France/Guyane - In tropical tartiflette I don't trust
"La France est un des derniers pays européens qui ait le privilège d'héberger en son sein des identités territoriales et culturelles fortes. C'est le cas dans l'Hexagone avec la Corse, l'Alsace, le Pays basque...Outre-mer, ces identités sont encore plus marquées, étant le produit de cette histoire d'une rare violence mais aussi d'une époustouflante fraternité, d'une grande complexité au regard de leurs trajectoires sociologiques." Cette phrase, que je tire de l'interview de Christiane Taubira, député guyanaise, retranscrite dans l'excellent hors-série du Monde sur la France d'outre-mer, conforte les approches culinaires que j'ai pratiqué pour mettre en valeur mon identité savoyarde. Aussi, deux grands idéaux se cachent derrière cette valorisation culturelle:
-L'espoir qu'un jour je cuisinerai des tartiflettes à des personnes sud-américaines.
-L'espoir qu'un jour, le monde sera plus égalitaire et permettra à davantage de sud-américains de venir manger des tartiflettes en Haute-Savoie.
"In tropical tartiflette I don't trust"
La question de fond de cet article n'est en fait pas de savoir si mes tartiflettes étaient bonnes ou avec qui je les ai mangé, mais plutôt de comprendre dans quel cadre ces produits de Haute-Savoie se retrouvent dans les surfaces commerciales de la Guyane, ou encore comment une certaine politique économique a des conséquences sur le pouvoir d'achat des habitants des DOM-ROM. Hé oui man, comment un reblochon du 74 peut il se retrouver dans le 973 ? Comment le dieu du fromage peut il accepter de proposer une telle variété de fromages dans les supermarchés de Guyane, tous produits en métropole ? Pourquoi vendre des reblochons à 33 euros/kg alors que la production locale mériterait d'être développée ? Pourquoi cela, alors que les transports générés sont coûteux et polluants ?
Jamais, non jamais je ne m'étais posé autant de questions pour un reblochon.
Christiane Taubira l'indique dans cette même interview: "les prix et le pouvoir d'achat sont des révélateurs. La vie est chère en outre-mer, parce que le système est organisé selon des mécanismes inflationnistes: la surrémunération des fonctionnaires (prime de 40%), le maintien de l'économie d'importation, les lois de défiscalisation." Cette mondialisation appliquée à France ultramarine aboutit à des réalités ahurissantes: dans les Antilles françaises, la grande distribution fait venir des produits d'Europe ou d'ailleurs et les vend deux fois moins cher que ceux produits localement. La canne et la banane, économies subventionnées, servent à nourrir la métropole avant la Guadeloupe. Le sucre est raffiné sur le continent, avant d'être revendu dans l'île. L'eau en bouteille, comme la Didier (Martinique), reviennent plus cher que les eaux qui prennent leurs sources dans les volcans d'Auvergne ou en Savoie.
Nombre de produits sont aussi échangés avec les Antilles françaises. Toutefois, ce livre souligne le contexte géopolitique particulier de la Guyane, avec d'une part une contestation de la dépendance à l'égard des Antilles, et d'autre part la volonté d'ancrage sud-américain. Ainsi, le livre, écrit il y a une dizaine d'année, souligne (à juste titre ?) qu' "il n'y a pas chez les responsables guyanais de volonté de renforcer les liens avec les Antilles qui sont perçus comme se faisant au détriment de la Guyane, en relation avec le fait que la société guyanaise dans son ensemble montre un refus de toute dépendance à l'égard des Antilles. Ce sentiment s'est renforcé et s'est trouvé conforté par la réalité elle-même, le meilleur exemple étant constitué par les évènements d'octobre-novembre 1996 qui ont abouti à la création du rectorat de la Guyane, mesure qui s'est avérée indispensable autant sur le plan du symbole politique que de l'efficacité administrative. Ce sentiment ne vaut d'ailleurs plus seulement pour les structures administratives mais aussi pour les relations économiques et les critiques ne manquent pas vis-à-vis de l'institution du marché antillo-guyanais. Il n'y a, pour autant, de façon générale, aucune acrimonie ou difficulté d'intégration des Martiniquais ou des Guadeloupéens installés en Guyane mais simplement la volonté de voir la Guyane reconnue pour elle-même et non comme un appendice administratif ou économique des Antilles."
L'intégration au continent sud-américain parait nécessaire au département comme le cite le même livre: "l'appartenance géographique de la Guyane, fait que son horizon sud-américain, ses contacts immédiats avec les réalités du monde amazonien et les pays du plateau des Guyanes sont des facteurs essentiels d'intégration et de progrès de ce département. Etant en prise directe avec le Tiers-Monde (je recopie) la Guyane ne pourra pas se développer en dehors de son environnement proche et seule une politique active de coopération régionale constituera une condition de stabilité et par conséquent d'essor de l'économie guyanaise."
Toutefois, dix ans après cet mots, la viande du Brésil passe toujours par la métropole avant de repartir en Guyane...Acheter les produits locaux: un raisonnement économique, social et environnemental de plus en plus mis en valeur en métropole, mais aussi dans les DOM. C'est mieux ainsi, même si je n'ai pas montré l'exemple, en l'occurrence.