11 sept. 16

Une souris et...Lucette : passons quelques frontières...(2)

Lucette Colin propose un excellent chapitre sur la dimension éducative du passage de frontières et des séjours à l'étranger. Car les expériences acquises durant la jeunesse (ou plus tard, bien sûr) peuvent donner envie d'inscrire la mobilité internationale dans ses choix personnels et professionnels...et qui sait, peut-être que le futur me donnera des opportunités de travailler dans le Nord de l'Europe...ou dans le Sud de l'Afrique !

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Plus fondamentalement, le problème est que ces séjours engagent des pratiques et des discours encore très diversifiés et qui nous renvoient au flou qui entoure ces notions d'apprentissage culturel, d'apprentissage interculturel où la prégnance idéologique moralisante, voire militante est énorme, qui conduit à naviguer d'une chosification et naturalisation de l'approche de la culture (s'extasier par exemple devant certains traits culturels in fine racialisés) à la négation des cultures (on est tous pareil). Le mauvais infini éducatif joue aussi des tours si l'on prend en considération les objectifs des actions de formation ayant l'ambition de développer des compétences interculturelles. Ainsi cette déclinaison pourtant parfaite proposée par Demorgon et al. (1996) sur les objectifs des séjours :

une visée pragmatique d'adaptation à des contextes étrangers grâce à l'acquisition de compétences et de savoirs nouveaux élaborés à travers l'expérience de la rencontre ou du séjour dans un autre pays. Cette visée correspond à l'existence de besoins et de demandes sociales entraînées par la multiplication des échanges, l'essor du tourisme, le commerce international, l'immigration, etc;

une visée éthique tendant à une tolérance et à une compréhension de la différence, à une lutte contre les diverses manifestations de discrimination, de xénophobie et de racisme;

une visée esthétique d'enrichissement de nos références artistiques, d'accès à d'autres oeuvres de civilisation : littératures, musiques, arts plastiques, danses, cuisines, etc;

une visée psychosociologique correspondant à une réflexion et à une expérience personnelle concernant le rapport à l'identité culturelle et l'implication de chacun dans cette identité. La relation à d'autres identités peut amener une meilleure connaissance et compréhension de soi et de l'autre;

une visée anthropologique de connaissance des cultures comme systèmes complexes, évolutifs et changeants, d'habitudes, d'opinions, de valeurs, de créations partagées par des personnes qui s'en trouvent assez profondément liées et identifiées ensemble;

une visée de critique politique, sociale, économique prenant en compte les phénomènes d'aliénation et de déracinement des êtres humains, les phénomènes occasionnés par la mobilité accrue, la technicité et la bureaucratisation dans nos sociétés;

une visée politique de rapprochement entre les peuples, de promotion d'un esprit de coopération, de traitement des conflits afin d'éviter les violences et les guerres et de parvenir à construire un ordre européen et mondial plus juste, plus solidaire, plus démocratique;

une visée prospective tournée vers la constitution d'un monde où les réalités opposées ne sont pas systématiquement prises comme bases de camps en lutte entre eux, mais comme bases d'une explication, d'une compréhension, d'une recherche de solutions;

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Carte du monde selon l'Australien Stuart McArthur, 1978

Comme l'écrit Lilian Thuram dans son livre "mes étoiles noires", non, cette carte n'est pas à l'envers. Les cartes que nous utilisons généralement placent l'Europe en haut et au centre du monde. Elle paraît plus étendue que l'Amérique latine alors qu'en réalité, elle est presque deux fois plus petite : l'Europe s'étend sur 9.7 millions de kilomètres carrés et l'Amérique latine sur 17.8 millions de kilomètres carrés. La carte selon la projection de McArthur questionne nos représentations. En effet, ce géographe australien McArthur, en 1978, a placé son pays non plus en bas et excentré, mais en haut et au centre. Placer l'Europe en haut est une astuce psychologique inventée par ceux qui croient être "en haut", pour qu'à leur tour les autres pensent être "en bas". C'est comme l'histoire de Christophe Colomb qui "découvre" l'Amérique. Sur les cartes traditionnelles, deux tiers de la surface sont consacrés au "Nord", un tiers au "Sud". Pourtant, dans l'espace, il n'existe ni Sud ni Nord. Mettre le Nord en haut est une norme arbitraire, on pourrait tout aussi choisir l'inverse. Rien n'est neutre en terme de représentation. Lorsque le Sud finira de se voir en bas, ce sera la fin des idées reçues. Tout n'est qu'une question d'habitude.

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Carte du monde de Peters [*Heu...c'est ton destin !]

En 1967, Arno Peters, un cinéaste allemand, a conçu une projection de carte identique à la projection orthographique de Gall et l'a présenté en 1973 comme une nouvelle invention. Il l'a présenté comme une solution supérieure à celle de la projection de Mercator, utilisée couramment dans les cartes du Monde. La projection de Mercator augmente de plus en plus les tailles des régions en fonction de leur distance à l'équateur. Cette inflation a pour conséquence, par exemple, une représentation du Groenland qui est supérieure à l'Afrique, qui est une zone géographique 14 fois supérieure à celle du Groenland. Comme une grande partie du monde technologiquement moins développée se trouve près de l'équateur, ces pays apparaissent plus petits sur une Mercator et donc, selon Peters, semblent moins importants. Sur la carte de Peters, en revanche, des zones de taille égale sur le globe sont également de taille égale sur la carte. En utilisant cette projection, chaque nation apparaît avec sa taille correcte.

Mais revenons aux recherches de Lucette Colin et de ce formidable livre sur l'éducation tout au long de la vie : le dernier problème de ces expériences de mobilité internationale nous semble être la réintroduction d'une échelle de valeurs s'étayant sur un interculturel égalitaire (dispositif construit en tant que tel), ou de fait inégalitaire (migrations, exils). Le premier serait le signe d'une ouverture en soi du sujet alors que le second impliquerait que le sujet fasse la preuve de son ouverture (se confondant alors très souvent avec l'intégration). Si nous ne sous-estimons pas la violence inhérente aux contextes de migration subie et ses effets pour le sujet, nous constatons néanmoins que cette mobilité de fait est regardée avant tout comme porteuse d'handicap alors qu'elle était à contrario posée comme ressource. Ou alors cette mobilité est déniée en tant que fait. Lucette a été ainsi conduite à participer à un programme expérimental de l'OFAJ partant de la constatation que les jeunes des milieux défavorisés étaient généralement sous-représentés dans les échanges et les activités internationales mises en place et qu'ils demeuraient souvent inatteignables par les démultiplicateurs des échanges franco-allemands. Sur ce point les professionnels de l'animation socioculturelle impliqués dans les échanges internationaux, faisaient remonter les difficultés auxquelles ils étaient confrontés d'intéresser, de mobiliser dans leurs projets de jeunes de milieux sociaux défavorisés, en particulier en provenance de l'immigration, décrits alors comme rétifs à une mobilité.

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Volontaires internationaux en grève !

Si cette constatation est un fait (ces jeunes ne participent pas [où très peu, et nuançons toutefois en précisant qu'on ne parle pas des jeunes accompagnés par des structures socio-éducatives] aux échanges internationaux à l'intérieur de l'Europe), ce n'est parce qu'ils manqueraient naturellement de mobilité, c'est parce qu'ils n'ont pas suivi les trajectoires scolaires et sociales les engageant naturellement dans ce type de mobilité. Ils ont tous par contre une expérience de va-et-vient entre le lieu d'habitation et le lieu d'origine et bénéficient parfois d'un éclatement familial dans l'exil qui les conduit à se déplacer en Europe. Mettre au travail la question de la mobilité et ses enjeux pour les mineurs (mais qu'ils soient issus de l'immigration ou non) dans son lien avec une autonomie productive (autonomie par rapport aux deux institutions éducatives principales que sont la famille et l'école) est une chose, postuler que des itinéraires de mobilité n'ont aucune vertu et ne valent pas la peine d'être explorés en matière d'effet de formation en est une autre. C'est parce que les échanges internationaux posent directement, de manière évidente, la question de l'étranger, qu'ils peuvent être interrogés comme expérience de l'altérité. La question de l'étranger, nous rappelle Jacques Derrida, est autant une question venue de l'étranger qu'une question adressée à l'étranger. Cette expérience de l'altérité est donc corrélative d'une expérience de décentrement. La sortie "de son monde" engage le sujet dans d'autres circuits, d'autres formes sociales et culturelles qui situent autant l'étranger dans l'autre que l'étranger en soi. C'est en cela que l'expérience du quotidien revêt ici toute son importance dans le sens où le quotidien, dans sa répétition, dans sa familiarité, dans son insignifiance même, représente une sorte d'évidence d'allant de soi jamais questionné et jamais explicité. Pourtant, la familiarité constitutive du monde de la vie est débordée sans cesse par de l'extra-quotidien. Mais si le quotidien s'ouvre sans cesse sur l'inconnu au point d'en retirer sa substance vitale, il ne tente pas d'en faire l'expérience. Au contraire, le trait caractéristique du monde quotidien est de chercher perpetuellement à domestiquer l'horizon flou qui l'entour par le biais de rituels de familiarisation. Il recentre l'univers infini sur le monde clos de la familiarité où il trouve une assurance, où il entre dans l'ordre des choses."

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Mariage à Paramaribo, Suriname, 2009

Cette découverte du quotidien que provoque la traversée des frontières, c'est dans un premier temps la découverte d'un quotidien étrange ou avec des éléments d'étrangeté par rapport à mon quotidien familier. La familiarité pour l'autre de ce quotidien appréhendé par moi comme étrange dérange le rapport familier que j'entretiens à mes schèmes habituels de vie et qui perdent alors le caractère d'un ordre sûr, ordinaire, non questionnable. Cette découverte met en scène une "inquiétante étrangeté" du familier et qui, en cherchant son sens, provoque une sensibilité à l'altérité rarement aussi mobilisée dans le chez soi protégé par des frontières.

Au niveau des processus psychologiques, ce décentrement permet une possibilité de labilité identificatoire qui engage la construction de soi, la plasticité de la construction identitaire. Cela s'exprime souvent banalement par une mise en avant d'un changement personnel : impression d'avoir vieilli, d'avoir mûri, d'avoir changé, de ne plus être le même. Elle correspond à une mobilité de la représentation de soi/de l'autre ; elle est production de soi et ouvre de nouveaux projets. Ce changement personnel s'appuie sur des phénomènes de désidentifications liées à une conscientisation de certaines identifications qui peuvent alors se détacher de soi, et être remises éventuellement en cause. Le sujet est disponible, tout autrement, à son monde de subjectivation. A partir de là, l'expérience n'est plus une parenthèse, mais s'intègre et prend place dans l'histoire personnelle. Cette "mobilité" nous semble essentielle, mais elle est la plus problématique; le processus de changement, comme le montrent les travaux psychanalytique, devant se conjuguer obligatoirement avec la permanence du fait que le sujet est à la recherche d'un rapport de continuité entre passé, présent et futur (anticipé) et qu'il doit même en être assuré pour ne pas être et se sentir hors histoire. Changer implique qu'une différence se glisse entre passé, présent et futur anticipé, où le "je" qu'il est et qu'il sera n'est plus identique au "je" d'autrefois. Cette différence engage donc la construction identitaire et rend compte d'une labilité identificatoire qui engage des temporalités diversifiées. La mobilité ne doit donc pas être entendue comme un mouvement linéaire progressif; il y a des moments de stagnation, de régression, de fixation qui impliquerait un suivi à plus long terme pour mesurer véritablement les effets positifs de tels programmes chez les participants. Cette approche nous oblige à penser l'apprentissage comme autant de désapprentissages dans le sens du "Meurs et deviens" de Goethe. Si l'altérité engage un questionnement éthique (ne voir ses semblables que dans son groupe d'appartenance, reconnaître seulement ses semblables dans l'espace du même et non pas de l'autre), elle est au fondement même du sujet, dans le sens où le règne de l'hétéronomie est premier et que l'autonomie est déjà une reconnaissance de ce régime. La dimension relationnelle et identitaire de la question culturelle engage les limites et les frontières symboliques qui fondent les identifications mutuelles, et permet de négocier l'identification du même et la différenciation par rapport à l'autre. Problème psychologique clef en interdépendance avec le politique et le social puisque ces "cultures" parcellaires mises en avant rendent compte très souvent d'un sentiment de domination, de non-reconnaissance sociale, groupale. Ainsi, si les qualificatifs comme beur, black, etc. ne sont pas des catégories anthropologiques, et ne font pas appel aux traits culturels des populations dont sont issus les jeunes qui usent de ces expressions, ils font néanmoins sens, ils renvoient à des signes physiques identifiables comme la couleur de la peau; ils renvoient à ce qui serait une mentalité commune; ils renvoient à une religion commune. Ils renvoient aussi à la réalité d'une ségrégation sociale.

Face au constat d'un Georges Lapassade que nos sociétés contemporaines n'offrent plus de dispositifs d'entrée dans la vie adulte comme pouvaient le permettre les rites de passage, les recherches menées par Mme Colin concluent que les expériences d'immersion, le déplacement à l'étranger extrait le jeune de son contexte familier et correspond à un moment de transition, à une forme donc de marginalisation (au sens de Lapassade) qui peut être lu comme un rite de passage conçu comme un voyage (déconstruction-reconstruction) pour entrer grâce à ce détour par l'étranger dans ce qui lui est le plus intérieur. Mais dans ce grand tour, ce serait en fait soi-même que l'on chercherait. Nous toucherions là à une contradiction : la personne ne serait que centrifuge pour mieux-être centripète. C'est pourquoi nous entendons cette tension dans la dynamique identitaire entre permanence et changement, continuité et rupture, pôle idem et pôle ipse comme dessinant une éducation marquée inexorablement par l'inachèvement. Cette confrontation au différent, c'est une confrontation à l'énigme, à l'innatendu, à l'imprévisible où à la production d'affects ne s'inscrit pas subjectivement, où le travail de symbolisation est difficile puisqu'il n'y a pas de support d'inscription adéquat, de contexte significatif à moins que le sujet ne se fixe dans "l'aliénation de sa vérité". Ces différents extraits de ce très beau livre peuvent être conclues en situant ce concept de mobilité dans la traversée des frontières au-delà de cette évidence du déplacement visible : la mobilité ne serait pas tant un concept temporel ou un concept spatial, mais un concept "productif" : il y a mobilité à chaque fois qu'il y a production, c'est-à-dire qu'il y a engendrement de rapports inédits à l'existence, et donc traversée de frontières.


07 sept. 16

Une souris et...Lucette : passons quelques frontières...(1)

Partir. Sortir. Se laisser un jour séduire. Devenir plusieurs, braver l'extérieur, bifurquer ailleurs. Voici les trois premières étrangetés, les trois variétés d'altérité, les trois premières façons de s'exposer. Car il n'y a pas d'apprentissage sans exposition, souvent dangereuse à l'autre. Michel Serres, le tiers instruit.

Capitaliser sur des expériences de mobilité se fait notamment en prenant le temps de lire les écrits des spécialistes sur ce thème. Il existe par exemple des recherches universitaires sur ces expériences, et leur dimension éducative. Passer une frontière, ou des frontières. Mais de quelles frontières parle-t-on ? Celle de la frontière géographique en premier lieu, mais aussi de toutes les autres, plus subtiles, plus intimes. Lucette Colin fait partie de ces spécialistes, et a rédigé le chapitre de l'excellent ouvrage "l'éducation tout au long de la vie" sur les dimensions éducatives produites par les passage de frontières. Extraits.

"Les séjours à l'étranger font désormais partie de ces routines institutionnelles intégrées dans le parcours scolaire traditionnel même s'ils ne sont pas véritablement généralisés et encore moins requis. Ils sont d'abord perçus à la base comme un moyen privilégié d'apprentissage linguistique par le bain linguistique qu'ils occasionnent. Ils se sont ainsi imposés comme un dispositif de formation non-formel et informel offrant un complément indispensable des apprentissages scolaires formels traditionnels, tout en introduisant des valeurs qui restent néanmoins quelque peu marginales. En effet, si les examens, les concours cherchent légitimement à évaluer des connaissances théoriques et des compétences langagières, qu'ils consacrent in fine l'état final d'un apprentissage linguistique, ils donnent bien peu d'informations sur l'usage que font les étudiants de la langue qu'ils ont apprise pendant de longues années. "Que savons-nous sur leur comportement langagier en situation de contact avec des natifs, des stratégies communicatives auxquelles ils ont recours, des obstacles auxquels ils sont confrontés?" Cette question est très pertinente, et il est certain, par exemple, que mon job au contact de centaines d'habitants dublinois avait une dimension formatrice très sympa, même s'il n'était pas très utile sur le plan professionnel et qu'à mon âge actuel et avec les expériences acquises depuis l'époque, l'idéal serait d'éviter de le refaire. Pourtant, dans le monde du travail, beaucoup de personnes n'ont pas forcément conscience de la pertinence professionnelle de ce double champ de compétences que sont ceux de la mobilité et des relations interculturelles, et qui pourtant sont extrèmement utiles et accessibles à beaucoup de monde, dans l'Europe du 21ième siècle. En tout cas, Lucette continue en affirmant que "répondre à cette question implique de glisser subrepticement de la compétence linguistique évaluée par l'institution scolaire à une perspective de communication qui se jouerait donc essentiellement dans ses coulisses. Or, on le sait, la seule compétence linguistique n'est pas suffisante, même si elle est nécessaire, dans une perspective de communication et d'échange nécéssaire au sujet dans une confrontation à une altérité linguistique représentée et portée par un autre. Cette dernière implique des compétences spécifiques auxquelles seraient censés contribuer les séjours à l'étranger. En arrière-fond, la construction européenne, les enjeux internationaux, la mondalisation du quotidien, la composition plurielle de nos sociétés (pluriethniques, pluriculturels, multilingues), les besoins des sociétés contemporaines en matière sociale, économique, politique, déclinent et font appel à ces compétences."

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Rencontres dublinoises, avec notamment Irene, amie italienne, à gauche, 2008

Les programmes du Conseil de l'Europe en matière de politique linguistique sont assez éclairants à ce sujet. Ils nous montrent les exigences qui se font jour d'un complément indispensable à l'éducation formelle : rapprochement de l'apprentissage des langues et de la vie quotidienne, inscription de l'apprentissage dans une perspective de communication, capacité de dialoguer avec des personnes qui ont d'autres identités culturelles, capacité de reconnaître les différences et de gérer les interactions culturelles, développement de la citoyenneté européenne, savoir apprendre à apprendre permettant d'asseoir le développement du plurilinguisme, plurilinguisme intrinsèquement lié au pluriculturalisme considéré par ailleurs, comme condition d'une citoyenneté active en Europe. Cette compétence plurilingue indissociable d'une compétence pluriculturelle mise ici en avant est synthétisée comme "la compétence à communiquer languagièrement et à interagir culturellement d'un acteur social qui possède, à des degrés divers, la maîtrise de plusieurs langues et l'expérience de plusieurs cultures. On considérera qu'il n'y a pas là superposition ou juxtaposition de compétences distinctes, mais bien existence d'une compétence complexe, voire composite, dans laquelle l'utilisateur peut puiser." Le séjour à l'étranger se trouve alors être redéfini pour ne pas être entraîné dans un objectif d'instrumentalisation. La bijection langues-séjour s'élargit au profit d'une démarche plus globale de formation : le séjour à l'étranger est alors pensé pour asseoir ce qui peut être nommé selon les auteurs et les orientations : pédagogie interculturelle, pédagogie internationale, développement d'une compétence transculturelle, pédagogie des échanges, école du voyage, etc. La sortie de son monde, dans son potentiel formateur, se cristallise sous le vocable "mobilité" dont la valeur sociale, dans une société moderne marquée par les déplacements dans le divers et les confrontations au divers (pays, langues, religions, valeurs, ethnies, codes culturels, représentations, subcultures, évidences, goûts...) se trouve par là même renforcée.

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Chantiers internationaux à Couze et Mouleydier, Dordogne, 2015

L'intérêt porté par cette mobilité n'est pas nouveau; on sait depuis longtemps que "les voyages forment la jeunesse", ou encore, comme cet adage arabe nous le rappelle : "Voyage, tu découvriras le sens des choses et la valeur des hommes". Et pourtant, les apprentissages en jeu apparaissent flous, diffus, aléatoires. Ils sont par là même marqués par une certaine suspicion : version humoristique A nous les petites Anglaises !, même si l'auberge espagnol, autre film grand public arrive à nous faire ressentir la complexité de ce qui se joue pour le sujet dans cette quotidienneté qui ne va plus de soi. Cette suspicion nous semble être liée à la désintégration de la forme scolaire comme forme hégémonique autant dans la forme de l'apprendre que dans le contrôle ou la possibilité de contrôle des apprentissages. Cette suspicion plus marquée par rapport aux jeunes qu'elle ne le serait par rapport à des adultes s'alimente d'une vision coercitive de la formation initiale qui doit s'effectuer sous le contrôle de l'institution et de ses agents. L'éxpérience de mobilité internationale ouvre ce que l'on nomme communément le champ de l'éducation informelle. Nous entendons par là la construction et la mise en oeuvre de connaissances et de compétences qui ne peuvent pas être programmées systématiquement et qui sont donc moins objectivables, qui peuvent manquer de cohérence et qui sont difficilement systématisés, et où il manque une figure instituée de "maître" et de garant du savoir ce qui ne veut pas dire qu'il n'y ait pas un autre et des autres dans ce processus où le quotidien comme cadre privilégié d'apprentissage prend une place considérable.

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Travaux d'amélioration de l'état écologique de la rivière, Couze 2015

On peut se demander si la reconnaissance d'une culture du voyage n'est pas prisonnière d'une distinction sociale; l'émergence du tourisme de masse, la démocratisation des échanges internationaux auraient ainsi contribué à jeter un voile d'opprobre sur l'expérience formative. S'oppose en effet à cette figure du voyageur celle du "voyagé" selon l'heureuse expression de Jacques Lacarrière, voyagé qui contrairement au voyageur ne pense plus parce qu'on agit à sa place. Effectivement, le voyagé cherche ce qu'il veut trouver, lui permettant d'asseoir ses préjugés en postjugés cultivant ainsi les "idées reçues", ce à quoi nous renvoient de manière cruciale les séjours internationaux dits éducatifs qui ne peuvent échapper à cette interrogationde fabriquer "des compétences de consommateur touriste". Ce désir de consommation, de loisirs, de détente est le problème récurrent que rencontrent les porteurs et les animateurs de ces projets. Ces motivations, qui ne sont pas en elles-mêmes blâmables, inscrivent alors le séjour dans la recherche du plaisir immédiat, incompatible ou entrant en tension avec le projet de formation et tentent de réduire les échanges, à un dispositif de tourisme subventionné. Ces investissements des jeunes même s'il produit un grand malaise chez les porteurs de ces projets ne nous semble pas être un handicap, du moins au départ; il correspond à une forme sociale connue et il n'est pas abberant que les jeunes partent avec des repères d'expériences coutumières. Il s'agit néanmoins de ne pas se laisser berner par les cartes postales d'expériences internationales qui produisent l'illusion d'un cosmopolitisme authentique.

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Olivier, Gieyong-Jin et Madsiré, Mouleydier 2015 

Il est également connu que les rencontres peuvent accentuer aussi les préjugés réciproques d'où d'ailleurs le piège de ficeler certains dispositifs, de les maintenir dans une temporalité courte, pour qu'ils apportent la preuve des bienfaits de la rencontre internationale. Une des représentations piégeantes les plus résistantes est de prêter à priori des effets bénéfiques, immédiats et totalement idéalisés, à la rencontre des cultures (le contact avec l'autre suffirait à éradiquer les préjugés, à créer un apprentissage interculturel), en déniant la charge de conflictualité et d'instabilité qu'elle produit chez les sujets, en scotomisant ce que l'histoire et le politique nous enseignent en matière de violences collectives, nationales ou internationales. Il n'est donc pas inutile ici de rappeler que cette mobilité géographique engage une immersion dont on ne peut prévoir les effets de façon systématique. Elle n'implique par forcément un émerveillement devant la nouveauté et peut au contraire produire une nostalgie du quotidien, dont les valeurs se trouveraient même renforcées. Ce sentiment d'émerveillement cache aussi d'ailleurs une approche folklorique de l'autre qui éloigne d'autant la question posée par l'autre. En même temps, cette expérience propre peut permettre une interrogation quant aux constructions de l'autre établies essentiellement à partir des médias, de l'histoire personnelle et des groupes d'appartenance qui se poursuivra dans l'après-coup, au moment du retour dans le quotidien.

12 août 16

France/Auvergne/Haute-Loire - Une journée à Saint-Pal-de-Mons

En ce 17 juillet 2016, Veronica, Mexicaine, Mario et David, Espagnols, Wael, Egyptien, et Thibault, Français, tous autour de la vingtaine, assistent à l'hommage rendu par la commune de Saint-Pal-de-Mons à deux hommes jumeaux de religion juive cachés dans la ferme d'une habitante sanpaloune, Adolphine Dorel, pendant une partie de la Seconde Guerre mondiale.

Alors qu'elle rendait visite à ses enfants en colonie de vacances, le mari de Bella Schanzer fut arrêté avec quatre autres membres de sa famille, dont les parents de Esther Ein. Bella Schanzer parvint à fuir avec ses enfants, Anna, âgée de 6 ans, et les jumeaux Bernard et Henri, âgé de 5 ans, et sa nière Ester Ein, âgée de 10 ans. Ils vont être accueillis au chateau de Virieu par le marquis Xavier de Virieu et son épouse Marie-Françoise. Durant l'été 1943, la famille de Virieu et des membres du maquis du Vercors et de la Résistance locale furent dénoncés à la Gestapo. Les Virieu durent quitter précipitamment le chateau pour se réfugier, sous un nom d'emprunt, à Chichilianne (Vercors), et continuer leurs actions de résistants dans la clandestinité. La famille juive, elle aussi, dut fuir le château et trouver un nouveau refuge avec l'aide des soeurs de N.D. de Lyon.

Les jumeaux de sept ans Henri et Bernard Schanzer sont placés dans un foyer à Grenoble. Bella Schanzeer sait qu'ils sont malheureux. Elle demande à Jeanne Bonhomme de les récupérer. Elle les conduit chez sa mère, veuve et sexagénaire, Adolphine Dorel, qui habite dans une ferme de Saint-Pal-de-Mons. Adolphine Dorel, que les enfants appelaient "mémé", les accueillit et les inscrivit à l'école. Elle prit soin de leur faire réciter chaque soir leurs prières, afin qu'il conserve le lien avec leurs racines juives. Jeanne Bonhomme, quant à elle, cacha pendant près d'un an la soeur des jumeaux, Anna Schanzer, alors âgée de huit ans, et sa cousine Ester Ein, âgée de douze ans. Elle les logeait dans une petite pièce attenante de son atelier de couture, et les présentait comme ses nièces. Elle leur fournit de faux papiers,qui leur permirent d'obtenir des cartes d'alimentation. Elle leur inventa également un passé, que les fillettes devaient connaître par coeur. Jeanne Bonhomme leur faisait répéter ce passé imaginaire chaque soir, afin que Anna et sa cousine disent rigoureusement la même chose si elles étaient questionnées par les Allemands. En mai 1944, Saint-Etienne étant exposé au risque de bombardements aériens, Jeanne envoya les deux fillettes chez sa mère Adolphine Dorel. Après la libération, les jumeaux et les deux fillettes demeurèrent à la ferme jusqu'à l'arrivée de Bella Schanzer. Adolphine Dorel mourut peu après la guerre. La famille Ein-Schanzer alla s'installer aux Etats-Unis et resta en contact avec Jeanne Bonhomme. Tous furent reconnus Justes parmi les Nations par Yad Vashem.

PARVIS DE LA MAIRIE 

Cette commémoration est une parfaite illustration de la thématique très intéressante de l'histoire et la mémoire dans les rencontres internationales de jeunes, et dans les expériences de mobilité européenne et internationale que vivent une partie des jeunes (et moins jeunes) Européens en ce début de 21ième siècle. D'un côté, nous, les jeunes générations du 21ième siècle, n'avons pas forcément tendance à nous identifier aux jeunes qui sont partis faire la Seconde Guerre mondiale, et qui sont aujourd'hui nos grands-parents. Mais quand un de mes grand-père me raconte qu'il a passé son 19ième anniversaire enfermé dans une cave avec l'armée allemande à l'étage, et que mon autre grand-père me raconte, alors qu'il passe devant un champ agricole, qu'il se souvient encore du bruit des tirs lors de l'exécution de sept soldats allemands dans la commune voisine, je ne peux pas oublier que cette histoire appris très vaguement dans les livres scolaires correspond au vécu des anciens d'aujourd'hui.

PLAQUE COMMEMORATIVE A LA CHAMP

Lors de mes expériences de vie en Irlande et en Guyane, la démarche spontanée qu'a été la mienne pour un peu mieux "comprendre" où je mettais les pieds fût déjà de lire les guides que j'avais acheté sur les deux territoires. Notamment les éléments historiques, comme le relatent certains articles de ce blog. C'est utile à priori, et cela donne une première compréhension assez vague du territoire dans lequel on s'installe. Pourtant, la démarche de rédaction de cet article sur le bagne de Guyane peut paraître "originale" pour un habitant de la Guyane du 21ième siècle, tout comme le serait peut-être la rédaction d'un article sur la résistance dans le plateau des Glières par un jeune Allemand venant s'installer à Annecy. En effet, comme le témoigne Giselle par exemple, née dans le contexte du génocide Rwandais des années 90, il n'est pas forcément naturel de s'identifier aux périodes historiques du pays/territoire dans lequel nous vivons, même si elles ont touché de près des proches et connaissances. Lorsque nous sommes dans notre territoire de référence, celui dans lequel nous avons grandi et auquel nous nous identifions le plus, cela ne gène pas. on se dit, un peu "excessivement", être "chez nous". Mais lorsque nous devenons mobile et que nous souhaitons vivre et travailler dans un autre territoire, un autre pays, un département ultramarin, nous emmenons avec nous, et ce bien malgré nous, un certain nombre de représentations en partie liées à l'histoire des deux territoires et de ses anciens habitants. Que je le veuille ou non, en Suisse, je suis perçu comme un Français et tout ce qui va avec...alors que pourtant, je me sens souvent bien plus proche de nombreux citoyens de la planête que d'une partie des habitants de France. Certains Suisses passeront bien au-dessus de ces représentations, d'autres n'oublieront pas que je suis Français et me le rappeleront de temps en temps (sans méchanceté), d'autres me considéreront comme un Frouze de plus, vision péjorative du Français. Fichues représentations !

Dans le contexte des rencontres internationales de jeunes, il peut être intéressant de prendre en compte ce thème de l'histoire et de la mémoire, et l'Office franco-allemand pour la Jeunesse (OFAJ) propose un guide et des animations sur ce thème. Certains passages du préambule sont intéressants. Les célébrations du Centenaire de la Première Guerre mondiale ont montré combien le souvenir historique et l'activité politique sont liés. C'est particulièrement le cas dans les relations entre la France et l'Allemagne. Les deux voisins entretiennent aujourd'hui des relations amicales, et n'ont au fond plus de problème l'un avec l'autre. Il règne une normalité qui peut devenir routinière si l'on n'est pas conscient de l'enchevêtrement des deux histoires nationales. Pendant plus de cent ans, celles-ci ont été marquées par la figure funeste de "l'ennemi héréditaire", qui a toujours conduit à de nouvelles guerres. Nous restons aujourd'hui frappés de stupeur devant l'Ossuaire de Douaumont, près de Verdun, où reposent les corps de plus de 130 000 soldats français et allemands tués au combat et dont plus personne ne connaît les noms. Cent ans après, il semble pourtant qu'un changement se profile et crée de nouvelles convergences. La première Guerre mondiale est aussi devenue lointaine pour les jeunes Français, et le pathos national tend à disparaître au profit d'un intérêt personnel pour le destin des arrières-grands-pères et des familles pendant la guerre. Les jeunes Allemands, pour leur part, redécouvrent cette guerre comme quelque chose qui touche à leur propre histoire, c'est-à-dire à eux, à leur famille, à leur commune et à leurs amis.(...)

Et je terminerai ce petit message par cette belle affirmation du guide, valable partout sur Terre, pour tous les Terriens : "c'est ainsi que nous devons continuer à agir les uns envers les autres, en connaissant le poids de l'histoire sans que celui-ci nous empêche de la concevoir comme une histoire commune, qui nous réunit par-delà les générations et nous permet de vivre ensemble de façon décomplexée et créative."

11 août 16

Commentaires

Salut les quelques lecteurs réguliers !

N'hésitez pas à laisser un petit commentaire ponctuellement si vous avez qqchose à rajouter, ça me motivera un peu plus à rédiger de nouveaux articles ha ha :) A bientôt Emmanuel

Posté par Emmanuel_M à 14:19 - Commentaires [0] - Permalien [#]
01 mai 16

France - Une journée à...Adissan, Malestroit, Rennes, Grenoble, Grenay, Le Mans...et tant d'autres !

23 janvier 2010. Un samedi après-midi à faire la sieste au fond du lit. A peine rentré de mon expérience guyanaise, je m'installe temporairement à Lyon. Autant dire qu'après une année en Amazonie, les premières semaines lyonnaises sont grisâtres, dans le ciel et dans l'esprit. En ce jour, voilà qu'il y a un forum de l'emploi dans l'ESS dans une salle à proximité de mon lieu de vie. J'y vais ? J'y vais pas ? Allez, rien à perdre, ce peut être intéressant. 16 heures. Au détour d'un couloir, j'aperçois un stand : "bonjour. Qu'est-ce que vous faîtes ? - Notre association propose à toute personne de réaliser des volontariats, notamment des chantiers internationaux. - Ah, sympa. J'étais en Irlande puis en Guyane précédemment, donc j'imagine bien l'utilité de ce projet pour les jeunes adultes. Ok, laissez moi un CV. Ok ! Bye." Juin 2010. Un dimanche soir. Il fait nuit. Il pleut. J'arrive à Pierre-Bénite, près de Lyon, au Petit Perron. Suivre une formation d'animateur. L'animation ? En voilà un thème nouveau. Car durant ma vie étudiante, je ne l'associais qu'aux centres de vacances et de loisirs, et oh non, cela ne m'intéressait pas. Mais là, c'est différent. Animer un chantier, dans un espace naturel, avec des adultes de différents pays. Pourquoi pas. C'est original, ça change, ça permet d'apprendre de nouvelles choses. Et animer un groupe, cela peut être utile dans pas mal de boulots, a priori. Une semaine. Intense. Du bonheur. Du plaisir. Des oies dans le jardin. De la pluie. Des rires. Des animations, notamment une un peu choquante sur l'interculturel : le jeu de l'Albatros.

PHOTO WEEK-END 13 NOVEMBRE

Soutien aux victimes des attentats du 13 novembre

Juillet et août 2010. Deux chantiers. Guissény, petit bijou que son site naturel et ses plages. Gex, la Haute-Chaîne. Une semaine en refuge. Novembre 2010. Il pleut à Amiens. Nous écoutons l'excellent spectacle de Franck Lepage. C'est parti, je me propose pour rentrer au CA de l'asso. Pour gérer. Pour apprendre. Pour rencontrer. Pour réfléchir. Et si on osait ? J'ose. Pourquoi pas. Peut-être. Une première année de formation, et là je vois toutes ces personnes passionnées par ce beau projet. Des bénévoles, des volontaires, des salariés...des soirées à débattre, à discuter de ce monde difficile. De l'embauche d'un salarié à la préparation des temps de vie associative. C'est cela, rejoindre la vie associative, c'est se former, en plus de rencontrer. Des espaces d'engagement pour tous, par tous. Mais au final, tellement à y gagner. Et tellement d'échanges riches et variés. Quelques exemples. Léa, octobre 2011: pour moi c'est ça Concordia, amener à se poser des questions sur comment on a vu le monde et la société jusqu'ici et comment on aimerait la voir et comment on se positionne par rapport aux autres avis. Benoît. décembre 2011: Mon texte de référence à moi, ce n'est pas la Constitution française, c'est notre Projet éducatif. Mon projet de société à moi, ce n'est pas le travail, c'est l'Engagement. Ma capitale à moi, ce n'est pas Paris, c'est Avricourt. Hugo, juin 2012 :  que veut dire travailler à l'articulation éduc nationale - éduc populaire ? Serions nous les supplétifs de l’État ? Seuls des adeptes du tout État et du formatage des esprits peuvent être pour : l'educ pop est faite pour tous par tous, là où il y à faire, là où on veut la faire."

Août 2014. 4 ans plus tard, j'ai de nouveau un créneau estival pour animer. Avec 4 ans d'expérience et de vie en plus. Forcément, on évolue. Avec ce public de jeunes adultes, cette tranche d'âge bien particulière qu'est la période 18-25; Laurenan. Elisa, petite Italienne qui se lance dans la vie étudiante. Monica, de Barcelone. Et tous ces gens, ces habitants qu'on n'aurait pas pu rencontrer sans ce projet d'animation territoriale. Magnifique. Puis, Salonique. Eté 2015. Deux nouveaux projets, Pont-du-château et Mouleydier. Car je le sais, mon prochain poste salarié ne me permettra sans doute plus jamais d'animer...et car à 34 ans, la différence d'âge devient sacrément importante avec les 18-25. Une matinée à photographier la Dordogne se réveillant. Ah, ces rivières ! Puis un déplacement à Vienne, Autriche.

VIENNE

Dans un tram de Vienne, avec des potes, partenaires internationaux du projet

Et sur 6 ans, des réunions, week-end de travail, projets dans 20 départements de France métropolitaine. 1/4 du territoire. Avricourt, Malestroit, Adissan, Grenay, Saint-Caprais de Bordeaux, pour citer quelques communes découvertes. De quoi voir un peu du pays. Découvrir le viaduc de Millau ou l'arrière pays montpelliérain. En ce mois de mai 2016 se termine cet engagement bénévole. Ouf ! Ce fût long, mais intense. Plus de CA. Plus de bureau. Plus de dimanche après-midi à rédiger un compte-rendu sous le soleil. Alors maintenant, que faire de ce temps libre ? Autre chose ! Et tellement de nouvelles envies. Toujours rester adhérent, bien sûr, car on ne se lasse pas d'un projet qui permet de se sentir un tout petit peu plus concerné par à peu près tout. Mais surtout, (presque) plus de bénévolat pour un (long) moment !  6 ans. Une belle page se tourne. Merci à tous. Et que vive l'éducation populaire et le service volontaire international, par tous, pour tous, tout au long de la vie.

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20 mars 16

France/Guyane - Flashback : Annemasse, septembre 2008

Il est toujours intéressant de capitaliser sur une expérience de mobilité internationale ou ultramarine en la resituant dans un contexte plus général ou sociologique. En effet, l'historique de ce blog présente notamment une expérience personnelle et professionnelle d'un an en Guyane française...or, pour un métro lambda n'ayant pas beaucoup voyagé avant 2007, cette expérience est forcément assez intense, car le territoire guyanais offre beaucoup de "nouveautés" par rapport au bassin lémanique. Or, ma connaissance de la Guyane, avant cette expérience, se résumait à quelques grandes représentations et images floues sur le territoire.

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Les quelques images floues que j'avais de la Guyane avant de partir : le spatial, les bestioles, la forêt. Habituel, comme on va le voir.

La lecture d'une thèse de doctorat en sociologie sur les métropolitains en Guyane, soutenue il y a 10 ans par Marion Thurmes, téléchargeable sur la toile, offre une variété d'informations sociologiques sur les métros, de quoi continuer à capitaliser sur cette petite expérience d'un an, bien qu'elle commence à dater. Un travail d'enquête a notamment été réalisé auprès d'un échantillon non représentatif de la population métropolitaine en Guyane. D'une part, il est sympathique de resituer sa propre expérience de mobilité dans celle plus générale des métropolitains qui s'installent en Guyane. D'autre part, il est aussi sympathique de situer son expérience en parallèle avec les représentations des habitants habituels de la Guyane. Le lecteur lambda de ce blog, s'il fouille dans les pages historiques présentant l'expérience guyanaise, peut en effet y voir quelques photos qu'il est possible d'interpréter :

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Message du 3 mai 2010 - Un samedi soir avec une partie des copains de l'époque : mais alors, Manu, qu'avec des métros pendant un an ?

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Message du 3 novembre 2008 : pour un métro lambda, "tout est nouveau", mais pour l'habitant de Guyane, le métro, lui, est "tout sauf nouveau"

Alors bien sûr, derrière ces quelques lectures et réflexions sociologiques, n'oublions pas que rester soi-même suffit souvent à nourir de belles relations. Mais quand même, il est clair que "je", comme d'autres métropolitains qui débarquent sur le sol guyanais, suis arrivé avec quelques vagues images et représentations du territoire, et que "je", comme d'autres métropolitains, suis aussi source de représentation pour les habitants de Guyane. Est-ce normal ? Qu'en dit Marion dans sa thèse? Quelles sont les représentations de la Guyane avant la migration, pour les métropolitains en général ? Un peu de recopiage de cette thèse passionnante. Comment se construisent les représentations sur la Guyane, alors que l'individu n'est pas encore sur le territoire? On pourrait penser que les images sur la Guyane découleraient de l'histoire que l'on a appris à l'école. Pourtant (dans l'enquête), les individus ne parlent jamais de leur éducation scolaire, il semblerait que ce que l'on apprend à l'école en métropole sur les DOM-TOM soient assez limité. L'acquisition des images se fait par trois moyens principaux : la documentation, les relations personnelles et l'expérience.

La documentation est constituée de différents supports : guides touristiques, sites internet, affiches publicitaires, reportages vidéos. Alors, Manu, tu t'es documenté ? Ben oui, un peu ! Guide touristique, un des seuls qui existe est le petit futé, et il ne permet pas vraiment de mieux se représenter le département; sites internet, celui de mes potentiels employeurs (notamment l'administration sanitaire lors d'un entretien pour un autre poste); Et les reportages vidéos, alors là, attention ! Car on le sait tous, nos chers journalistes télé en font, de la désinformation ! Et à l'époque, aucun Guyanais n'a oublié le reportage d'Enquête exclusive sur la Guyane et son insécurité. Un ramassis de conneries dans lequel on voit notamment des dealers vendre de la drogue en pleine rue. Hé ben, alors, qu'est-ce que c'est original ! Parce qu'à Lausanne, ville de ma période étudiante, c'était pas pareil peut-être ? Bref, passons.

Ensuite, les relations individuelles sont aussi sources d'images. Ces dernières circulent librement dans les conversations. Les individus qui sont allés en Guyane renvoient une image largement positive de ce territoire contrairement à ceux qui n'y sont jamais allés. Ainsi, les Métropolitains de retour en métropole (en tout cas une partie) deviennent des ambassadeurs du département et contribuent à la dynamique de la migration en transmettant cette image positive. Beaucoup sont finalement venus parce qu'ils ont entendu parler de la Guyane en termes positifs par des relations plus ou moins proches. Dans mon parcours, il est vrai que le fait que j'ai un ami sur place m'a incité en partie à venir. En effet, cela faisait une quinzaine d'années que j'échangeais avec lui sur son expérience kouroutienne, et forcément, cela donne envie d'aller voir sur place. Alors venir, oui, mais à la condition de trouver un poste en adéquation avec ma formation en ingénierie de l'environnement et aménagement du territoire ! Et surtout, de le trouver avant de partir. Car malheureusement, la Guyane de 2008 n'est pas l'Irlande de 2007, fonctionnant en plein emploi. Mais est-ce que je serais allé en Guyane sans avoir cette connaissance sur place ? A vrai dire, difficile à dire.

Ainsi, la lecture de cette partie sur l'avant-départ montre à quel point cette expérience de mobilité s'est construite de manière on ne peut plus normale : des représentations et images très floues, comme celles de la majorité des métros. Des représentations de deux grands types : la Guyane, comme espace naturel : l'environnement naturel, la situation géographique; la Guyane, comme société : une société multi-culturelle, des notions historiques comme le bagne.

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La période du bagne en Guyane, principale image historique qui m'est évoquée en France métropolitaine, encore aujourd'hui

La Guyane comme environnement naturel 

La situation géographique. Hé oui, bosser une année dans un territoire situé sur le continent sud-américain : voilà une belle idée ! Et cette situation géographique m'attirait particulièrement lorsque je postulais aux offres. La position géographique est une distance avec la métropole, un sentiment d'éloignement. Là, aussi, autre intérêt qui m'attirait : partir loin, vivre en dehors de l'Europe continentale pour la première fois! Eloignement synonyme d'exotisme, caractéristique d'un changement de cadre.

La Nature, entre hostilité et attirance. Plutôt positives pour les métropolitains enquêtés (53%), et pour moi aussi. Bien sûr, évidemment, les serpents et la forêt. Et forcément, pour tout amateur d'observation naturaliste, la Guyane est au top. D'ailleurs, le mythe de la forêt hostile ne semble plus aussi tenace dans l'esprit des individus que ce que l'histoire aurait pu le présumer. Dans les représentations négatives, le climat apparaît comme redouté, reste des représentations transmises par l'histoire qui associent le climat humide aux maladies incurables: "le ciel est brumeux, couvert, humide", "la chaleur est oppressante". Il faut remarquer que nombreux sont les Métropolitains qui viennent avec une appréhension plus ou moins grande sur ce qu'ils vont vivre...oh, Manu, la veille du départ, autour d'une bière avec quelques anciennes amies...je me rappelle encore de cette "foudre" ressentie une seconde en m'interrogeant de ce que j'allais vivre là-bas.

La Guyane comme société

Des notions historiques: le bagne. Les images concernant la société sont moindres et celles concernant l'histoire sont quasiment nulles, dans l'échantillon non représentatifs des métropolitains enquêtés. Il y a quelque images liées au bagne, rien d'autre. Idem me concernant.

La société guyanaise: en développement, tranquille, multiculturelle. Un territoire en développement. Représentation exacte me concernant, au niveau démographique, et c'est ce que le chef de service qui m'avait embauché m'avait expliqué. Le spatial, particulièrement médiatisé dans les médias métropolitains. Représentation exacte également.

Alors voilà. Finalement, la majorité des métropolitains qui partent vivre et travailler en Guyane n'ont pas vraiment une image unique de la Guyane avant d'y venir. Les représentations sont globalement plutôt positives ou plutôt négatives pour un individu : elles sont en tout cas nuancées puisque aucune image négative n'est assez forte pour empêcher la venue d'un individu présent en Guyane. Et finalement, en recadrant mon départ dans ce contexte plus sociologique, on se rend compte à quel point il était on ne peut plus "normal". La suite bientôt !

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Septembre 2008. De la savane, de la forêt, une grue...

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27 févr. 16

Une souris et...Rom, article d'un militant des Céméa

Rom m'est inconnu, mais son bel article sur les échanges internationaux a toute sa place dans ce blog. Oui, c'est du recopiage. Pas grave. Quant au site sur lequel je pioche cette vision à laquelle j'adhère, il propose un excellent dossier sur l'éducation populaire, en phase avec mon point de vue, même si cela ne signifie pas que je suis libertaire, hein !

Je l'écrivais dans un article récent sur le chantier international de Mouleydier. Le voyage est une chose, mais voyager en pouvant pleinement échanger et un tant soit peu connaître les personnes de la région visitée en est une autre. Ce que Rom dit très bien : "le tourisme et les voyages c'est facile. Se rencontrer réèllement par delà les frontières, ça l'est beaucoup moins. Les échanges de jeunes, dont font partie les chantiers internationaux, sont un parfait outil de rencontre internationale réciproque et solidaire. "Expériences pour rire ensemble, causer de nos pays et de nos cultures, mais aussi chambouler notre quotidien."

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"La mobilité, on la croise partout. Dans les études ou au boulot, il faut être capable de bouger, de s'adapter. Mais cette "mobilité" n'est certainement pas la même pour tout le monde. Pour une partie de la jeunesse de la classe moyenne européenne, l'expérience internationale est devenue un rite de passage, un plus indispensable sur le CV. Elle peut prendre plusieurs formes : année en Erasmus, stage à l'étranger, année de coupure post-études...cette mobilité est choisie et accompagnée, vécue comme un moment fondamental de construction de soi. Pour une autre partie de la jeunesse, cette mobilité est subie et précaire : c'est la migration vers les bassins d'emplois, la nécessité de s'éloigner de ces ami-e-s et de sa famille pour pouvoir gagner un peu de thunes et trouver un logement. A l'échelle internationale, cette injustice est multipliée par 100 : le flux de touristes dans un sens, celui des migrants et exilés dans l'autre. Entre les deux, un ensemble de dispositifs de répression et de mort qu'on appelle les frontières. Une facilité de plus en plus grande de déplacement pour certains accompagne la multiplication des camps et des murs pour contenir les autres. [...] Les projets d'échanges de jeunes se confrontent à ces questions par l'action concrète.

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Sur cette photo, des jeunes (18-35) (de haut en bas et de gauche à droite, sans compter les élus locaux) de : Espagne - République Démocratique du Congo - Italie - Grèce - Espagne - Mexique - Albanie - Chine - Chine - Tchéquie - Tchéquie - France - Japon - Corée du Sud - Allemagne - Guinée Conakry - Espagne - Espagne - Espagne - Taïwan - Corée-du-Sud - Turquie - Russie - Turquie - Tchéquie : vive le service volontaire international !

Ces échanges internationaux font se poser toutes les questions qu'on a sur nos vies, sur les rapports avec nos familles, sur notre vision du monde, et la religion dans tout ça, et le travail, la pauvreté, la police, la musique...Mais ce n'est pas si simple de construire un collectif quand on est une vingtaine, qui ne partagent pas forcément les mêmes habitudes ou le même rythme dans la journée. Se rencontrer, c'est aussi construire une vie quotidienne ensemble, ne pas se marcher sur les pieds, se parler. L'éducation populaire passe aussi par là, par l'expérimentation d'un collectif qui ne soit ni la famille, ni une institution. Tout cela avec une exigence de réciprocité. Lorsqu'on est allé quelque-part, il faut se préparer à accueillir chez soi, se battre avec les préfectures pour faire venir les gens et qu'ils puissent vivre aussi cette expérience. Bien sûr, tout n'est pas rose, ces échanges draînent leur lot de questions : quel compromis avec les institutions pour rendre tout ça possible ? Comment mener des projets égalitaires quand nos situations de départ ne le sont pas forcément, voire pas du tout? Comment ne pas reproduire la logique touristique et créer des liens de long terme ? Mais peut être qu'amener ces questions, c'est peut-être finalement le plus important. Sortir des certitudes pour pouvoir avancer, ici et là-bas."

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Quel commentaire apporter à cet article ? Peut-être ce point de vue: la dimension humaine de la mondialisation pourrait être heureuse pour tout le monde en France. A Ambérieu-en-bugey, où j'ai vécu 2 ans, il est vrai qu'on vit assez peu de contacts culturels variés. Pourtant, chacun a accès à la ville de Lyon, au moins une fois de temps en temps. Et à Lyon, tout le monde peut aller aux soirées internationales. Alors, pourquoi y a t'il aussi peu d'échanges et de contacts avec l'altérité mondiale, encore aujourd'hui, en France et un peu partout ? Qu'est-ce qui pousse l'habitant d'un pays à aller discuter avec une personne expatriée et étrangère ? On en parlera doucement dans un prochain article !

30 janv. 16

Une souris et...Philippe, Terrien transatlantique

Ce blog, dans son historique, présente deux expériences de mobilité internationale et ultramarine : une année à Dublin et une année à Cayenne. Alors que cela représente deux grandes expériences pour un habitant de France métropolitaine lambda, il serait dommage d'oublier que pour de nombreuses personnes croisées au coin de la rue, cette expérience est habituelle, voire naturelle. Je pense typiquement à mon ami Philippe.

Dublin, septembre 2007. La porte de ma colocation s'ouvre. Philippe entre. Il vient s'installer à Dublin, pour une période indéterminée, depuis la Martinique. Car comme de nombreux autres habitants d'un des trois départements français d'Amérique (DFA), son espace de vie se situe de part et d'autre de l'océan Atlantique.

Le rapport de l'observatoire de la jeunesse 2014, "parcours des jeunes et territoires", fournit une analyse intéressante de cet espace de vie transatlantique chez les 18-30 ans. Depuis les années 50, le bassin des Caraïbes a été le théatre d'une forte émigration vers les métropoles européennes. Au fur et à mesure que les individus se sont installés ou réinstallés de part et d'autre de l'Atlantique, se sont formés des espaces de liens sociaux, familiaux etc. Les individus vivant de chaque côté sont plus ou moins connectés à ces espaces, selon leur expérience familiale de migration ou leur propre vécu de circulation transatlantique. En parallèle aux migrations se déroulent un va-et-vient de personnes au sein de cet espace de vie transatlantique. Une enquête Trajectoires et Origines (TeO), mené par l'Institut national d'études démographiques (INED) et l'INSEE, fournies quelques analyses sociologiques sur cet espace de vie transatlantique et les pratiques autonomes des 18-30 ans.

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Ce qui peut être vécu comme une grande expérience pour un métro lambda,

n'est que normalité pour de nombreux habitants des DFA

En France métropolitaine, 1 habitant des DFA sur 2 déclare avoir été victime de discrimination dans les cinq ans précédant l'enquête. Ces moments de "renvoie aux origines" sont fréquents au travail, à l'école, dans la rue et même si l"on s'y attend", ils participent à la construction identitaire de ces jeunes. D'ailleurs, il y a une reconnaissance du fait qu'en France métropolitaine, on peut être renvoyé à ses origines tandis que dans d'autres lieux, on peut être plutôt identifié comme "Français". Cette identification "imposée" est d'autant plus mal vécue que certains jeunes ressentent à l'égard des territoires des DFA et de l'"identité antillaise" une ambivalence, qui peut être le résultat d'un moindre ancrage familial sinon d'expériences négatives lors de séjours dans les DFA. On retrouve de la déception exprimée face aux moqueries, aux réactions de jalousie, de méfiance, voire de rejets. Alors qu'ils se reconnaissent une identité antillaise, on leur refuse la reconnaissance de cette identité. Par ailleurs, pour les jeunes élevés majoritairement dans les grandes villes, il y a une difficulté à s'adapter à des sociétés où "tout se sait". En effet, l'interconnaissance est forte dans les îles et la surveillance sociale particulièrement marquée et contraignante. Faits et gestes sont observés et rapportés. Cette dimension est particulièrement difficile à supporter pour des personnes ayant été socialisées dans une société plus anonyme. Enfin, de plus en plus de jeunes se projettent au-delà des confins de l'espace transatlantique métropole-Antilles-Guyane. Si les perspectives de mobilité ont longtemps été ancrées dans cet espace bipolaire, les temps changent. Ainsi, grâce à l'image idéalisée d'une société multiculturelle, berceau du mouvement des drois civiques, les Etats-Unis sont parfois évoqués comme destination de préférence. Maintenant, même avec un niveau d'anglais simplement scolaire, vivre sur le continent américain, en Angleterre ou en Australie apparaît comme une option pour des jeunes qui envisagent parfois leur avenir professionnel et familial ailleurs qu'en France, hexagonale ou ultramarine.

taux de domien par 10 000 habitants

Taux de Domiens pour 10 000 habitants (2008)

Je propose à Philippe de commenter cet article : "cette vision de la mobilité de la jeunesse antillaise est assez juste. Le manque de débouchés professionnels et les possibilités limitées d'y effectuer des études supérieures poussent chaque année une fraction de la jeunesse vers d'autres horizons. Horizons des plus classiques comme Paris et sa région, Toulouse, Bordeaux...mais il devient de plus en plus fréquent d'aller voir "plus loin", je pense notamment à l'Angleterre ou au Canada. A mon avis, il y a également un autre facteur à prendre en compte : quand on a passé les 18 ou 20 premières années de sa vie dans un espace de 1128 km2, l'énergie et la fougue de la jeunesse poussent tout naturellement à aller voir ailleurs ce qui s'y passe. D'un point de vue personnel, cette envie d'aller voir ailleurs m'a pris très tôt. C'est d'ailleurs sans doute pour cela que je me suis très tôt intéressé aux langues étrangères, et notamment à l'anglais. Je me rappelle encore de cette anecdote : je venais d'avoir 10 ans et mes parents venaient d'emménager dans une nouvelle maison. A cette époque, il n'y avait ni internet, ni câble ni box...juste trois chaînes locales diffusant parfois quelques émissions de métropole. Cependant, en bidouillant un peu le poste de télévision, je me suis rendu compte que j'avais accès à la chaîne américaine HBO ! C'était en fait grâce à un voisin qui avait chez lui une immense parabole, et magie de la science aidant, je pouvais capter son signal. Je ne m'étendrai pas sur les heures passées devant cette chaîne à regarder film après film en V.O., un pur régal ! C'est aussi à cette époque que j'ai commencé à m'intéresser aux langues qui me semblaient "exotiques", c'est-à-dire les langues de pays dont le mode de vie me semblait suffisamment éloigné du mien. J'avais par la suite opté pour l'allemand au lycée et le russe pendant les quatre années passées à l'armée après mon bac. C'est d'ailleurs durant cette période militaire que j'ai pu me rendre en Ukraine pour une mission de traduction très intéressante. Entrer à l'armée était également un projet que j'avais eu très tôt car il conjuguait pour moi prise d'indépendance et aventure, mais bien que je n'aie pas été trop déçu sur ce plan, il faut bien admettre que je n'avais pas la vocation militaire. En 2004, j'ai donc quitté l'armée en repassant par la case départ en Martinique, mais toujours avec la certitude de repartir, à l'étranger si possible. C'est un projet que j'ai préparé pendant trois ans: économies, choix de la destination, prospection préalable des entreprises susceptibles de m'embaucher, préparation du CV. Sans oublier de profiter de toutes les occasions d'améliorer mon anglais. Mon travail en location de voitures au contact des touristes étrangers m'a beaucoup aidé à l'époque pour l'expression orale. J'ai également passé beaucoup d'heures à écouter des livres audio en anglais. Et en septembre 2007, ce fut le grand saut ! Aller simple pour Dublin avec les premières nuits réservées en auberge de jeunesse sur Aungier Street ! Pour ensuite m'établir à Phibsboro, que tu connais bien, pas vrai coloc ?! Depuis cette date, j'ai bougé au gré des opportunités professionnelles qui m'ont amené tantôt à Londres, tantôt à Paris...et depuis août 2015, me voici de retour en Irlande ! Pourvu que ça dure ! Mais il faut quand même savoir que dans la tête de beaucoup d'Antillais expatriés aux quatre coins du monde existe un secret espoir de rentrer un jour "à la maison" pour y profiter des derniers instants et y finir sa vie..."

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Philippe, ami martiniquais très attiré par...le froid scandinave !

12 janv. 16

Une souris et...Manu & co, expérimentateurs de territoires

Une expérience de mobilité régionale, nationale et internationale, que ce soit celles présentées et réfléchies dans ce blog ou celle de quiconque, revêt une dimension d'expérimentation territoriale, pour reprendre une expression utilisée dans une étude récemment survolée. Par territoire, utilisons la définition classique de l'étendue de surface terrestre sur laquelle vit un groupe humain. Ce qui fait territoire, c'est l'ensemble des interactions entre le groupe humain dans toutes ses composantes, et l'étendue de la surface terrestre concernée, dans toutes ses diversités. Le territoire s'aborde donc de façon globale : spatiale, humaine, économique, sociale, politique.

Une année à vivre et travailler en Irlande ou en Guyane représente une belle forme d'expérimentation territoriale. Passons ce stage de quelques mois à la DCU un peu limité au niveau social, même s'il m'aura permis de travailler au jour le jour avec des habitants irlandais, et prenons plutôt l'exemple de la vie en famille irlandaise (quelques semaines pendant les cours d'anglais, dans cette "autre époque" pourtant déjà relatée dans ce blog), ou, encore plus, de mon emploi dans un grand magasin au centre-ville de Dublin : servir des centaines de clients par jour et voire défiler l'intégralité de la société dublinoise du feu tigre celtique; du papy à l'accent incompréhensible à la bimbo venant se faire bronzer plusieurs fois par semaine. Où alors de Philippe, coloc amateur de bons films à Juliana, Brésilienne rencontrée à Dublin et recroisée à Cayenne.

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Expérimenter Phibsboro et Dublin...à faire, lecteur (jeune) adulte !

Expérimenter un territoire, c'est ce que permet aussi un chantier international, en amenant un jeune adulte, 18-30 ans le plus souvent, à découvrir d'autres environnements en participant de manière volontaire à la réalisation d'un travail d'intérêt général. A Laurenan, Peiye, jeune Chinoise de la vingtaine habitant au Japon depuis l'âge de 11 ans, et souhaitant s'installer en milieu rural, a ainsi pu expérimenter ce joli village en y rencontrant quelques habitants apportant, via leur engagement politique ou associatif, un peu de vie à la commune. Et puis à Laurenan, il y a aussi des jeunes qui pourraient être contents de rencontrer une habitante du Japon. Expérimenter d'autres territoires, même durant un cours laps de temps (quelques semaines à une année), a pour origine et conséquence une certaine motilité, soit une capacité à être mobile. Et cette motilité est un phénomène vertueux : la motilité progressive va crescendo, selon trois piliers : appétences, aptitudes, moyens. Elle repose sur des pré-requis, s'acquiert, se développe, s'apprend et se transmet. Les expériences accumulées au long de la jeunesse participent de cet apprentissage tant elles ouvrent une capacité d'adaptation, installent des repères, consolident les savoir-faire, favorisent l'anticipation devant les contraintes et les situations incertaines ou inconnues qui accompagnent la mobilité. Elles permettent de prendre confiance et d'appréhender la mobilité avec apétence et sans crainte. Elles sont propices à la prise d'initiative...ainsi, de petites expériences en petites expériences, quiconque le souhaite peut se former, développe des savoirs et capacités organisationnels, intègre une compétence sinon une culture de la mobilité.

Expérimenter un territoire permet aussi de doucettement réfléchir aux quelques représentations initiales qu'on a de celui-ci, puis de les dépasser. Sans oublier que les habitants qui y vivent peuvent aussi avoir des représentations nous concernant. Et c'est bien par l'échange et le respect réciproque qu'on peut facilement faire valser intelligemment ces quelques représentations. N'est-ce pas ce que dit un peu Giyeong-Jin, quand elle affirme que sa rencontre avec quelques jeunes habitants d'Europe lui a permis de se rendre compte qu'à quelques nuances culturelles et identitaires près, on peut s'entendre avec beaucoup d'autres Terriens, au niveau idéologique.

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Expérimenter le village de Mouleydier,

en rencontrant et aidant ses habitants, souhait d'Olivier,

jeune adulte congolais arrivé en France en 2014

Alors, oui, expérimenter d'autres territoires est une expérience que chacun devrait faire, un jour ou l'autre. Pour se rendre compte que même à l'échelle de Rhône-Alpes, beaucoup de choses sont accessibles. Passer d'Annemasse à Lyon, par exemple, permet typiquement de s'engager plus facilement dans une vie associative riche et variée, pour s'éduquer tout au long de la vie et faire de belles rencontres. Mais voilà. Comme pour toute nouvelle chose, il y a quelques freins. Matériels, cognitifs, psychologiques. Dans ce derniers cas, les déplacements seraient alors de plus en plus perçus comme une confrontation à l'inconnu exprimant une difficulté et souvent  une crainte à sa projeter hors de son territoire de référence. Et il y aurait quelques profils types de jeunes par rapport à la mobilité...du jeune mobile au jeune décroché. Mais dans ce domaine là, comme dans beaucoup d'autres, résilience il y a. Alors, ami lecteur, je t'en conjure : n'ai pas peur, ose, et expérimente les mobilités régionales, nationales et internationales !

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01 nov. 15

France/Midi-Pyrénées/Gers - Une journée à Castelnau-d'Auzan

Des raisins et du lien. Octobre 2015. Il fait beau à Castelnau-d'Auzan. Je rencontre Thierry, et quelques-uns de ses compères. Ils se connaissent depuis 50 ans. Car la vingtaine juste entâmée, ils avaient été volontaires sur un chantier, travaillant sur une propriété viticole du coin, pour les vendanges.

Octobre 1965. Au Suriname, Louis Autar fait une pause annuelle dans le suivi des pontes de tortues marines sur quelques plages du pays. En Guyane, le premier coup de pioche de la "Cité de chantier" à Kourou est donné, pour aboutir, 900 jours plus tard, au premier lancement d'une fusée depuis le nouveau Centre Spatial Guyanais. Dans une autre partie du Monde, il y a une guerre au Viet Nâm. Forcément, une période sans guerre, ce serait trop beau. Au petit village de Castelnau-d'Auzan, dans le Gers, se retrouvent 22 jeunes Européens de France, Hollande, Allemagne et Angleterre.

50 ans plus tard, ils nous livrent quelques souvenirs.

Thierry décrit une soirée un peu arrosée...oui, ça peut arriver, de temps en temps : quand nous avons pris possession de la maison, il a bien fallu comprendre que nous ferions plus du camping que vivre dans un cinq étoiles. Mais nous étions jeunes et plein d'enthousiasme. Il fallait apprendre à ne pas passer à travers les lattes de parquet au risque de se retrouver rapidement au rez-de-chaussée. Mais le bon vin rend toujours la vie plus gaie...parfois un peu trop ! Je me souviens d'une soirée au clair de lune devant le tonneau de vin blanc apporté par monsieur Lacour. Martine, horrifiée par la descente en vitesse de schuss du tonneau m'a demandé de faire cesser cette beuverie, inquiète soit pour les finances du camp (pourra-t-on en avoir un deuxième ?) soit plutôt d'avoir à passer la toile à laver sur le trajet des grands amateurs de ce nectar des dieux et d'en supporter les effluves jusque dans les chambres. Devant le peu de coopération des buveurs, j'ai été obligé de cacher le tonneau, certes bien allégé et pas trop lourd à porter. Ce soir-là, je n'ai pas dû me faire que des amis. Et pourtant, ils sont restés mes amis pendant cinquante ans !

photo manu2

Jean-Claude garde lui aussi quelques moments forts à l'esprit : notamment, " la découverte en pleine vendange que nous avions faît l'objet d'un article dans la Dépêche du Midi. Il s'intitulait, "la voilà la jolie vigne!" que nous fit lire un employé de la propriété. Stupéfaction, satisfaction...notre action n'était pas si anodine puisqu'elle intéressait les médias...ce melting pot en tout cas créait à tout moment de la journée une richesse de réaction, de blagues, d'humour dans toutes les langues. Nous, Français, demandions bien souvent la traduction, notre anglais n'était guère à la hauteur de nos compagnons Allemands ou Hollandais ! Seuls les Anglais nous ressemblaient, encore qu'Evelyn parlait déjà bien le français ! Notre chef, Walter, lorsqu'il annonçait un programme, une idée ou autre chose, l'exprimait en quatre langues: le français, l'anglais, l'allemand, puis le hollandais, sa langue maternelle ! Excusez-moi du peu ! A 25 ans, ce jeune homme volontaire, débordant d'humour, plein d'idées, chantant de vieilles chansons du folklore français en s'accompagnant à la guitare, avait une personnalité peu commune et nous laissait tous admiratif...il a maintenant ajouté l'espagnol à son répertoire ! Je crois que je vais m'arrêter là...mais je pense que je pourrais raconter encore...Nous sommes, Claudine et moi, l'histoire concrète de ce chantier puisque nous nous sommes connus en 1965, mariés en 1978 et nous écrivons nos mémoires en 2015. Quelle aventure ! Je crois qu'un projet commun, à but non lucratif, fédère les gens. Là, c'était les vandanges qui ont permis de développer la solidarité. Nous préparions l'Europe avant l'heure : elle est malheureusement loin d'avoir obtenu la même fraternité !

  Claudine

Annick se souvient d'un bal à Eauze : un samedi soir, nous sommes allés à un bal à Eauze (11 Km de Castelnau). Après avoir bien dansé, le retour s'est fait à pied par une magnifique nuit claire et étoilée. Mais Walter le dit : nous revînmes ! Nous étions fatigués et nous avions sommeil, et nous sommes fâtigués et nous avons encore sommeil ! Mais la flamme d'enthousiasme nous tient !

Harald donne quelques explications sur l'impact qu'à eu cette expérience sur ses choix de vie : "Le chantier international à Castelnau d'Auzan dans le Gers ne fût ni mon premier ni mon dernier. Mais il a contribué à une impulsion décisive pour mon avenir. Comme presque chaque homme allemand de l'époque, je faisais mon service militaire obligatoire. Je l'ai commencé le 1ier avril 1965. Pour de raisons liées à l'entente des peuples, j'avais le droit de partir pour un chantier international de jeunes déjà fin septembre, quelques semaines plus tôt que prévu par la loi. En plus, il était soutenu par l'Office franco-allemand pour la Jeunesse. Comment ces 2-3 semaines à Castelnau-d'Auzan ont-elles changé mon avenir ? Après mon service militaire j'avais l'intention de faire mes études d'anglais pour devenir professeur enseignant dans le cycle d'enseignement primaire long. A Castelnau cependant, j'avais constaté que ma connaissance de la langue française était trop bonne pour être négligée. Alors, et après maintes expériences agréables en France, je me suis décidé à faire mes études d'anglais et de français pour devenir professeur de collège unique. Pour finir, j'aimerais affirmer avec reconnaissance et admiration que notre engagement à Castelnau-d'Auzan a fondé une amitié pour la vie. Au fil du temps nous nous sommes rencontrés à plusieurs reprises : à Schevenhütte, en Hollande, Cancale, Bath, Bourges, Paris notamment. Il est quand même surprenant qu'après 50 ans une bande jadis bigarrée de gens de différents pays retourne à l'endroit de son camp d'activité originel pour y consacrer avec leurs partenaires une semaine de retrouvailles dans la joie et l'harmonie."

Une belle petite histoire, dans la grande Histoire de l'Europe des cinquante dernières années.

Posté par Emmanuel_M à 16:20 - - Commentaires [0] - Permalien [#]
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