France/Midi-Pyrénées/Gers - Une journée à Castelnau-d'Auzan
Des raisins et du lien. Octobre 2015. Il fait beau à Castelnau-d'Auzan. Je rencontre Thierry, et quelques-uns de ses compères. Ils se connaissent depuis 50 ans. Car la vingtaine juste entâmée, ils avaient été volontaires sur un chantier, travaillant sur une propriété viticole du coin, pour les vendanges.
Octobre 1965. Au Suriname, Louis Autar fait une pause annuelle dans le suivi des pontes de tortues marines sur quelques plages du pays. En Guyane, le premier coup de pioche de la "Cité de chantier" à Kourou est donné, pour aboutir, 900 jours plus tard, au premier lancement d'une fusée depuis le nouveau Centre Spatial Guyanais. Dans une autre partie du Monde, il y a une guerre au Viet Nâm. Forcément, une période sans guerre, ce serait trop beau. Au petit village de Castelnau-d'Auzan, dans le Gers, se retrouvent 22 jeunes Européens de France, Hollande, Allemagne et Angleterre.
50 ans plus tard, ils nous livrent quelques souvenirs.
Thierry décrit une soirée un peu arrosée...oui, ça peut arriver, de temps en temps : quand nous avons pris possession de la maison, il a bien fallu comprendre que nous ferions plus du camping que vivre dans un cinq étoiles. Mais nous étions jeunes et plein d'enthousiasme. Il fallait apprendre à ne pas passer à travers les lattes de parquet au risque de se retrouver rapidement au rez-de-chaussée. Mais le bon vin rend toujours la vie plus gaie...parfois un peu trop ! Je me souviens d'une soirée au clair de lune devant le tonneau de vin blanc apporté par monsieur Lacour. Martine, horrifiée par la descente en vitesse de schuss du tonneau m'a demandé de faire cesser cette beuverie, inquiète soit pour les finances du camp (pourra-t-on en avoir un deuxième ?) soit plutôt d'avoir à passer la toile à laver sur le trajet des grands amateurs de ce nectar des dieux et d'en supporter les effluves jusque dans les chambres. Devant le peu de coopération des buveurs, j'ai été obligé de cacher le tonneau, certes bien allégé et pas trop lourd à porter. Ce soir-là, je n'ai pas dû me faire que des amis. Et pourtant, ils sont restés mes amis pendant cinquante ans !
Jean-Claude garde lui aussi quelques moments forts à l'esprit : notamment, " la découverte en pleine vendange que nous avions faît l'objet d'un article dans la Dépêche du Midi. Il s'intitulait, "la voilà la jolie vigne!" que nous fit lire un employé de la propriété. Stupéfaction, satisfaction...notre action n'était pas si anodine puisqu'elle intéressait les médias...ce melting pot en tout cas créait à tout moment de la journée une richesse de réaction, de blagues, d'humour dans toutes les langues. Nous, Français, demandions bien souvent la traduction, notre anglais n'était guère à la hauteur de nos compagnons Allemands ou Hollandais ! Seuls les Anglais nous ressemblaient, encore qu'Evelyn parlait déjà bien le français ! Notre chef, Walter, lorsqu'il annonçait un programme, une idée ou autre chose, l'exprimait en quatre langues: le français, l'anglais, l'allemand, puis le hollandais, sa langue maternelle ! Excusez-moi du peu ! A 25 ans, ce jeune homme volontaire, débordant d'humour, plein d'idées, chantant de vieilles chansons du folklore français en s'accompagnant à la guitare, avait une personnalité peu commune et nous laissait tous admiratif...il a maintenant ajouté l'espagnol à son répertoire ! Je crois que je vais m'arrêter là...mais je pense que je pourrais raconter encore...Nous sommes, Claudine et moi, l'histoire concrète de ce chantier puisque nous nous sommes connus en 1965, mariés en 1978 et nous écrivons nos mémoires en 2015. Quelle aventure ! Je crois qu'un projet commun, à but non lucratif, fédère les gens. Là, c'était les vandanges qui ont permis de développer la solidarité. Nous préparions l'Europe avant l'heure : elle est malheureusement loin d'avoir obtenu la même fraternité !
Annick se souvient d'un bal à Eauze : un samedi soir, nous sommes allés à un bal à Eauze (11 Km de Castelnau). Après avoir bien dansé, le retour s'est fait à pied par une magnifique nuit claire et étoilée. Mais Walter le dit : nous revînmes ! Nous étions fatigués et nous avions sommeil, et nous sommes fâtigués et nous avons encore sommeil ! Mais la flamme d'enthousiasme nous tient !
Harald donne quelques explications sur l'impact qu'à eu cette expérience sur ses choix de vie : "Le chantier international à Castelnau d'Auzan dans le Gers ne fût ni mon premier ni mon dernier. Mais il a contribué à une impulsion décisive pour mon avenir. Comme presque chaque homme allemand de l'époque, je faisais mon service militaire obligatoire. Je l'ai commencé le 1ier avril 1965. Pour de raisons liées à l'entente des peuples, j'avais le droit de partir pour un chantier international de jeunes déjà fin septembre, quelques semaines plus tôt que prévu par la loi. En plus, il était soutenu par l'Office franco-allemand pour la Jeunesse. Comment ces 2-3 semaines à Castelnau-d'Auzan ont-elles changé mon avenir ? Après mon service militaire j'avais l'intention de faire mes études d'anglais pour devenir professeur enseignant dans le cycle d'enseignement primaire long. A Castelnau cependant, j'avais constaté que ma connaissance de la langue française était trop bonne pour être négligée. Alors, et après maintes expériences agréables en France, je me suis décidé à faire mes études d'anglais et de français pour devenir professeur de collège unique. Pour finir, j'aimerais affirmer avec reconnaissance et admiration que notre engagement à Castelnau-d'Auzan a fondé une amitié pour la vie. Au fil du temps nous nous sommes rencontrés à plusieurs reprises : à Schevenhütte, en Hollande, Cancale, Bath, Bourges, Paris notamment. Il est quand même surprenant qu'après 50 ans une bande jadis bigarrée de gens de différents pays retourne à l'endroit de son camp d'activité originel pour y consacrer avec leurs partenaires une semaine de retrouvailles dans la joie et l'harmonie."
Une belle petite histoire, dans la grande Histoire de l'Europe des cinquante dernières années.