Une souris et...Louis Autar, Suriname, années 60
Louis Autar ne m'est pas connu, peut-être n'est-il même plus de ce monde, mais la lecture récente d'une publication sur les effets létaux et non létaux de la prédation des tortues marines adultes m'invite à écrire de nouveau sur ce thème. Voilà 4 ans que je suis rentré de Guyane, mais la magie d'internet ou des livres me permet de continuer à mûrir ma connaissance et compréhension du plateau des Guyanes, qui va du Vénézuela au Nord du Brésil. Un des outils de travail très utile est l'acquisition d'un niveau d'anglais bilingue (dans le sens : non-gênant dans aucune situation), qui donne accès à une multitude d'études et ouvrages de grande qualité sur la région. L'expérience bénévole de l'époque, 4 mois sur le projet de conservation des tortues marines géré par l'association Kwata en 2009 me permet aussi de continuer, petit à petit, à apprendre sur la conservation de ces espèces. Non pas que j'en ai besoin dans mes activités quotidiennes depuis 4 ans, mais c'est un sujet intéressant car il touche à la fois à des espèces emblématiques des mers et océans, à des enjeux écologiques importants pour les habitants des littoraux, et à des problématiques internationales, certains specimens de tortues luth se retrouvant sous des lattitudes variées. Et puis, en tant qu'adhérent "passif" de l'association Kwata, qui met en oeuvre le programme de conservation des tortues marines au niveau de l'île de Cayenne, il est intéressant de lire ponctuellement quelques publications scientifiques produites soit par l'association, soit par d'autres structures...d'autant plus qu'il est possible de bien visualiser les expériences décrites.
Suivi télémétrique de 16 tortues vertes sur le plateau des Guyanes par le WWF, 2012
Ces lectures ont aussi l'utilité professionnelle de maintenir des compétences qui s'en iraient au fond du tiroir, du fait de l'obligation de spécialisation poussée générée par le marché du travail: les métiers de l'ingénierie de l'environnement, comme beaucoup d'autres, nécessitent de se spécialiser pour pouvoir obtenir des projets et financements dédiés; toutefois, le bénévolat associatif est un formidable outil pour s'ouvrir à de nouvelles thématiques et développer des compétences permettant d'agrandir son employabilité. Ainsi, comprendre progressivement comment est mis en oeuvre un programme de conservation de la Nature ainsi que les méthodes et technologies utilisées ne servira pas à mon champ de compétences actuel, mais pourra peut-être un jour être utile professionnellement, qui-sait ! La vie professionnelle est encore très longue, quand on est en début de trentaine...
Pour en revenir à Louis Autar, c'est donc grâce à la magie d'internet et de l'anglais bilingue que je lisais, en cette pâle matinée du 30 novembre 2013, son retour d'expériences sur les attaques de tortues marines par les jaguars au Suriname. En fait, son expérience est relatée ici, mais, la trouvant stimulante, je la traduis sur ce blog.
Louis Autar, 1994
Marine Turtle Conservation Program, Surinam Forest Service, P. O. Box 436, Paramaribo, Suriname
" En 1963, la plage Bigisanti dans la réserve naturelle Wia Wia, au Suriname, était un site de ponte de quatre espèces de tortues marines: verte (Chelonia mydas), luth (Dermochelys coriacea), olivâtre (Lepidochelys olivacea), et imbriquée (Eretmochelys imbricata). En août de cette année, Je suis allé à Bigisanti durant une semaine. Là, je découvris trois tortues mortes: deux vertes et une luth. Elles avaient été tuées par un jaguar. La tortue luth et une des tortues vertes avaient été tuées depuis environ une semaine, mais l'autre tortue verte était encore fraîche. Je remarquais que la dernière carcasse était entourée d'urubus noirs, et que cette dernière tortue avait encore des oeufs dans son ventre. J'étais curieux, et sortis les oeufs du ventre de la tortue verte. Alors que j'avais sorti l'ensemble des oeufs dans un sac, les vautours s'envolèrent soudainement. Je me demandai ce qui avait effrayé les oiseaux. Lorsque je me retournai, je vis un jaguar (Panthera onca) me regardant à deux mètres. Alors que j'étais accroupi, je me sentis piègé. Je laissai le sac rempli d'oeufs et me déplaçai centimètre par centimètre. J'étais chanceux de voir que le jaguar resta où il était, mais il continua à me regarder alors que je reculais. La plage était d'une largeur de 60 mètres, et quand j'étais à environ 5 mètres du jaguar, Je bondis et courus vers la mer. Après environ 1h30, je retournais vers la tortue morte. Je fis beaucoup de bruits, mais le jaguar apparu encore. Après avoir attrapé le sac d'oeufs, je courus en direction de mon camp.
Pendant plusieurs années après l'incident, j'ai enregistré le nombre de tortues mortes attaquées et tuées par les jaguars sur les plages du Suriname. (n/r = not recorded that year):
Comptage des attaques de tortues marines par les Jaguars sur les sites de ponte du Suriname, par Louis Autar Krapé: verte ; Aitkanti: luth; Warana: Olivâtre
Je suis certain que des morts additionnelles ont eu lieu en 1973; toutefois, les carcasses n'ont jamais été trouvées.
Le problème est persistant. Henri Reichart (Conseiller Technique Senior, Suriname Forest Service) a compté 13 tortues vertes tuées sur la place Galibi (est de Bigisanti) dans l'intervalle de quelques jours en 1980. De 1980-1981, environ 200 vertes de trois ans furent tuées et mangées par deux jaguars, un mâle et une femelle. En l'espace de quelques semaines après avoir découvert cela, les deux jaguars furent tirés et tués. La décision de tuer un jaguar n'est jamais facile, mais parfois il n'y a pas de choix. Les jaguars sont protégés des chasseurs au Suriname et leurs populations sont considérées comme en bonne santé."