France/Guyane - Prix de l'essence: des habitants unis derrière une revendication légitime
La Guyane est, vous en avez peut-être entendu parler, actuellement en phase de blocus généralisé sur l'ensemble du territoire et surtout sur le littoral, où se situe 90% de la population. Qu'elle en est la cause ? un prix des carburants à la pompe énorme, à savoir 1.77 euros le litre d'essence et 1.55 euros le litre de gazole. Après avoir un peu découvert une vue de la France depuis un autre pays de l'UE (je ne compte pas la Suisse...car les discours sur la France y sont rarement objectifs !:)), j'ai la chance de pouvoir avoir une vue de la France métropolitaine depuis un DOM-TOM, et qui plus est la Guyane, département à part. Je veux donc tenter de donner une vue synthétique et critique de la situation, à partir d'échanges avec les Guyanais et de trois articles de presse que j'ai lu,et dont les titres sont assez révélateurs de l'orientation politique de ces grands journaux métropolitains.
Voilà les trois articles que je vais me permettre d'utiliser et de commenter.
- Article Web du Monde en date du vendredi 28/11/08: "le prix de l'essence enflamme la Guyane" (sauf erreur, 1ier article publié par le quotidien).
- Articles Web de Libération: "Pourquoi la Guyane est elle bloquée depuis lundi?" en date du lundi 24/11/08 et article "Guyane: la Région refuse de baisser sa taxe sur les carburants".
- Article Web du Figaro en date du vendredi 28/11/08: "Les violentes manifestations en Guyane clouent Ariane 5 au sol" (sauf erreur également, 1ier article publié par le quotidien).
Il est intéressant de noter qu'une série d'articles a ainsi été publiée par Libération dès le premier jour des blocus, contrairement aux deux autres quotidiens.
Quelle est la revendication?
Ce mouvement de lutte pour une baisse du prix de l'essence en Guyane, lancé par des associations de consommateurs et les organisations de transporteurs et qui est très majoritairement soutenu par les socioprofessionnels, des élus et la population locale, demande une baisse de 50 centimes sur les carburants, dont les prix sont administrés par l'État dans les différents Départements d'Outre-Mer.
(photo prise le 28/11/08, reçue par mail, source inconnue)
Pourquoi le prix de l'essence est il si cher en Guyane ?
En moins de 2 ans, le carburant a augmenté de 46 centimes en Guyane. Le prix de l'essence est taxé d'une part par la collectivité régionale (la Région Guyane) et d'autre part par l'État. La Taxe de la Région (dite Taxe Spéciale sur les Carburants) est ensuite allouée aux autres collectivités, dont les finances sont fragiles: pour être clair, ici, les investissements des collectivités, par exemple la construction d'établissements scolaires, nécessitent des subventions de l'État et de l'Europe. Auparavant, la Guyane s'alimentait de carburants provenant de Trinité-et-Tobago, mais ces derniers seraient nocifs pour les moteurs. Fin 2006, une décision de justice favorable aux concessionnaires automobiles a contraint les compagnies pétrolières à changer de fournisseur pour vendre du carburant conforme aux normes européennes. C'est ainsi que le pétrole provient maintenant de la raffinerie SARA, en Martinique, avec un prix supérieur d'environ 30 centimes par rapport au fournisseur antérieur. Cette augmentation s'est fait par pallier par la préfecture, avec une compensation financière à la raffinerie. La montée du cours du pétrole jusqu'en juillet 2008, et une hausse sensible de la taxe destinée aux collectivités locales ont amplifié le phénomène.
Quelles sont les idées dominantes dont j'entends parler autour de moi ?
La première impression que mes échanges avec la population guyanaise me donnent est qu'elle ne cédera pas face à cette revendication, qui est pour tout le monde complètement légitime. Compte-tenu du prix du baril actuel, ce prix semble anormal: un plein d'essence à (pour une voiture "normale") 110 euros alors que le prix a chuté en métropole. Un plein d'essence à 110 euros alors que depuis qu'elle fournit la Guyane, le Chiffre d'affaire de la raffinerie SARA est beaucoup plus important que lorsqu'elle ne fournissait que les Antilles. Un plein d'essence à 110 euros alors que les transports en commun sont quasi-inexistants en Guyane (ce n'est pas une raison suffisante, quoi qu'il en soit). Un plein d'essence à 110 euros que la Région taxe pour faciliter les finances locales qui en ont bien besoin. Ainsi, la majorité des Guyanais ne souhaite pas que la Région diminue sa taxe, mais bel est bien que la baisse de 50 centimes immédiatement demandée soit approuvé par la préfecture (État). Cependant, certains Guyanais souhaitent aller plus loin et demander à ce que les prix de l'essence soient alignés sur ceux de la métropole...Nous n'en sommes pas là, mais je ne pense pas que la population cèdera face à ce prix énorme comparé à la métropole et aux autres DOM.
Qu'en est il sur le terrain ?
J'habite à 10 minutes à pied du carrefour de Suzini, que l'on voit sur cette photo prise par Jody Amiet (AFP) et dont le blocus empêche les voitures de rentrer dans Cayenne...
(photo reçue par mail, source Jody Amiet, AFP)
Je passe par là tous les jours et vous imaginez bien que ma frustration de ne pas pouvoir prendre de photos de moi-même est importante tant il y a de belles scènes de ce moment unique de la vie guyanaise. Toutes les routes sont bloquées, des tables sont installées, de DJs et même une scène de concerts ont été montés. Pour le moment, pas vraiment de problèmes. Des personnes assis à une table et jouant aux dominos, la radio à l'écoute pour voir l'évolution de la situation, des poissons qui cuisent sur la grille du barbecue...et donc pas de tensions importantes palpables. Pas ici, et à priori pas plus ailleurs. Mais alors, où sont ces violentes manifestations dont parle le Figaro ? Il n'y en a tout simplement quasiment pas, à part quelques voitures brulées (moins de 10 à ce jour)...rien de comparable avec ce qui se serait déjà passé en métropole après 5 jours de blocus...Premier exemple évident de cette image négative de violence et d'insécurité très facilement exacerbée au moindre dérapage par certains médias métropolitains. Au contraire, les blocus sont des lieux de cohésion sociale plutôt conviviaux, où on déguste un jus de mangue en laissant passer piétons et cyclistes. Pour aller plus loin, ce blocus révèle une solidarité et une union importante - c'est une belle avancée d'après mon chef guyanais- entre les guyanais, quelque soient leurs origines. Ainsi les commerçants chinois ont-ils presque tous fermés rideaux par soutien, alors qu'ils ont toujours complètement à part (et intégrés) dans la société guyanaise. Aussi les Hmongs, arrivés du Laos dans les années 70 et également parfaitement intégrés ici ont distribués fruits et légumes gratuitement sur les lieux de blocus. Les Guyanais sont ainsi unis face à cette situation intenable et qui pénalise toute la société, à la différence des autres départements français. Intéressant.
(photo prise le 28/11/08, reçue par mail, source inconnue)