
Une journée à Istanbul, 2016, avec Irem, tout devant, et Ibrahim, tout à droite
Irem et Ibrahim, à gauche, avec leurs potes, posant comme les acteurs d'une série star en Turquie, Aşk-ı Memnu
Irem, installée depuis 6 mois en Auvergne, me confie être membre des Stambouliotes, un groupe facebook de rencontre entre Français et Turques qui veulent apprendre le Français, lors de soirées polyglottes, notamment au café des Augustes. Nous évoquons aussi la situation d'une partie des Franco-Turques, ces Français issus de l'exil des générations précédentes. Elle en discute avec une de ses amies, et évoque les grandes difficultés d'une partie de ces personnes à vivre au sein du territoire national. Elle me dit aussi avoir le sentiment qu'une partie de ces personnes ne vivent aujourd'hui pas comme les Turques de la Turquie du 21ième siècle, mais comme la Turquie d'"avant".
A Reignier, commune un peu triste de Haute-Savoie, au Poulpe, principal lieu de socializing du canton, je rencontre en ce mois de novembre 2016 trois Franco-Turques qui travaillent dans une entreprise de BTP. Ils ont grandi en France et sont très sympas. Peut-être qu'avoir été proche de Reyhan et Esra en 2015 m'aura donné plus spontanément envie de discuter avec eux que je ne l'aurais fait plus jeune. L'un me dit qu'ayant grandit ici, il est français. Logique. Qu'il a hésité à un moment à partir s'intaller en Turquie, mais n'y est pas arrivé. Un autre me dit, que Turque ou Français, on s'en fiche, c'est sans importance, c'est la même chose. Alors qu'il y a actuellement une sorte de fixation médiatique sur les notions identitaires en Europe, finissons ce petit article sur ces belles rencontres franco-turques par des extraits de la chanson Maché Becif des artistes de la Dub Inc :
Chante ta version mais chacun à la sienne,
on a rien en commun mais j'te dis "pas de problèmes",
chacun ses convictions, chacun sa mise en scène,
même couleur dans nos mains, malgré notre épiderme,
les consonnes peuvent se lire s'il y a des voyelles,
le futur de nos vies se conjugue au pluriel
je n'ai aucune réponse, que des questions,
rien ne me convient dans toutes les explications
ce qui s'annonce n'est pas ma direction,
et si je me trompe d'où viendra la sanction ?
Qui peut croire nous imposer, un seul regard sur notre idéal ?
On ne fait que rechercher, un équilibre entre le bien et le mal
Quand l'eau est trop profonde je reste sur la rive,
Noyé dans un désert, une terre aride,
Et quoi qu'il arrive, il faut trouver l'équilibre,
entre accepter nos chaînes et rester libre,
et tant qu'il le faut !
Prévenir les autres de la dérive,
car beaucoup d'entre nous sont unanimes,
Et tant qu'il le faut !
On le dira dans toutes nos rimes :
LE MONDE SERA CELUI QU'ON S'IMAGINE !
France/Auvergne/Puy-de-Dôme - Une année à Clermont-Ferrand
Ah, la Terre du milieu. Belle image que le Gorafi a proposé comme nom de la nouvelle région Auvernge-Rhône-Alpes. Mes quelques représentations sur l'Auvergne et sa préfecture régionale, Clermont-Ferrand, étaient plutôt négatives. Une opportunité de logement m'aura induit à m'y installer temporairement...et quelle excellente surprise ! Et pourtant, certains reportages le confirment, la ville souffre plutôt d'une mauvaise image pour beaucoup de Français de métropole, et n'attire pas plus que cela. Pour pallier à ce déficit, la collectivité régionale donne des coups de mains financiers...mais pourtant, quelle qualité de vie !
Printemps 2015. Il y a encore de la neige sur le Puy-de-Dôme. Il fait froid dans les petites ruelles qui mènent au Home Dome. D'un coup, je retrouve Jana, une copine allemande rencontrée dans le cadre d'un engagement au sein de l'Alliance européenne des organisations du service volontaire international, qui est présente en Auvergne dans le cadre d'une formation européenne pour les formateurs d'animateurs. Ce jour là, je me demande bien dans quelle ville j'ai mis les pieds. Car c'est la connotation de grisaille qui prédomine dans mon imaginaire : les couleurs lave des bâtiments, et bien sûr, l'industrie pneumatique bien connue.
Mais rapidement, le ton change. Grâce à la découverte d'un excellent café-lecture, le café des Augustes, et du centre-ville : le jardin Lecoq, la place de Jaude, les ruelles vivantes, les multitudes de terrasses un peu partout, la cathédrale qui surplombe la ville et en offre au grimpeur une vue à 360°. Clermont-Ferrand fait sans doute partie de cette France des métropoles que décrit le géographe Christophe Guilly dans son livre médiatique sur la France périphérique. Selon lui, miroir des dynamiques économiques et sociales, les métropoles constituent des vitrines de la mondialisation heureuse, et illustreraient la société ouverte, déterritorialisée, où la mobilité des hommes et des marchandises est source de création d'emplois, de richesse et de progrès social. Dans ces territoires dans lesquels sont inclues les quartiers des politiques de la ville, les dynamiques de gentrification et d'immigration ont en effet donné naissance à des territoires très clivés, favorisant ainsi une inégalité sociale et culturelle sans précédent. Mais pourtant, si les tensions sociales et culturelles sont bien réèlles, le dynamisme du marché de l'emploi permet une intégration économique et sociale, y compris des personnes précaires et immigrées. A Clermont-Ferrand, un des symboles de la ville est la muraille, barre HLM assez impressionnante mais située à quelques centaines de mètres des bâtiments universitaires. En opposition, la France périphérique, territoires à l'écart des métropoles, serait la source des futures radicalités sociales. Il est intéressant de lire ce genre d'écrits de géographie ou sociologie et de réfléchir à son propre vécu dans la société française, ou toute autre territoire. En reprenant l'exemple de mon expérience de vie à Ambérieu-en-Bugey, il y a des comparaisons possibles entre la relative solitude sociale vécue à l'époque, parfaitement mise en opposition avec des évènements interculturels tels que les soirées couchsurfing, polyglottes et concordia vécues ponctuellement à Lyon. Finalement, bien que le Bugey soit une région agréable à vivre pour une personne souhaitant s'installer en campagne, il est certain que le vécu dans la France des métropoles est plus riche en échanges interculturels. A Clermont-Ferrand, je retiendrai avec plaisir le fait que mes anciens voisins étaient chinois, et ont été remplacés par des étudiantes algériennes.
Alors oui, à titre personnel, cet interculturel quotidien est vécu de manière très heureuse, même si, malgré cette prise de position utopiste dans laquelle j'imaginais que ce pourrait être le cas pour tout le monde, il ne l'est pas pour tous, à l'image de cet homme qui a méchamment demandé à un voisin de rue de retourner dans son bled. Quant à Clermont-Ferrand, c'est donc une belle surprise. Et puis qui dit Clermont, dit Auvergne. Et prendre le temps de visiter les petits villages aux alentours de la préfecture n'est que source de plaisir. Alors oui, ces fichues représentations qu'on peut avoir sur un territoire, une région, un pays, gare à elles et aux erreurs de perception qu'elles peuvent induire !
France/Auvergne/Haute-Loire - Une journée à Saint-Pal-de-Mons
En ce 17 juillet 2016, Veronica, Mexicaine, Mario et David, Espagnols, Wael, Egyptien, et Thibault, Français, tous autour de la vingtaine, assistent à l'hommage rendu par la commune de Saint-Pal-de-Mons à deux hommes jumeaux de religion juive cachés dans la ferme d'une habitante sanpaloune, Adolphine Dorel, pendant une partie de la Seconde Guerre mondiale.
Alors qu'elle rendait visite à ses enfants en colonie de vacances, le mari de Bella Schanzer fut arrêté avec quatre autres membres de sa famille, dont les parents de Esther Ein. Bella Schanzer parvint à fuir avec ses enfants, Anna, âgée de 6 ans, et les jumeaux Bernard et Henri, âgé de 5 ans, et sa nière Ester Ein, âgée de 10 ans. Ils vont être accueillis au chateau de Virieu par le marquis Xavier de Virieu et son épouse Marie-Françoise. Durant l'été 1943, la famille de Virieu et des membres du maquis du Vercors et de la Résistance locale furent dénoncés à la Gestapo. Les Virieu durent quitter précipitamment le chateau pour se réfugier, sous un nom d'emprunt, à Chichilianne (Vercors), et continuer leurs actions de résistants dans la clandestinité. La famille juive, elle aussi, dut fuir le château et trouver un nouveau refuge avec l'aide des soeurs de N.D. de Lyon.
Les jumeaux de sept ans Henri et Bernard Schanzer sont placés dans un foyer à Grenoble. Bella Schanzeer sait qu'ils sont malheureux. Elle demande à Jeanne Bonhomme de les récupérer. Elle les conduit chez sa mère, veuve et sexagénaire, Adolphine Dorel, qui habite dans une ferme de Saint-Pal-de-Mons. Adolphine Dorel, que les enfants appelaient "mémé", les accueillit et les inscrivit à l'école. Elle prit soin de leur faire réciter chaque soir leurs prières, afin qu'il conserve le lien avec leurs racines juives. Jeanne Bonhomme, quant à elle, cacha pendant près d'un an la soeur des jumeaux, Anna Schanzer, alors âgée de huit ans, et sa cousine Ester Ein, âgée de douze ans. Elle les logeait dans une petite pièce attenante de son atelier de couture, et les présentait comme ses nièces. Elle leur fournit de faux papiers,qui leur permirent d'obtenir des cartes d'alimentation. Elle leur inventa également un passé, que les fillettes devaient connaître par coeur. Jeanne Bonhomme leur faisait répéter ce passé imaginaire chaque soir, afin que Anna et sa cousine disent rigoureusement la même chose si elles étaient questionnées par les Allemands. En mai 1944, Saint-Etienne étant exposé au risque de bombardements aériens, Jeanne envoya les deux fillettes chez sa mère Adolphine Dorel. Après la libération, les jumeaux et les deux fillettes demeurèrent à la ferme jusqu'à l'arrivée de Bella Schanzer. Adolphine Dorel mourut peu après la guerre. La famille Ein-Schanzer alla s'installer aux Etats-Unis et resta en contact avec Jeanne Bonhomme. Tous furent reconnus Justes parmi les Nations par Yad Vashem.
Cette commémoration est une parfaite illustration de la thématique très intéressante de l'histoire et la mémoire dans les rencontres internationales de jeunes, et dans les expériences de mobilité européenne et internationale que vivent une partie des jeunes (et moins jeunes) Européens en ce début de 21ième siècle. D'un côté, nous, les jeunes générations du 21ième siècle, n'avons pas forcément tendance à nous identifier aux jeunes qui sont partis faire la Seconde Guerre mondiale, et qui sont aujourd'hui nos grands-parents. Mais quand un de mes grand-père me raconte qu'il a passé son 19ième anniversaire enfermé dans une cave avec l'armée allemande à l'étage, et que mon autre grand-père me raconte, alors qu'il passe devant un champ agricole, qu'il se souvient encore du bruit des tirs lors de l'exécution de sept soldats allemands dans la commune voisine, je ne peux pas oublier que cette histoire appris très vaguement dans les livres scolaires correspond au vécu des anciens d'aujourd'hui.
Lors de mes expériences de vie en Irlande et en Guyane, la démarche spontanée qu'a été la mienne pour un peu mieux "comprendre" où je mettais les pieds fût déjà de lire les guides que j'avais acheté sur les deux territoires. Notamment les éléments historiques, comme le relatent certains articles de ce blog. C'est utile à priori, et cela donne une première compréhension assez vague du territoire dans lequel on s'installe. Pourtant, la démarche de rédaction de cet article sur le bagne de Guyane peut paraître "originale" pour un habitant de la Guyane du 21ième siècle, tout comme le serait peut-être la rédaction d'un article sur la résistance dans le plateau des Glières par un jeune Allemand venant s'installer à Annecy. En effet, comme le témoigne Giselle par exemple, née dans le contexte du génocide Rwandais des années 90, il n'est pas forcément naturel de s'identifier aux périodes historiques du pays/territoire dans lequel nous vivons, même si elles ont touché de près des proches et connaissances. Lorsque nous sommes dans notre territoire de référence, celui dans lequel nous avons grandi et auquel nous nous identifions le plus, cela ne gène pas. on se dit, un peu "excessivement", être "chez nous". Mais lorsque nous devenons mobile et que nous souhaitons vivre et travailler dans un autre territoire, un autre pays, un département ultramarin, nous emmenons avec nous, et ce bien malgré nous, un certain nombre de représentations en partie liées à l'histoire des deux territoires et de ses anciens habitants. Que je le veuille ou non, en Suisse, je suis perçu comme un Français et tout ce qui va avec...alors que pourtant, je me sens souvent bien plus proche de nombreux citoyens de la planête que d'une partie des habitants de France. Certains Suisses passeront bien au-dessus de ces représentations, d'autres n'oublieront pas que je suis Français et me le rappeleront de temps en temps (sans méchanceté), d'autres me considéreront comme un Frouze de plus, vision péjorative du Français. Fichues représentations !
Dans le contexte des rencontres internationales de jeunes, il peut être intéressant de prendre en compte ce thème de l'histoire et de la mémoire, et l'Office franco-allemand pour la Jeunesse (OFAJ) propose un guide et des animations sur ce thème. Certains passages du préambule sont intéressants. Les célébrations du Centenaire de la Première Guerre mondiale ont montré combien le souvenir historique et l'activité politique sont liés. C'est particulièrement le cas dans les relations entre la France et l'Allemagne. Les deux voisins entretiennent aujourd'hui des relations amicales, et n'ont au fond plus de problème l'un avec l'autre. Il règne une normalité qui peut devenir routinière si l'on n'est pas conscient de l'enchevêtrement des deux histoires nationales. Pendant plus de cent ans, celles-ci ont été marquées par la figure funeste de "l'ennemi héréditaire", qui a toujours conduit à de nouvelles guerres. Nous restons aujourd'hui frappés de stupeur devant l'Ossuaire de Douaumont, près de Verdun, où reposent les corps de plus de 130 000 soldats français et allemands tués au combat et dont plus personne ne connaît les noms. Cent ans après, il semble pourtant qu'un changement se profile et crée de nouvelles convergences. La première Guerre mondiale est aussi devenue lointaine pour les jeunes Français, et le pathos national tend à disparaître au profit d'un intérêt personnel pour le destin des arrières-grands-pères et des familles pendant la guerre. Les jeunes Allemands, pour leur part, redécouvrent cette guerre comme quelque chose qui touche à leur propre histoire, c'est-à-dire à eux, à leur famille, à leur commune et à leurs amis.(...)
Et je terminerai ce petit message par cette belle affirmation du guide, valable partout sur Terre, pour tous les Terriens : "c'est ainsi que nous devons continuer à agir les uns envers les autres, en connaissant le poids de l'histoire sans que celui-ci nous empêche de la concevoir comme une histoire commune, qui nous réunit par-delà les générations et nous permet de vivre ensemble de façon décomplexée et créative."
France - Une journée à...Adissan, Malestroit, Rennes, Grenoble, Grenay, Le Mans...et tant d'autres !
23 janvier 2010. Un samedi après-midi à faire la sieste au fond du lit. A peine rentré de mon expérience guyanaise, je m'installe temporairement à Lyon. Autant dire qu'après une année en Amazonie, les premières semaines lyonnaises sont grisâtres, dans le ciel et dans l'esprit. En ce jour, voilà qu'il y a un forum de l'emploi dans l'ESS dans une salle à proximité de mon lieu de vie. J'y vais ? J'y vais pas ? Allez, rien à perdre, ce peut être intéressant. 16 heures. Au détour d'un couloir, j'aperçois un stand : "bonjour. Qu'est-ce que vous faîtes ? - Notre association propose à toute personne de réaliser des volontariats, notamment des chantiers internationaux. - Ah, sympa. J'étais en Irlande puis en Guyane précédemment, donc j'imagine bien l'utilité de ce projet pour les jeunes adultes. Ok, laissez moi un CV. Ok ! Bye." Juin 2010. Un dimanche soir. Il fait nuit. Il pleut. J'arrive à Pierre-Bénite, près de Lyon, au Petit Perron. Suivre une formation d'animateur. L'animation ? En voilà un thème nouveau. Car durant ma vie étudiante, je ne l'associais qu'aux centres de vacances et de loisirs, et oh non, cela ne m'intéressait pas. Mais là, c'est différent. Animer un chantier, dans un espace naturel, avec des adultes de différents pays. Pourquoi pas. C'est original, ça change, ça permet d'apprendre de nouvelles choses. Et animer un groupe, cela peut être utile dans pas mal de boulots, a priori. Une semaine. Intense. Du bonheur. Du plaisir. Des oies dans le jardin. De la pluie. Des rires. Des animations, notamment une un peu choquante sur l'interculturel : le jeu de l'Albatros.
Soutien aux victimes des attentats du 13 novembre
Juillet et août 2010. Deux chantiers. Guissény, petit bijou que son site naturel et ses plages. Gex, la Haute-Chaîne. Une semaine en refuge. Novembre 2010. Il pleut à Amiens. Nous écoutons l'excellent spectacle de Franck Lepage. C'est parti, je me propose pour rentrer au CA de l'asso. Pour gérer. Pour apprendre. Pour rencontrer. Pour réfléchir. Et si on osait ? J'ose. Pourquoi pas. Peut-être. Une première année de formation, et là je vois toutes ces personnes passionnées par ce beau projet. Des bénévoles, des volontaires, des salariés...des soirées à débattre, à discuter de ce monde difficile. De l'embauche d'un salarié à la préparation des temps de vie associative. C'est cela, rejoindre la vie associative, c'est se former, en plus de rencontrer. Des espaces d'engagement pour tous, par tous. Mais au final, tellement à y gagner. Et tellement d'échanges riches et variés. Quelques exemples. Léa, octobre 2011: pour moi c'est ça Concordia, amener à se poser des questions sur comment on a vu le monde et la société jusqu'ici et comment on aimerait la voir et comment on se positionne par rapport aux autres avis. Benoît. décembre 2011: Mon texte de référence à moi, ce n'est pas la Constitution française, c'est notre Projet éducatif. Mon projet de société à moi, ce n'est pas le travail, c'est l'Engagement. Ma capitale à moi, ce n'est pas Paris, c'est Avricourt. Hugo, juin 2012 : que veut dire travailler à l'articulation éduc nationale - éduc populaire ? Serions nous les supplétifs de l’État ? Seuls des adeptes du tout État et du formatage des esprits peuvent être pour : l'educ pop est faite pour tous par tous, là où il y à faire, là où on veut la faire."
Août 2014. 4 ans plus tard, j'ai de nouveau un créneau estival pour animer. Avec 4 ans d'expérience et de vie en plus. Forcément, on évolue. Avec ce public de jeunes adultes, cette tranche d'âge bien particulière qu'est la période 18-25; Laurenan. Elisa, petite Italienne qui se lance dans la vie étudiante. Monica, de Barcelone. Et tous ces gens, ces habitants qu'on n'aurait pas pu rencontrer sans ce projet d'animation territoriale. Magnifique. Puis, Salonique. Eté 2015. Deux nouveaux projets, Pont-du-château et Mouleydier. Car je le sais, mon prochain poste salarié ne me permettra sans doute plus jamais d'animer...et car à 34 ans, la différence d'âge devient sacrément importante avec les 18-25. Une matinée à photographier la Dordogne se réveillant. Ah, ces rivières ! Puis un déplacement à Vienne, Autriche.
Dans un tram de Vienne, avec des potes, partenaires internationaux du projet
Et sur 6 ans, des réunions, week-end de travail, projets dans 20 départements de France métropolitaine. 1/4 du territoire. Avricourt, Malestroit, Adissan, Grenay, Saint-Caprais de Bordeaux, pour citer quelques communes découvertes. De quoi voir un peu du pays. Découvrir le viaduc de Millau ou l'arrière pays montpelliérain. En ce mois de mai 2016 se termine cet engagement bénévole. Ouf ! Ce fût long, mais intense. Plus de CA. Plus de bureau. Plus de dimanche après-midi à rédiger un compte-rendu sous le soleil. Alors maintenant, que faire de ce temps libre ? Autre chose ! Et tellement de nouvelles envies. Toujours rester adhérent, bien sûr, car on ne se lasse pas d'un projet qui permet de se sentir un tout petit peu plus concerné par à peu près tout. Mais surtout, (presque) plus de bénévolat pour un (long) moment ! 6 ans. Une belle page se tourne. Merci à tous. Et que vive l'éducation populaire et le service volontaire international, par tous, pour tous, tout au long de la vie.
France/Midi-Pyrénées/Gers - Une journée à Castelnau-d'Auzan
Des raisins et du lien. Octobre 2015. Il fait beau à Castelnau-d'Auzan. Je rencontre Thierry, et quelques-uns de ses compères. Ils se connaissent depuis 50 ans. Car la vingtaine juste entâmée, ils avaient été volontaires sur un chantier, travaillant sur une propriété viticole du coin, pour les vendanges.
Octobre 1965. Au Suriname, Louis Autar fait une pause annuelle dans le suivi des pontes de tortues marines sur quelques plages du pays. En Guyane, le premier coup de pioche de la "Cité de chantier" à Kourou est donné, pour aboutir, 900 jours plus tard, au premier lancement d'une fusée depuis le nouveau Centre Spatial Guyanais. Dans une autre partie du Monde, il y a une guerre au Viet Nâm. Forcément, une période sans guerre, ce serait trop beau. Au petit village de Castelnau-d'Auzan, dans le Gers, se retrouvent 22 jeunes Européens de France, Hollande, Allemagne et Angleterre.
50 ans plus tard, ils nous livrent quelques souvenirs.
Thierry décrit une soirée un peu arrosée...oui, ça peut arriver, de temps en temps : quand nous avons pris possession de la maison, il a bien fallu comprendre que nous ferions plus du camping que vivre dans un cinq étoiles. Mais nous étions jeunes et plein d'enthousiasme. Il fallait apprendre à ne pas passer à travers les lattes de parquet au risque de se retrouver rapidement au rez-de-chaussée. Mais le bon vin rend toujours la vie plus gaie...parfois un peu trop ! Je me souviens d'une soirée au clair de lune devant le tonneau de vin blanc apporté par monsieur Lacour. Martine, horrifiée par la descente en vitesse de schuss du tonneau m'a demandé de faire cesser cette beuverie, inquiète soit pour les finances du camp (pourra-t-on en avoir un deuxième ?) soit plutôt d'avoir à passer la toile à laver sur le trajet des grands amateurs de ce nectar des dieux et d'en supporter les effluves jusque dans les chambres. Devant le peu de coopération des buveurs, j'ai été obligé de cacher le tonneau, certes bien allégé et pas trop lourd à porter. Ce soir-là, je n'ai pas dû me faire que des amis. Et pourtant, ils sont restés mes amis pendant cinquante ans !
Jean-Claude garde lui aussi quelques moments forts à l'esprit : notamment, " la découverte en pleine vendange que nous avions faît l'objet d'un article dans la Dépêche du Midi. Il s'intitulait, "la voilà la jolie vigne!" que nous fit lire un employé de la propriété. Stupéfaction, satisfaction...notre action n'était pas si anodine puisqu'elle intéressait les médias...ce melting pot en tout cas créait à tout moment de la journée une richesse de réaction, de blagues, d'humour dans toutes les langues. Nous, Français, demandions bien souvent la traduction, notre anglais n'était guère à la hauteur de nos compagnons Allemands ou Hollandais ! Seuls les Anglais nous ressemblaient, encore qu'Evelyn parlait déjà bien le français ! Notre chef, Walter, lorsqu'il annonçait un programme, une idée ou autre chose, l'exprimait en quatre langues: le français, l'anglais, l'allemand, puis le hollandais, sa langue maternelle ! Excusez-moi du peu ! A 25 ans, ce jeune homme volontaire, débordant d'humour, plein d'idées, chantant de vieilles chansons du folklore français en s'accompagnant à la guitare, avait une personnalité peu commune et nous laissait tous admiratif...il a maintenant ajouté l'espagnol à son répertoire ! Je crois que je vais m'arrêter là...mais je pense que je pourrais raconter encore...Nous sommes, Claudine et moi, l'histoire concrète de ce chantier puisque nous nous sommes connus en 1965, mariés en 1978 et nous écrivons nos mémoires en 2015. Quelle aventure ! Je crois qu'un projet commun, à but non lucratif, fédère les gens. Là, c'était les vandanges qui ont permis de développer la solidarité. Nous préparions l'Europe avant l'heure : elle est malheureusement loin d'avoir obtenu la même fraternité !
Annick se souvient d'un bal à Eauze : un samedi soir, nous sommes allés à un bal à Eauze (11 Km de Castelnau). Après avoir bien dansé, le retour s'est fait à pied par une magnifique nuit claire et étoilée. Mais Walter le dit : nous revînmes ! Nous étions fatigués et nous avions sommeil, et nous sommes fâtigués et nous avons encore sommeil ! Mais la flamme d'enthousiasme nous tient !
Harald donne quelques explications sur l'impact qu'à eu cette expérience sur ses choix de vie : "Le chantier international à Castelnau d'Auzan dans le Gers ne fût ni mon premier ni mon dernier. Mais il a contribué à une impulsion décisive pour mon avenir. Comme presque chaque homme allemand de l'époque, je faisais mon service militaire obligatoire. Je l'ai commencé le 1ier avril 1965. Pour de raisons liées à l'entente des peuples, j'avais le droit de partir pour un chantier international de jeunes déjà fin septembre, quelques semaines plus tôt que prévu par la loi. En plus, il était soutenu par l'Office franco-allemand pour la Jeunesse. Comment ces 2-3 semaines à Castelnau-d'Auzan ont-elles changé mon avenir ? Après mon service militaire j'avais l'intention de faire mes études d'anglais pour devenir professeur enseignant dans le cycle d'enseignement primaire long. A Castelnau cependant, j'avais constaté que ma connaissance de la langue française était trop bonne pour être négligée. Alors, et après maintes expériences agréables en France, je me suis décidé à faire mes études d'anglais et de français pour devenir professeur de collège unique. Pour finir, j'aimerais affirmer avec reconnaissance et admiration que notre engagement à Castelnau-d'Auzan a fondé une amitié pour la vie. Au fil du temps nous nous sommes rencontrés à plusieurs reprises : à Schevenhütte, en Hollande, Cancale, Bath, Bourges, Paris notamment. Il est quand même surprenant qu'après 50 ans une bande jadis bigarrée de gens de différents pays retourne à l'endroit de son camp d'activité originel pour y consacrer avec leurs partenaires une semaine de retrouvailles dans la joie et l'harmonie."
Une belle petite histoire, dans la grande Histoire de l'Europe des cinquante dernières années.
France/Aquitaine/Dordogne - Une journée à Mouleydier (2)
D'autres Terriens découvrent la douceur de vivre périgourdine, par une belle journée d'été 2015 à Mouleydier. Pourquoi les présenter en quelques lignes ? Peut-être car, bien avant les voyages et autres visites de sites touristiques, c'est bien la rencontre de Terriens de différents continents qui m'inspire le plus. Peut-être aussi car il existe un différentiel important entre ces fameuses relations internationales, officiées par nos chers hommes d'Etat et autres hauts fonctionnaires, et les rencontres internationales qui peuvent se dérouler au niveau de la population : ainsi, la Grande-Bretagne était l'autre Grand Satan de l'Iran, titrait un journal en 2011. Tellement triste : il n'y a qu'à voir le magnifique film "Les chats persans", sur la vie du Téhéran underground pour rappeler l'évidence : quand on aime faire des rencontres internationales sur son temps libre, on se sent souvent plus proche d'une partie des Terriens avec qui on échange qu'avec une partie de la population de son pays d'origine. Du moins au niveau idéologique. Alors entendre Zemmour rappeler aux téléphiles que la préférence nationale est importante pour lutter contre le suicide français, forcément, semble très éloigné d'une vision plus internationale de la citoyenneté. C'est tellement étrange d'évoquer les lignes de vie d'un peuple, pour citer un livre, tellement les valeurs entre deux voisins peuvent être éloignées. Avant de connaître un autre Terrien, faudrait-il déjà connaître son voisin de pallier ? Peut-être, peut-être pas. En tout cas, une chose est sûre, développer des relations amicales avec d'autres habitants de la planête permet de facilement dépasser quelques représentations, de lever quelque peurs, d'aiguiser quelque envies de découverte. Rencontrer Joy, par exemple : un copain chinois ! Avec Muyao, qu'il n'a connu que récemment, ils ont gagné un concours pour se faire financer leur participation à ce projet à Mouleydier. Sur la base de leurs notes, de leur niveau d'anglais, et de leur culture générale...puis, ils ont eu des cours leur permettant de mieux connaître la culture française. Les professionnels de la mobilité étudiante chinoise seraient-ils en train d'évaluer les dispositifs de volontariat existant en Europe ? La Chine est elle la future Corée-du-Sud du volontariat international ? En tout cas, pour Joy, c'est une première en Europe...alors la découverte du rayon fromage du supermarché du coin est une belle expérience ! Quant à Muyao, elle se présente en quelques lignes : mon nom est Muyao. Je suis de Pékin, Chine. j'ai 21 ans. J'étudie l'architecture et j'aime les bâtiments ici. La vie sur ce chantier, pour moi, est précieuse, et j'aime les personnes que je rencontre. J'ai expérimenté un choc culturel, différentes manières de vivre, et une soirée à danser à l'Européenne. Je suis profondément émue de l'enthousiasme des français locaux.
Muyao, en haut, et Joy, en bas
Maxime a particulièrement apprécié la jolie ville de Sarlat. Cet Amienois de 27 ans était sur le chantier international de Gex, en 2010, et c'est naturellement que je lui propose de participer à ce projet avec moi...histoire de le recroiser quelques années plus tard. Une bonne retrouvaille : le travail sur le chantier ici est agréable, il s'agit de faire de l'entretien paysager sur le site des écluses des Tuillières.
Katérina est une amie d'enfance de Jacob: mon nom est Katérina, je viens de République tchèque. Je suis étudiante à l'université technique de Prague. J'ai 21 ans. Je suis contente d'être ici. C'est mon troisième chantier, donc je savais à quoi m'en tenir. Mais c'est un projet très spécial. Les habitants locaux prennent soin de nous. Merci pour cette opportunité. Nous pouvons rencontrer la population locale, visiter des lieux intéressants de la Dordogne. J'aime énormément cet endroit et espère que vous apprécierez le travail que nous faisons. J'espère revenir un jour pour voir comment vous continuez à entretenir le site des Tuillières !
Olivier a grandi à Kinshasa, Congo, et vit en France depuis 1 an et demi. Mon objectif : apporter une aide aux habitants de Mouleydier; Acquérir de nouvelles connaissances; Profiter, échanger sur la culture de chacun et améliorer la manière de vivre au quotidien.
Citons ensuite Nuria, catalane ; Albi, d'Albanie; Minori, du Japon; Jiwon, de Corée du Sud...sans oublier Reyhan, animatrice turque. 15 personnes, 12 nationalités. Magique. Jiwon est étudiante et souhaitait donner un peu de sens à son été : je suis venu à Mouleydier pour expérimenter la culture française. Durant 3 semaines, j'ai pu apprendre sur les différentes cultures et modes de vie locaux. Bien qu'on soit tous de différents pays, on essaie de se respecter et de se comprendre. J'ai parfois été tellement surprise de voir à quel point nous pouvions être familiers entre nous. Nos cultures, langues et backgrounds sont tous différents mais en coopérant entre nous, nous ne faisons qu'un. Bien que n'ayons pas été en mesure faire l'entretien paysager intégral des écluses, je suis très curieuse de revenir ici et de voir comment celui-ci a été prolongé.
Minori, du Japon et Jiwon, de Corée-du-Sud
Nuria, Catalane, (en vert), Albi d'Albanie, Reyhan de Turquie
Le chantier : entretien paysager des murs bordant les écluses
Des excursions de quelques après-midi permettent à tous de découvrir quelques éléments touristiques des alentours et d'imagier un peu mieux comment vivent les personnes dans ce beau département...à Montbazillac, par exemple, pour déguster un peu de vin ; à Sarlat, pour découvrir quelques produits typiques de la région...mais la visite d'une ferme de production de lait et fromage de chèvre est aussi à souligner.
Ces années de jeune adulte (18-30 ans) ne sont pas toujours évidentes à vivre : se lancer dans la vie adulte, suivre des études et autres formations génèrant des évaluations répétées, trouver sa voie ne se fait pas automatiquement. Alors même s'il s'agit d'une goutte d'eau, laissons-nous croire qu'un chantier international peut permettre aux jeunes de cette tranche d'âge de trouver quelques bonnes directions à prendre pour la suite. Et puis en ce 21ième siècle, garder contact via les réseaux sociaux est chose aisée...alors faisons-le, buvons un thé avec Muyao, sur Skype. Et regardons ensemble le soleil : elle, à l'Ouest, se coucher; et moi, à l'Est, se lever.
France/Aquitaine/Dordogne - Une journée à Mouleydier (1)
Des cigales dans les arbres. Non, nous ne sommes pas au bord de la Méditérannée, mais à 10 km de Bergerac. A Mouleydier exactement, petit bourg paisible au bord de la Dordogne, douce rivière du sud-ouest français. Durant une de ces belles journées d'août 2015, le site des écluses des Tuilières, un des plus bel équipement hydraulique de ce type en France, paraît-il, est occupée par un magnifique groupe de volontaires internationaux apportant une goutte d'eau à l'entretien de ce patrimoine.
Une douce rivière. Dordogne, douce rivière, proche de ta cousine Ain, quoique plus sombre et peut-être plus eutrophe. Une rivière longée de ces magnifiques écluses; des canaux aux promenades bucoliques sous un chaud soleil. Une rivière qu'il fait bon photographier. Comme en cette matinée, à Couze, une commune voisine, où un autre chantier international fait doucettement grandir quelques identités. Car qu'on se le dise, avec les échanges interculturels, accessibles à tous, par tous, pour tous, nos identités grandissent sans cesse.
Une atmosphère magique, un doux matin d'août 2015, à Couze, Dordogne
Des écluses et des canaux. Et qui dit rivière, dit habitants. Qui dit habitants, dit territoire. Et qui dit territoire, dit aménagement. Et le long de la Dordogne, un barrage, des écluses, des canaux. Et des reflets magnifiques.
Des Terriens. D'ici ou d'ailleurs. Car rappelons-le, un chantier international doit permettre de se faire rencontrer des Français et des internationaux pour partager un peu d'humanité dans ce monde difficile. Emanciper quelques résistances, ouvrir de nouvelles perspectives par la rencontre internationale...mais alors, qui sont-ils, ces jeunes adultes de la planête Terre qui ont envie de faire une petite action utile. Car souvent, une action simple est déjà une grande action. Petites présentations, par eux-mêmes.
Jacob a entendu parler du service volontaire international via sa copine Katérina...le bouche à oreille, principal moteur de l'inscription de jeunes terriens sur les chantiers : salut ! Mon nom est Jacob. Je suis de République tchèque, à Prague. J'ai 22 ans et étudie la chimie. C'est mon premier chantier, alors je ne savais pas trop à quoi m'attendre. J'ai été surpris en bien par cette expérience. J'ai rencontré de nombreuses nouvelles personnes, que ce soit les volontaires de différents pays ou les habitants accueillants de Mouleydier.
Chen est la première habitante de Taïwan avec qui j'échange. C'est une chouette personne, très expressive, et elle nous livre une petite présentation de son ressenti : bonjour ! Je suis Chen. Je viens de Taïwan et ai 21 ans. Je suis étudiante à l'université, en littérature chinoise. Je devrais être diplômé l'année prochaine. Ensuite, j'aimerais être journaliste. J'aime le voyage et le contact avec d'autres personnes dans le Monde, et ce chantier international me donne l'opportunité de voyager et vivre dans un endroit où je ne suis jamais allé. Dans ce projet, je vis et travaille avec 14 autres personnes (plus les 10 autres personnes de Couze), et la plupart du temps j'ai l'impression que je n'ai besoin que de parler, rire, manger...avec tout le monde. La vie ici est simple, mais abondante Je pense que je vais chérir ces souvenirs à propos de ces journées. Par exemple, regarder les étoiles dans le ciel; travailler avec d'autres personnes; visiter des petits villages; cuisiner, faire la vaisselle; nager dans la rivière; faire du vélo dans la forêt; apprendre des nouveaux mots dans des langues étrangères; j'apprends beaucoup !
Giyeong-Jin, elle, vient de Corée du Sud. A 19 ans, elle est une jeune étudiante en première année d'une école formant à l'administration policière: mon premier objectif était de voyager en Europe...puis, celui-ci a évolué, du fait que j'aime rencontrer d'autres personnes et apprendre sur d'autres cultures. Ce chantier international est une expérience très très spéciale pour moi, et très mémorable. Nous sommes 15 personnes ensemble, vivant ce projet. Le travail est parfois fatiguant, mais j'apprends beaucoup des autres cultures et me fais des amis de plus en plus proches. En premier lieu, je croyais que les personnes asiatiques et européennes étaient différentes. Par exemple, dans leur manière de penser et d'agir...mais cette représentation a évolué. Nous sommes pareils. Comme résultat, je dois dire que ce chantier international à Mouleydier et très important, c'est une grande expérience !
Giyeong-Jin, Chen et Jacob avec Mad, Guinéen rencontré à Laurenan
Giyeong-Jin est probablement venue sur ce projet via la principale structure du Service Volontaire International en République de Corée : International Workcamps Organisation, (IWO). Et si on allait faire un petit tour sur son site web ? Il s'agit d'une ONG qui propose des chantiers en Corée et envoie les volontaires coréens sur les projets des partenaires mondiaux. Date de création : 1999 ! Frais de participation pour les volontaires coréens, sur les projets en Corée : aucun. Son principal objectif : la Glocalization, à savoir amener le Monde en Corée du Sud et faire en sorte que la Corée du Sud soit ouverte au Monde. Ses activités principales se résument en deux mots : Global Education. G: Growing and Training Youth and Volunteers. L : Leading a new paradigm in the field of non-formal education. O: organizing International Voluntary Services. B : Building Intercultural Programs. A: Arranging international conferences and seminars. L : Learning and understanding diverse cultures. Une association ayant 15 ans d'âge, et qui envoie environ 1800 Coréens sur les projets européens. Cela reste une goutte d'eau dans l'océan. Mais elle est belle.
Suisse/France/Irlande/Guyane - Scènes de racisme ordinaire
Tolérance. Citoyenneté. Paix. Voilà les trois termes composant la couverture de la brochure 2015 de Concordia, dans laquelle je m'investis sur mon temps libre depuis 5 ans et qui me permet notamment de me faire des bons copains d'un peu partout en France. Une association dont le projet d'éducation populaire permet notamment, à son échelle, de lutter contre le racisme. Mais alors que je me balladais dans une librairie de Clermont-Ferrand, je tombe sur un livre : "Moi, raciste ? Jamais !" de Rokhaya Diallo et Virginie Sassoon. Celui-ci présente des scènes de racisme ordinaire dans la société française, issus du site internet de FranceTV "Racisme Ordinaire" lancé après les attentats contre Charlie Hebdo. Et je dois dire que mûrir mes connaissances sur le racisme m'intéresse particulièrement. Comme beaucoup de monde, il peut sans doute m'arriver de manquer de tact dans des échanges, sans pour autant être raciste. Il faut dire qu'alors que je n'avais pas beaucoup voyagé avant mon départ en Irlande, j'ai toutefois baigné dans des situations "interculturelles" au sein du bassin franco-valdo-genevois, ne serait-ce que dans les échanges entre français et suisses. La Suisse est à elle-seule un pays composé d'une vingtaine de mini-Etats et, alors qu'un Vaudois "n'est pas" un Valaisan, un Suisse romand "n'est pas" un Suisse allemand. Alors forcément, s'expatrier, partir dans l'outre-mer, baigner dans une association permettant à ses usagers d'utiliser les dispositifs de mobilité internationale permet de mûrir sa compétence interculturelle, d'assouplir son identité et de prendre du recul par rapport à toute forme de guerre de clocher si courante un peu partout dans le monde.
Ce racisme ordinaire s'exprime dans toutes ces petites phrases et attitudes empreintes de préjugés, que l'on entend ou observe de manière quotidienne. Elles ne sont pas attaquables sur le plan légal, mais constituent néanmoins des micro-agressions. Dans la répétition, elles installent chez l'individu qui les reçoivent un sentiment d'insécurité identitaire. Si, considérées individuellement, ces phrases ne semblent pas problématiques, elles constituent pourtant une atmosphère et un climat de remise en question, voire de rejet. Ayant vécu à Annemasse, Lausanne, Dublin, Cayenne, Ambérieu-en-Bugey, Lyon, j'ai eu des opportunités d'expérimenter ces petites phrases de racisme ordinaire, en les recevant, en les observant, mais parfois aussi en les exprimant, sans méchanceté pour autant.
Manu, Cayenne 2009: à une Française sympa qui m'avait appris à danser le zouk un samedi soir. SMS : "j'aimerais bien rencontrer une personne Hmong. On reste en contact ?". Pas de réponse. Forcément. Car on retrouve dans cette affirmation la question si courante : d'où viens-tu ? Cette question, que beaucoup posent systématiquement aux personnes dont on considère qu'elles n'ont pas "l'air" tout à fait françaises ne révèle pas toujours une véritable curiosité pour l'endroit d'où elles viennent véritablement, mais présuppose surtout une provenance étrangère. Lorsqu'on se voit confronté à cette question de manière récurrente, cela peut en revanche semer le doute, et conduire à s'interroger : "ma présence ici n'est-elle pas légitime ?" Ce qui est "marrant" dans cette interrogation, c'est qu'elle peut nous traverser l'esprit quand on rencontre une nouvelle personne dans la vie adulte, mais que bien sûr, elle nous paraît débile quand elle est posée à des copains avec qui on a grandit. Trois amis d'enfance français, 2 frères adoptés de Corée-du-Sud et un Franco-Marocain arrivé à l'école primaire en France, sont largement autant français que moi. Alors quel drôle de moment que d'assister à cette question qui leur est posée...et pourtant. Cet habituel rattachement d'une personne française, née en France et parfaitement intégrée à la société française, j'ai pu la constater l'an passé, sur mon chantier de Laurenan, durant lequel une personne, bossant dans une ONG, rappelait à un volontaire français que les femmes en Algérie n'avaient pas la même liberté que les femmes en France. Et lors de nos présentations, ce volontaire n'avait pu cacher un légèr agacement à cette fameuse question. Dans le même style, le livre présente quelques anecdotes:
Elle : "Et toi, tu viens d'où ?"
Lui : "De Lille"
Elle: "Quelle île ?"
Et une autre internaute de préciser, sur le site internet de France TV : "le racisme ordinaire a tellement accompagné mon enfance que je peux prédire la bonne ou la mauvaise rencontre. Oui, le racisme fait le tri. Aujourd'hui adulte, j'en ai plus que marre d'entendre des conneries dès la première rencontre. La question rituelle de l'origine - D'où viens-tu ? - et autres dérivés mois élégants pour toucher la "basanité". S'ensuivent des échanges plus ou moins polis, sur la bienséance de la question, sur l'identité du questionneur (métis lui-même ? ancien combattant des guerres d'indépendance ? juste un curieux innocent à moitié conquis par notre minois/accent étranger ?) et, last but not least, notre capacité mutuelle à la tolérance."
D'autres exemples de racisme ordinaire vécus en Guyane : du collègue créole qui, un peu ennervé, me demande de rentrer chez moi, à cet homme blanc, rencontré à Kourou, qui m'avait dessiné tous les clichés du raciste d'extrème-droite regréttant l'empire colonial. Je pense encore à quelques échanges auxquels je n'ai pas directement assisté, mais dont j'ai entendu parlé : entre le "vous êtes un Bushinengé, je ne pense pas qu'on pourra vous faire jouer" affirmé par une femme créole d'une administration; Sans oublier le "je ne cotoie pas ces gens-là", dixit un habitant de Guyane parlant des Brésiliens, où encore la question en amphithéatre d'une jeune femme cayennaise sur l'intelligence des Amérindiens. Bref, on le voit, ça part dans tous les sens ! Ce n'est pas forcément grave, mais ce n'est pas agréable à écouter ! Dans le livre, un exemple est : dans un magasin de pêche, un homme arrive et demande à l'employé avec qui je discutais déjà de lui servir un produit précis. Je suppose que l'employé le connaissait et donc lui réponds qu'il n'en reste qu'un seul type. Et le monsieur commence à crier la phrase suivante : "tout ce qui est made in China, c'est de la merde. Et j'ai pas peur de le dire pour le monsieur qui est là", en parlant de moi. Or, je suis d'origine chinoise et je suis né et j'ai vécu en Guyane française comme le monsieur. Pourtant mon origine justifie apparemment que je sois affilié à tous les produits fabriqués en Chine. Enfin un autre exemple de racisme ordinaire que sans doute beaucoup de nos compatriotes ultramarins vivent en France métropolitaine : "je suis étudiante en troisième année de communication, originaire de la Guyane française. Dès mon arrivée en France métropolitaine, j'ai subi les stéréotypes de base : "tu as eu un bac cocotier !", "Dans votre île vous marchez pieds nus ?", "Vous ne devez écouter que du Francky Vincent en Guyane !", "Ton mec, c'est sûr que c'est un Noir !" En Bref, j'ai l'impression d'être née sur une autre planète, et ça fait mal..."
Et puis bien sûr, ces petits éléments de racisme ordinaire se retrouvent à toutes les échelles. En Suisse, les Français sont souvent les "Frouze". En France, il m'est arrivé dans mon adolescence de critiquer les Suisses. Bref, rien de grave, mais ce n'est toutefois pas très agréable. Le livre cite : "Ma mère est allemande, mon père est breton, je suis née et ai grandi en France, j'ai la nationalité française, aucun papier ni existence en Allemagne. Pourtant, en France, je reste l'Allemande, la Boche, la Schleue. A l'école, on me demandait d'arrêter de parler allemand avec ma mère : c'est injuste parce qu'on comprend rien !" On voulait m'apprendre la culture française à grands coups de : " Tu vois, en France, on..."(Merci, je suis française aussi, rappelle-toi !) Ado, un ami de mon premier amour m'a aussi sorti la fameuse phrase : " je n'aime pas les Allemands, ce sont tous des nazis, mais toi c'est pas pareil, tu as du français dans le sang." (Et pas que dans le sang, mon vieux). Je me sens bien depuis que je vis en Autriche, ici on me prend pour une étrangère et j'en suis réellement une, on me dit : "c'est merveilleurx, tu es allemande et française ! Tu as deux cultures, tu es ouverte au monde, tu peux vivre partout." Quelle ironie. N'oublions pas non plus cette pratique courante : "Diplômée en gestion et cadre dans une entreprise, lors de tous les repas d'affaires avec les clients j'ai droit à un discours sur l'intégration, les jeunes immigrés qui réussissent, à des avis sur le voile et l'islam, aux comparaisons avec d'autres salariés d'origine maghrébine. Je suis juste une Française, qui a toujours vécu en France et qui aimerait bien qu'on lui parle d'autre chose, même pourquoi pas de la pluie et du bon temps ?!"
Et puis les fameux échanges avec les Italiens : blanche d'origine italienne, les blagues sur mes origines ne se renouvellent pas. Amis, profs, surveillants, ils ne se rendent pas compte que leurs mots peuvent me blesser. "Tu manges des pâtes ? Normal, il n'y a que ça dans ton pays...ah, si, il y a la pizza aussi." "Ta famille, c'est une mafia?". Et toutes ces blagues sur mon nom et mon prénom, qu'on tente de prononcer à l'italienne sans grand succès. Arrêtez, franchement !" Forcément, lors de l'échange de jeunes à Pont-du-Chateau, certains échanges ont portés sur les stéréotypes concernant la France et l'Italie, qui sont parfois volontairement mais inconsciemment reproduits lors d'une rencontre interculturelle : typiquement, un volontaire français nous aura préparé des cuisses de grenouille...repas si inhabituel en France...ce même volontaire qui, lors d'une soirée dans une créperie à Clermont-Ferrand, aura eu droit à la remarque "vous, vous avez envie de rentrer au pays" de la part de la serveuse, lorsqu'il commandait une crèpe à base d'ingrédients tropicaux.
On le voit, ce racisme ordinaire peut se vivre partout, dans toute société et même, parfois, au sein de la micro-société que représente le chantier international. Et comme le conclue Virginie Sassoon, "la décolonisation des imaginaires, la déconstruction des préjugés, le déconditionnement de certains réflexes, constituent un effort quotidien, qui ne va pas de soi et qui est plus que jamais une nécéssité pour vivre vraiment ensemble."
France/Auvergne/Puy-de-Dôme - Une journée à Pont-du-chateau
Jamais. Et pourtant, si. Animer un projet avec des lycéens. 17 ans après être devenu majeur. A un âge qui, dans une série statistique sur l'âge des jeunes de France, s'approche terriblement d'une valeur aberrante à éliminer. Franchement, quand on est un teen, participer à un échange de jeunes, dispostif Erasmus+ qui a pour objectif de faire débattre des jeunes de quelques nationalités sur une thématique donnée, c'est bien. Mais participer à un échange de jeunes avec un animateur de deux fois son âge...hummm...c'est qui lui ? Pourquoi pas, mais peut-être pas, quand même. Faut dire, l'animation en général est un métier qui s'exerce plutôt dans la tranche d'âge 18-35, un métier de jeunes, quoi...et ceux qui y font carrière cherchent après à évoluer dans les structures d'animation et autres centres sociaux. Enfin, ce n'est pas moi qui le dit, hein, je ne fais qu'écrire quelque chose que j'ai lu récemment dans un livre. Bien sûr, à toute bonne règle des exceptions, et il n'y a qu'à prendre l'exemple d'animateurs techniques de tout âge qui apportent, le temps d'un chantier international, une compétence technique, à défaut de savoir vraiment animer. Forcément, quand on voit la grande variété des actions collectives, bénévoles et volontaires d'intérêt général sur le territoire national via le site d'Observo, on imagine bien qu'il existe des personnes s'engageant à tout âge dans ces démarches là. Mais quand même, on apprend une chose, quand on baigne dans une grosse asso comme Concordia sur son temps libre, c'est que jamais, il ne faut jamais le dire. Alors voilà. Je me retrouve comme devant animer un projet sur le thème des enjeux liés à l'eau pendant dix jours avec des lycéens de France et d'Italie. Arf, fichus djeuns ! C'est bien connu, les jeunes, les ados, c'est dangereux pour la société : "lorsque les pères s'habituent à laisser faire les enfants, lorsque les fils ne tiennent plus compte de leurs paroles, lorsque les maîtres tremblent devant leur élèves et préfèrent les flatter, lorsque finalement les jeunes méprisent les lois parce qu'ils ne reconnaissent plus d'eux l'autorité de rien ni de personne, alors c'est là, en toute beauté et en toute jeunesse, le début de la tyrannie." N'est-ce pas là un magnifique tableau de notre jeunesse contemporaine, que rien ne semble pouvoir arrêter dans son manque de respect et son absence de valeurs ? C'est effectivement ce qu'en pensait Platon, auteur de cette citation, au IVième siècle avant J.-C !
Insécurité accrue sur l'Allier : attention, un jeune !
Des lycéens de 15-17 ans donc, de France et d'Italie. Dans un camping, au sein de la commune de Pont-du-Chateau, vers Clermont-Ferrand. C'est marrant de se retrouver à vivre dans un camping avec des lycéens, alors que depuis le bac, je n'avais jamais été en contact avec un groupe du lycée...ni pion, ni prof, notamment. La ligne directrice de la thématique : le projet Fleuves du Monde, produit une association quebecoise. Une invitation au voyage et à l'aventure par la découverte de 8 grands fleuves du Monde. La possibilité de se mettre dans la peau d'un chef politique d'un village d'un affluent du Niger qui doit travailler avec les habitants et une ONG de développement sur un projet de construction d'un micro-barrage d'irrigation. Un peu trop scolaire au goût de certains...mais un échange de jeunes est aussi source de visites: le centre d'information de Volvic, à défaut de l'usine d'embouteillage. une descente en canoë sur l'Allier, dans le cadre du marathon du saumon, activité ludique organisée notamment par une association qui oeuvre à la protection du saumon atlantique dans la Loire-Allier. Une station d'épuration ? Manque de temps, malheureusement. Des débats mouvants, par exemple sur l'affirmation : "boire l'eau directement à la source est meilleure pour la santé que boire l'eau du robinet".
Et puis, bien sûr, certaines visites en dehors de la thématique: le Puy-de-Dôme par exemple ! Histoire de voir enfin cette chaîne des Puy, d'apprécier le paysage local du département.
Mais dans tous ces dispositifs destinés (surtout) aux 15-30 ans, et qui malheureusement ne touchent que 2% des jeunes nés dans la même année, il y a aussi toute l'éducation informelle naturelle au jour le jour. Les échanges divers et variés sur la vie de chacun dans les territoires d'origine des jeunes, sur les petites nuances culturelles observables...nuances culturelles dont le jeu du Barnga est une belle métaphore! Voilà. A bientôt 35 balais, toutes les statistiques ne nous considérent plus comme des jeunes...Mais alors, ces jeunes adultes en devenir, aux t-shirts de Gun's n roses, aux sacs eastpak tâchés par des déclarations d'amour typiquement adolescentes au Tipex, sont-ils très différents d'il y a 15-20 ans ? Bien sûr, non ! Une nuance quand même: les échanges sur la cocaïne (je ne parle pas de sa consommation !) m'ont semblé plus importants et naturels que dans les années 90. Mais sinon, c'est fou, il y a 17 ans, on était comme eux ! Et c'est tant mieux.